Le 24 décembre 1999, en Côte d'Ivoire, un coup d'État militaire renverse le président Henri Konan Bédié qui avait succédé six ans plus tôt à Félix Houphouët-Boigny, le père de l'indépendance.
C'est la consternation dans le monde. Après quatre décennies de stabilité politique et de relative prospérité, la Côte d'Ivoire, présentée comme un modèle de développement pour les autres États du continent noir, sombre dans le chaos.
Démocratie, xénophobie et dissensions ethniques
Après la mort du « Vieux » (Houphouët-Boigny), le 7 décembre 1993, la présidence de la République est revenue au président de l'Assemblée nationale, Henri Konan Bédié.
Comme son prédécesseur, le nouveau président est un Baoulé catholique du centre du pays. Il évince le Premier ministre Alassane Ouattara, un Nordiste et musulman, et le remplace à la tête du gouvernement par un homme du Sud.
Les partisans nordistes d'Alassane Ouattara se rassemblent dans un parti d'opposition, le Rassemblement des Républicains (RDR). C'en est fini de l'équilibre fragile entre ethnies et religions mis en place par Houphouët-Boigny. Le Nord entre en opposition ouverte avec le Centre et le Sud.
Alassane Ouattara, pour sa part, est appelé à Washington par Michel Camdessus en qualité de directeur général adjoint du FMI (Fonds Monétaire International).
Dans la perspective des élections présidentielles de 1995, Bédié fait voter une loi qui exclut les candidats d'origine étrangère, en premier lieu Alassane Ouattara, auquel on prête une ascendante étrangère (Burkina Faso).
Bédié est sans surprise réélu à 90%, mais avec une abstention record. En vue de l'élection suivante, prévue en 2000, il joue à nouveau la carte de la xénophobie et brandit le concept d'« ivoirité ».
Bien que le gouvernement français conserve un pouvoir de pression important sur les dirigeants ivoiriens, par le biais de l'aide financière, il s'abstient d'intervenir. C'est ainsi que la démocratie voulue par François Mitterrand génère ici comme ailleurs sur un conflit ethnico-religieux.
Malgré ses atouts agricoles, la Côte d'Ivoire s'enfonce dans la crise sous le régime particulièrement corrompu du nouveau président. Aussi la communauté internationale accueille-t-elle avec résignation le coup d'État du général Robert Gueï. Il met en place un gouvernement de transition qui réunit des représentants de tous les partis.
Mais, en avril 2000, le général exclut du gouvernement les représentants du Rassemblement des républicains et, pour évincer une nouvelle fois Ouattara, Robert Gueï fait approuver par référendum une modification de la Constitution qui impose à tout postulant à une élection d'être de père et de mère ivoiriens. Ce retour à l'« ivoirité » ne sera pas le dernier...
La ficelle est grosse. Elle a surtout le tort d'exciter les passions xénophobes et racistes dans la foule d'Abidjan.
En octobre 2000, les élections présidentielles se soldent contre toute attente par la victoire d'un leader socialiste, ancien professeur d'Histoire, Laurent Gbagbo, qui avait déjà affronté Félix Houphouët-Boigny en 1990. Du fait d'une abstention massive dans les régions du Centre et du Nord, il est élu par seulement 20% du corps électoral.
Des affrontements mettent aux prises les militants du vainqueur et ceux d'Alassane Ouattara, qui ne reconnaît pas la validité de l'élection. Les très nombreux immigrés africains sur lesquels repose l'économie du pays sont la cible de pogroms de même que des Européens. Beaucoup commencent à quitter le pays.
Guillaume Soro, un jeune leader étudiant de 28 ans, originaire du nord mais catholique, rejoint en 2000 le camp d'Alassane Ouattara. Il monte dans le nord du pays une armée de bric et de broc, les Forces nouvelles de Côte d'Ivoire.
La situation se dégrade brutalement dans la nuit du 19 septembre 2002, quand il tente de renverser Laurent Gbagbo à Abidjan même. De violents combats éclatent au coeur de la capitale. On compte 300 morts.
L'armée française, présente sur place en vertu des accords de défense qui lient la France à la Côte d'Ivoire depuis l'indépendance, intervient et sauve le président Gbagbo. Mais la rébellion se propage dans le nord du pays, en majorité musulman et fidèle à Ouattara.
Autour de Guillaume Soro, on voit apparaître des chefs de bande, en fait venus du Burkina Faso voisin, qui n'ont rien à faire des enjeux électoraux et ne se soucient que de pillages et de viols.
