7 octobre 2001 - 15 août 2021

« Guerre contre le terrorisme » en Afghanistan

L'intervention américaine en Afghanistan est la conséquence directe des attentats du 11 septembre 2001 et de leurs 2800 morts. Une rapide enquête des services secrets américains avait montré que l'Afghanistan abritait Oussama Ben Laden et les camps d'entraînement d'Al-Qaida, l'organisation à l'origine des attentats.

Il s'ensuit une guerre courte et brutale qui permet aux Américains et à leurs alliés de quasiment éradiquer Al-Qaida et leurs alliés talibans. Mais Washington ne veut pas en rester là et se met en tête de transformer l'Afghanistan en une démocratie moderne ! Vingt ans de chaos se concluent par la victoire des talibans le 15 août 2021 et une humiliante débandade de l'armée américaine. Une de plus après le Vietnam, la Somalie, l'Irak...

Très médiatisée et très lourde de sens d'un point de vue géopolitique, cette guerre se classe néanmoins parmi les conflits mineurs des dernières décennies d'après son bilan humain, sans rien de comparable par exemple avec la guerre des Grands Lacs africains, nullement médiatisée mais sans doute dix fois plus meurtrière (note).

André Larané

Soldats américains en action en Afghanistan

Coalition internationale

L'Union soviétique avait déjà connu une terrible défaite en Afghanistan au terme d'une guerre de dix ans (1979-1989). Après leur départ, les factions islamistes s'étaient entredéchirées et, en 1996, le pays était tombé sous la coupe d'une mouvance obscure, formée dans les écoles coraniques du Pakistan voisin. Ses membres, appelés talibans, d'un mot arabe qui signifie étudiant, appartenaient pour l'essentiel à l'ethnie pachtoune, dominante en Afghanistan et très fortement représentée dans les zones tribales du Pakistan, de l'autre côté de la frontière.

C'est alors que surviennent les attentats du 11-Septembre. À la demande de Washington, le Conseil de Sécurité des Nations Unies exige du gouvernement afghan la « livraison immédiate et inconditionnelle » de Ben Laden et de ses acolytes. Le refus des talibans, sans appel, enclenche une riposte militaire. Les États-Unis appellent tous les pays à les rejoindre dans la « guerre contre le terrorisme » (War on terror). Leurs alliés traditionnels (Royaume-Uni, Australie...) et quelques autres pays (Japon...) répondent présents, formant une coalition d'une vingtaine de pays, avec des contingents plus ou moins symboliques, l'essentiel de l'effort revenant aux États-Unis.

Au Pakistan, le général Musharraf, au pouvoir depuis son coup d'État de 1999, se place résolument dans le camp américain car il craint d'être renversé par les islamistes, de plus en plus influents dans son pays. Mais son choix n'a pas l'heur de plaire à ses concitoyens. De violentes manifestations anti-américaines secouent le pays cependant qu'en Afghanistan, les talibans exhortent la population à se préparer au djihad (la guerre sainte).

Cet appel est loin de faire l'unanimité ! Les factions hostiles aux talibans reprennent l'offensive. C'est ainsi que les Tadjiks orphelins du commandant Massoud, le « Lion du Panshir », assassiné le 9 septembre 2001, s'allient avec les tribus hazaras de confession chiite et forment l'Alliance du Nord.Vladimir Poutine, président de la Russie depuis le 26 mars 2000, apporte de son côté une aide précieuse à la coalition en alimentant en matériels et en munitions les moudjahidins qui combattent les talibans.

Une victoire militaire éclair

Dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001 surviennent les premières frappes américaines. L'opération est baptisée Enduring Freedom (« Liberté Immuable »). Écrasés par les bombardements, les talibans se replient dans les provinces du sud, tandis que les « brigades internationales » d'Al-Qaida se concentrent dans le nord du pays. Le 13 novembre 2001, les troupes de l'Alliance du Nord entrent dans Kaboul, la capitale désertée par les talibans. Il n'aura fallu que quelques semaines au régime pour s'effondrer. 

Du 27 novembre au 5 décembre 2001 se tient à Bonn (Allemagne) une conférence inter-afghane. Elle réunit sous les auspices de l'ONU les différentes factions de l'opposition aux talibans. Son objectif, selon les termes de l'émissaire américain James Dobbins, est rien moins que de « reconstruire » le pays ! Elle forme donc un gouvernement intérimaire avec à sa tête le Pachtoun Hamid Karzaï. Elle constitue également une force internationale sous mandat de l'ONU, à charge pour elle de stabiliser le pays. Son commandement est confié à l'OTAN, dont c'est la première intervention en-dehors de l'Atlantique nord. Cette Force internationale d'assistance et de sécurité réunit une cinquantaine de nations (dont huit qui n'appartiennent pas à l'OTAN). Elle va voir en une dizaine d'années ses effectifs se hisser de 50 000 à 130 000 soldats.

