Le 20 mars 2003, en violation de toutes les conventions internationales et contre l'avis de l'ONU, une armée coalisée sous commandement américain pénètre en Irak. Trois semaines plus tard, elle entre à Bagdad, d'où s'est enfui le dictateur Saddam Hussein. Il avait été deux décennies plus tôt l'allié diligent de ses agresseurs dans une guerre très meurtrière contre la République islamique d'Iran avant d'être à son tour mis au ban des nations.
Forts de leur succès militaire sur une armée démunie, pauvre et complètement désorganisée, les Américains entreprennent de reconstruire l'État irakien selon les préceptes occidentaux (« un homme, un vote ») mais réveillent ce faisant les vieux antagonismes entre Arabes, Turcs, Kurdes et Persans, chiites et sunnites, etc. Ils entraînent la marginalisation des laïcs et des modernistes irakiens ainsi que les persécutions contre les dernières communautés de chrétiens orientaux...
L'effondrement de l'Irak, venant après ceux de la Syrie, de la Libye et des pays du Sahel, dessine aux portes de l'Europe une « ceinture de feu » islamo-terroriste alors que le reste de la planète jouit d'une paix relative. Jamais depuis un demi-millénaire le Vieux Continent ne s'est vu de la sorte assiégé.
Cette situation paraît d'autant plus inquiétante que l'Union européenne est impuissante à maîtriser les vagues migratoires en provenance de ces zones de non-droit, qu'elle a pris l'habitude de s'en remettre aux États-Unis du soin de sa sécurité, qu'elle ne craint pas enfin de défier la seule puissance régionale qui serait en mesure de l'assister, à savoir la Russie, et tient en lisière les rares États stables de ses marges : le Maroc, la Turquie et l'Iran.
La rancune d'un fils
Suite aux attentats contre le World Trade Center, dix-huit mois plus tôt, le gouvernement a obtenu de l'ONU l'aval pour détruire les bases d'Al-Qaida en Afghanistan et abattre le régime des talibans qui a offert sa protection à l'organisation terroriste. L'affaire a été prestement menée par une coalition internationale pilotée par l'OTAN et à l'automne 2002, il ne s'agissait plus que de se donner un peu de temps pour éradiquer complètement les talibans traqués dans leur réduit montagnard et Al-Qaida, replié dans les zones tribales du Pakistan.
C'est alors que le président George Bush Jr se mit en tête de « punir » aussi le dictateur irakien coupable d'avoir défié son père douze ans plus tôt. Qu'importe que Saddam Hussein fut le dernier dirigeant laïque de la région et le meilleur rempart contre l'intégrisme islamiste...
Le gouvernement américain tenta alors de convaincre l'ONU et l'opinion internationale que le dictateur menaçait la planète avec des « armes de destruction massive ». C'est ce qu'affirma en tout cas la CIA (les services secrets américains) dans un rapport publié en octobre 2002 : « Iraq’s Weapons of Mass Destruction Programs ». Il s'agissait d'un gros mensonge d'État, de ceux dont le gouvernement de Washington est coutumier.
Dissensions chez les alliés européens
Certains dirigeants européens ne s'y trompèrent pas. Le 22 janvier 2003, à la suite du pape Jean-Paul II, la France de Jacques Chirac et l'Allemagne de Gehrard Schröder affichent leur opposition résolue au projet d'invasion de l'Irak. Elles sont bientôt rejointes par la Russie de Vladimir Poutine (le Canada du Premier ministre Jean Chrétien condamne également le projet d'invasion).
Mais de leur côté, les Britanniques et les gouvernants des pays d'Europe centrale, fraîchement émancipés de la tutelle soviétique, voient se réveiller l'hydre du pacte germano-soviétique de 1939 ! Une semaine plus tard, une lettre des Huit, signée par les gouvernements du Royaume-Uni, du Danemark, du Portugal, d'Espagne, d'Italie, de Pologne, de Hongrie et de la République tchèque rend hommage « au courage, à la générosité et à la perspicacité américaine » contre le nazisme et le communisme et affiche son soutien à George Bush Jr.
Déjà se profilent les dissensions entre Européens : Les uns, autour de la France, ont le souci de maintenir l'Europe dans une forme de neutralité, Les autres, autour de la Grande-Bretagne et des ex-satellites de l'Union soviétique (Pologne, Hongrie, République tchèque) se moquent de la solidarité européenne et préférent faire allégeance à Washington et se placer sous la protection du Pentagone.
L'ONU bafouée
Par fidélité au président américain, le Secrétaire d'État américain Colin Powell assume le déshonneur en montrant au Conseil de Sécurité de l'ONU, le 5 février 2003, une ampoule de poudre blanche supposée être de l'anthrax (dangereux poison) comme preuve de l'existence de ces armes. La suite prouvera de façon certaine que ces armes n'existaient pas ou avaient été détruites depuis belle lurette.
Il se heurte à l'opposition déterminée du ministre français des Affaires étrangères Dominique de Villepin, dont le discours, le 14 février suivant, est, contre l'usage, applaudi : « L'option de la guerre peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n'oublions pas qu'après avoir gagné la guerre, il faut construire la paix. Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l'unité de l'Iraq, rétablir de manière durable la stabilité dans un pays et une région durement affectés par l'intrusion de la force. (...)
Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur ».
Le Conseil de Sécurité refuse donc d'agréer l'intervention américaine. Qu'à cela ne tienne. Le 16 mars 2003, le président George Bush Jr rencontre sur l'archipel des Açores les Premiers ministres britannique - Tony Blair -, espagnol - José Maria Aznar - et portugais - José Manuel Barroso -. À l'issue de la réunion, les quatre dirigeants décident de lancer une opération militaire conjointe contre l'Irak de Saddam Hussein en se passant de l'accord des Nations Unies et de celui de leurs principaux alliés.