La France, enfin, se décide à intervenir quand les rebelles commencent à progresser vers le Sud. Elle déclenche l'opération« Licorne » mais, plutôt que de défaire les rebelles, choisit de s'interposer entre eux et l'armée hâtivement mise sur pied par Laurent Gbagbo.
Le président dénonce non sans raison l'intervention de puissances étrangères aux côtés des rebelles (Libye, Guinée et surtout Burkina Faso). Il s'indigne que les Français se contentent de s'interposer et ne veuillent pas appliquer les accords de défense. Il les soupçonne de comploter son renversement.
Paris, de son côté, minimise les interventions étrangères et rejette toute la faute sur la politique d'« ivoirité » d'Abidjan. La rupture est consommée entre les deux gouvernements.
En utilisant la radio ivoirienne, Laurent Gbagbo excite ses militants contre les Français. Dominique de Villepin, ministre français des Affaires étrangères, est même séquestré et menacé lors d'un déplacement à Abidjan. Il arrive néanmoins à réunir les protagonistes à Marcoussis, au sud de Paris. Le 25 janvier 2003, en les chefs de bande font mine de se réconcilier à la plus grande joie de leur hôte. Dominique de Villepin, adepte de la méthode Coué, est seul à croire à la solidité de ces accords.
Sur le terrain, rien ne change. La scission du pays semble se pérenniser. Comme la ligne de démarcation maintient les rebelles en-dehors de la zone de production du cacao, le gouvernement français est tenté de s'en accommoder. C'est compter sans l'envie des uns et des autres d'en découdre.
Laurent Gbagbo rumine sa colère contre les Français qui se refusent à le soutenir davantage et laissent les rebelles s'emparer du nord. Un journaliste français, Jean Hélène, est délibérément assassiné par un policier.
Le samedi 6 novembre 2004, les deux avions que possède l'armée ivoirienne, pilotés par des mercenaires ukrainiens, décollent de l'aéroport de Yamoussoukro, lourdement armés. Intrigués, les militaires français les voient s'approcher de leur base de Bouaké. Avant qu'ils aient eu le temps de réagir, les avions ont bombardé les bâtiments, tué neuf soldats et blessé de nombreux autres. Au même moment, des véhicules de l'armée ivoirienne foncent sur le tarmac de l'aéroport d'Abidjan et lancent une roquette vers un Transall de l'armée française (sans faire de victime).
À Paris, le président Jacques Chirac a le sang qui ne fait qu'un tour. Il donne l'ordre de détruire au sol les deux avions et les quelques hélicoptères qui composent l'aviation ivoirienne. Le soir même, à Abidjan, à l'annonce de cette attaque, les partisans de Laurent Gbagbo, qui s'intitulent « Jeunes patriotes » (!), descendent dans la rue. C'est la chasse aux Français et plus généralement aux Blancs. Pillages, meurtres et viols.
En 2007, à la surprise générale, rebelles et gouvernementaux concluent un accord à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso voisin. Guillaume Soro devient officiellement le Premier ministre du président Laurent Gbagbo.
De fait, le pays s'installe dans la sécession, les rebelles demeurant maîtres du nord et de Bouaké, les régions les plus déshéritées, qu'administrent Guillaume Soro et le RDR. Le président Gbagbo, quant à lui, contrôle tant bien que mal le sud et les zones de production du cacao et du café, avec le concours des forces françaises qui font contre mauvaise fortune bon coeur.
À Abidjan, la corruption atteint des sommets inégalés même en Afrique. Tous les crédits importants octroyés par l'Occident sont massivement détournés par les dirigeants. Tout se vend, y compris les diplômes. Les pauvres des villes se satisfont des retombées indirectes de l'aide étrangère (petits emplois de service et commerce informel). La jeunesse ivoirienne ne rêve plus à rien d'autre qu'au statut de « favos », mot qui désigne les fonctionnaires et dirigeants corrompus.
Les élections présidentielles du 31 octobre 2010 conduisent le président sortant Laurent Gbagbo à affronter pour de bon Alassane Ouattara. Exigées par la communauté internationale, elles accentuent la division du pays, la métropole d'Abidjan et les régions cacaoyères se montrant majoritairement fidèles, envers et contre tout, au président sudiste.
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Boutté Jacques (13-12-2010 11:39:17)
Imposer des normes"démocratiques" à des pays en construction est une ineptie idéologique ; leur demander un minimum d'éthique en échange des fonds octroyés est souhaitable . Il faut maintenant ... Lire la suite
Boutté Jacques (13-12-2010 06:59:56)
Imposer des normes"démocratiques" à des pays en construction est une ineptie idéologique ; leur demander un minimum d'éthique en échange des fonds octroyés est souhaitable . Il faut maintenant ... Lire la suite