Des lendemains qui déchantent

Les embrassades de Bonn dissimulent mal la réalité d'un pays toujours divisé entre factions rivales. Chaque chef, chaque ethnie et chaque vallée continue de défendre jalousement sa liberté. L'autorité du gouvernement de Kaboul ne dépasse pas les limites de la capitale. Un seul facteur unit les factions : l'attrait des dollars que déverse à profusion la coalition internationale. Celle-ci aura dépensé en vingt ans plus de 2000 milliards de dollars dans le gouffre afghan (armement, assistance aux populations, pots-de-vin, infrastructures routières...). C'est environ 50 000 dollars pour chacun des 38 millions d'Afghans !

Le gouvernement d'Hamid Karzaï, rongé par la corruption, peine à asseoir sa légitimité malgré l'appui de l'ancien roi Mohammed Zaher Chah, revenu de son exil français (mort en 2007). Quant à la coalition internationale, en dépit de moyens colossaux, elle échoue à capturer les chefs des talibans et d'Al-Qaida, le mollah Omar et Oussama Ben Laden.

En dépit de ces faiblesses, la coalition et l'OTAN peuvent considérer à l'automne 2002 que leur mission est accomplie : les talibans sont traqués dans leur réduit montagnard et Al-Qaida s'est replié dans les zones tribales du Pakistan, sous la protection des services secrets pakistanais qui, officiellement, affichent néanmoins leur appui à la coalition internationale. Un double jeu dangereux de la part d'une puissance nucléaire instable et pauvre, avec 160 millions d'habitants dont 20% de chiites. 

Le 1er lieutenant de l'armée américaine Jared Tomberlin, à gauche, et un interprète tirent la sécurité au sommet d'une crête de montagne lors d'une mission de reconnaissance près de la base d'opérations avancée Lane dans la province afghane de Zabul, le 28 février 2009.

L'Afghanistan ou l'Irak ? Il faut choisir

Tout va basculer avec la décision de George Bush Jr d'abattre aussi le dictateur irakien Saddam Hussein. Le président américain veut achever le « travail » entamé par son père onze ans plus tôt. Il veut aussi satisfaire le complexe militaro-industriel qui aspire à relancer les commandes d'armements, en chute libre depuis la fin de l'URSS et de la guerre froide.

Le 16 mars 2003, le président retrouve sur l'archipel des Açores les Premiers ministres britannique - Tony Blair -, espagnol - José Maria Aznar - et portugais - José Manuel Barroso -. Ils conviennent d'une opération militaire conjointe contre l'Irak, malgré l'opposition résolue de la France, de l'Allemagne, de la Russie et des Nations Unies.

Moins d'un mois plus tard, le 9 avril 2003, l'armée coalisée entre à Bagdad d'où s'est enfui le tyran. Dans leur grande naïveté, les Américains s'attendaient à être accueillis en libérateurs et se disposaient à construire une démocratie modèle, comme ils l'avaient fait au Japon en 1945. Mais l'Irak n'est pas le Japon et l'Amérique de Bush n'est pas celle de Roosevelt et Truman. 

L'occupant ne tarde pas à s'en apercevoir. L'Irak sombre dans le chaos. Les Américains se confrontent à une guérilla multiforme, essentiellement urbaine et à forte composante interconfessionnelle (chiites contre sunnites). Parallèlement, le raidissement du régime iranien, orchestré par le président Ahmadinejad depuis 2005, et le désordre politique au Pakistan (luttes d'influence entre civils et militaires, assassinat de Benazir Bhutto, montée du sentiment anti-américain) multiplient les points de tension dans la région.

Mis dans la difficulté, Washington doit relâcher sa pression sur l'Afghanistan.

Les Afghans reprennent leur liberté

Revigorés par l'enlisement des Américains en Irak et le discrédit du gouvernement, les talibans en profitent pour se refaire une santé, avec le soutien discret mais efficace du Pakistan. Celui-ci préfère à Kaboul un pouvoir islamiste et sunnite plutôt qu'un régime laïque et pro-occidental susceptible de faire alliance avec l'Inde et de le prendre en tenaille.

Bons connaisseurs du terrain, les talibans suppléent à leur infériorité technologique à coup d'escarmouches, d'embuscades et d'attentats. Ils se financent très correctement en développant la culture de l'opium dans les zones « libérées » et en rançonnant les fonctionnaires et soldats liés aux forces d'occupation. Celles-ci se voient contraintes de s'enfermer dans des camps retranchés tandis que les chefs talibans circulent à peu près librement dans le pays, à partir de leurs bases installées au Pakistan, sous la protection des services secrets d'Islamabad.