Une victoire en trompe-l'oeil
Le président américain envoie un ultimatum à Saddam Hussein et, 48 heures après, le 20 mars 2003, lui déclare formellement la guerre.
Comme points d'appui, les Américains bénéficient de leur flotte présente dans le golfe Persique ainsi que d'une base militaire implantée douze ans plus tôt sur le sol sacré de l'Arabie séoudite à la faveur de la première guerre du Golfe. Ils déploient sur le terrain 148 000 soldats, non compris les contingents de la coalition : 45 000 Britanniques, 2 000 Australiens, 2 500 Polonais, 400 Danois et 1 400 Espagnols.
Parmi les autres participants à cette guerre d'agression figurent la Géorgie et l'Ukraine, qui elle-même sera agressée vingt ans plus tard par la Russie. Dans les semaines qui suivent l'invasion, 1 650 soldats ukrainiens et 2 000 soldats géorgiens sont ainsi envoyés en Irak.
Après une courte campagne, les Américains s'attendent à être accueillis à Bagdad en libérateurs et se disposent à construire une démocratie modèle, comme ils l'avaient fait au Japon en 1945. Mais l'Irak n'est pas le Japon et l'Amérique de Bush n'est pas celle de Roosevelt et Truman.
L'occupant ne tarde pas à s'en apercevoir. Il est vrai qu'il commet erreur sur erreur, comme de licencier toute l'armée de l'ancien dictateur, y compris les hommes de troupe, lesquels, sans ressources, rejoignent les mouvements de résistance à l'occupation.
L'arrestation de Saddam Hussein dans une cave de sa ville natale de Tikrit le 13 décembre 2003 et sa pendaison après un procès expéditif le 30 décembre suivant ne relèvent pas le prestige du nouveau gouvernement.
Cependant que les troupes américaines s'enlisent en Afghanistan, l'Irak sombre dans le chaos, l'insécurité et la misère. Les Américains se confrontent à une guérilla multiforme, essentiellement urbaine et à forte composante interconfessionnelle.
Les chiites des marais du Sud, traditionnellement proches des Iraniens et précédemment opprimés par la minorité arabo-sunnite, profitent de l'occupation pour prendre leur revanche. Ils se saisissent de tous les rouages du pouvoir à Bagdad et oppriment à leur tour les Arabes sunnites.
De leur côté, les Kurdes, de confession sunnite mais proches des Iraniens par leur langue, saisissent l'opportunité pour organiser l'autonomie de leur territoire, dans le quart nord-est de l'Irak, autour d'Erbil et Kirkouk. Ils sont environ cinq millions sur un total de 36 millions d'Irakiens (2014).
Bien administré et bénéficiant de ressources pétrolières, leur territoire jouit pendant la décennie suivante, jusqu'à l'irruption de Daech, d'une paix relative et d'une prospérité qui suscitent l'envie des Kurdes de Turquie, au grand mécontentement d'Ankara.
Enfin, les communautés chrétiennes endurent la dernière étape de leur calvaire, entamé avec la première guerre du Golfe. Pris en tenaille entre chiites et sunnites, perçus bien à tort comme des alliés de l'occupant américain, ces chrétiens dont l'Histoire remonte aux tous premiers siècles de notre ère et dont certains parlent encore la langue du Christ se voient contraints de fuir leur patrie avant de tomber victimes d'un attentat.
Au-delà du chaos
Impuissants à gérer l'anarchie, les Américains finissent par se retirer d'Irak le 18 décembre 2011, à l'initiative du président Barack Obama, qui a succédé à George Bush Jr. Ils ont perdu 4 500 hommes en une décennie mais aussi causé la mort d'environ 300 000 Irakiens, civils et combattants (c'est cent fois plus que le total de victimes des attentats du 11 septembre 2001). Leur départ entraîne une recrudescence des désordres.
Mossoul (1,5 millions d'habitants), au nord-ouest du pays, sur les bords du Tigre, est prise par les djihadistes (dico) le 10 juin 2014. Il s'ensuit le pire scénario imaginable : la création d'un embryon d'État islamiste autour de la ville. Cet « État islamique en Irak et au Levant » (EIIL) étend ses ramifications dans la Syrie voisine, également déchirée par la guerre civile. Il persécute et massacre dans une quasi-impunité les minorités chrétiennes et yazidis (Kurdes monothéistes). La reprise de Mossoul par les forces gouvernementales irakiennes, le 9 juillet 2017, intervient dans un paysage de complète désolation.
Plus grave encore, l'intervention américaine en Irak a entraîné un relâchement de la pression sur les talibans en Afghanistan. Ceux-ci se ressaisissent et reprennent lentement mais sûrement le contrôle du pays jusqu'à leur victoire finale le 15 août 2021.
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Voir les 11 commentaires sur cet article
Bernard (09-04-2023 15:44:45)
Il en va des rétrospectives historiques comme des séries statistiques : les conclusions dépendent pour une large part du point de départ choisi. La série de catastrophes qui secoue le monde arabe... Lire la suite
djambo (24-03-2023 19:04:52)
vous oubliez un petit detail... L'invasion du Koweit en 1991 Le gazage de kurdes qui causé la mort de 50 000 à 180 000 civils kurdes. L'épisode le plus marquant de ce génocide est le bombardeme... Lire la suite
Eker (22-03-2023 13:20:22)
Juste une petite interrogation..un commentaire cité les services secrets israéliens comme ayant prévenus que les « armes de destruction massives » avaient été déplacées en Syrie et, auraien... Lire la suite