Les Américains répliquent aux attaques ennemies par des frappes aériennes, avec des drones guidés à distance, qui atteignent plus souvent des noces paysannes que des unités rebelles. Cela contribue à rejeter la population du côté des talibans.

En dépit de leur brutalité et de leur rigorisme, les talibans apparaissent de plus en plus comme les champions de l'indépendance et comme des patriotes en lutte contre un envahisseur étranger, comme à l'époque où les moudjahiddines luttaient contre l'armée soviétique. Ils retrouvent le soutien de la population et noyautent l'administration et l'entourage du président Karzaï, qui lui-même manifeste une singulière complaisance à leur égard. 

Face à eux, l'armée régulière afghane constitue une institution dans laquelle une bonne partie de la population ne se reconnaît pas, notamment à cause de la surreprésentation de l'ethnie tadjik parmi les soldats, un héritage de la « victoire » de l'Alliance du Nord en 2001.

George Bush Jr et son état-major ne tardent pas à comprendre leur erreur.  Reléguant l'Irak à l'arrière-plan, ils tentent sans succès de reprendre la main en Afghanistan. Sans doute se rappellent-ils - mais un peu tard - que les Anglais au XIXe siècle puis les Soviétiques au siècle suivant s'étaient déjà cassé les dents en Afghanistan, ce « cimetière des empires », malgré leur suprématie militaire.

Aux États-Unis ressurgit le souvenir de l'enlisement au Vietnam. L'opinion et l'état-major doutent de « vaincre le terrorisme » par les armes.

Barack H. Obama, qui accède à la Maison Blanche en janvier 2009, promet un retrait progressif de la coalition. Après lui, Donald Trump accélère le retrait et, suite à un accord conclu avec les talibans à Doha le 29 février 2020, il annonce le départ de toutes ses troupes le 1er mai 2021 ! Joe Biden, nouvel hôte de la Maison Blanche, reprend à son compte les engagements de ses prédécesseurs dans une précipitation qui prend très vite l'allure d'une débandade. En juillet 2021, la puissante base aérienne de Bagram, à 50 km de Kaboul, est abandonnée séance tenante et le dimanche 15 août 2021, les talibans entrent sans combat dans la capitale. Celle-ci avait été dans les jours précédents abandonnée par les supplétifs de l'occupant américain et le président afghan lui-même, tous gavés aux as par les détournements massif de l'aide américaine. 

Sans doute les talibans arriveront-ils avec le reste du monde à un compromis du même type que celui du 26 mai 1879. Par le traité anglo-afghan de Gandamak, les Afghans obtinrent de rester maîtres chez eux mais s'engagèrent à maintenir à distance les Russes, rivaux des Britanniques. Sans doute les talibans prendront-ils un jour le même engagement à propos d'Al-Qaida et le pays rejoindra la liste des nouvelles terrae incognitae ou terres sans maître ni État : Somalies, Érythrée, Afrique centrale, etc.

Dommages collatéraux

En Afghanistan et en Irak, le président George Bush Jr, par choix idéologique, n'a pas voulu financer la guerre avec des augmentations d'impôts. Il a donc recouru à l'emprunt, par la vente en particulier de bons du Trésor américain aux banques d'État chinoises. Dans le courant de la première décennie du XXIe siècle, la Chine a donc vu sa créance sur les États-Unis s'envoler de presque rien à plus de 1000 milliards de dollars, avec pour contrepartie un accroissement tout aussi massif de son excédent commercial avec les États-Unis et la désindustrialisation qui en a résulté. La révolte des classes moyennes prolétarisées et l'élection de l'improbable Donald Trump en 2016 en sont la lointaine conséquence.

Publié ou mis à jour le : 2023-09-12 13:37:48
JF EPINOUX (25-08-2021 13:36:19)

Quand donc les nations, comprendront-elles que les conflits ouverts contre les peuples sont voués à l'échec. Ainsi, pour ne citer que des exemples récents (Afghanistan exclu), la défaite frança... Lire la suite

bereda (23-05-2012 12:00:54)

Depuis que j'ai adhéré, j'ai apprécié de plus en plus la variété des sujets ,l'abondance non surchargée des documents ,en équilibre avec la clarté pédagogique! Vraiment , toute satisfaction... Lire la suite

Senec (10-08-2010 11:53:16)

Il s'agit, en fait, d'une simple question de conviction sur les moyens à employer. L'Histoire se souviendra de ce paradoxe d'un pays capable de réduire en miettes toute résistance ou toute trace de... Lire la suite

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