20 avril 1999

La fusillade de Columbine

20 avril 1999, Littleton, Colorado. Entre 11h19 et 12h08, deux élèves du lycée Columbine ouvrent le feu sur leurs camarades d’école et leurs professeurs, faisant 13 morts (12 lycéens et un professeur) et 24 blessés. Une fois leur massacre terminé (plus de 900 balles tirées), Eric Harris (18 ans) et Dylan Klebold (17 ans) se suicident.

Retour sur une tuerie devenue emblématique depuis les films de Michael Moore (Bowling for Columbine, 2002) et Gus Van Sant (Elephant, Palme d'or à Cannes en 2003). Elle reflète deux problèmes majeurs de la société américaine : le harcèlement scolaire et la circulation des armes à feu...

Charlotte Chaulin

Image de surveillance montrant les deux assaillants dans la cafétéria du lycée Columbine.

Quand deux lycéens se transforment en tueurs fous

Le 20 avril 1999, à 11h, Eric Harris est garé près du lycée de Columbine. Quand un de ses amis vient le voir, il lui conseille de rentrer chez lui. Lorsqu’il sort de sa voiture, on voit sur les caméras de surveillance de l'établissement qu’il porte un t-shirt blanc avec une inscription : « Natural Selection » (« Sélection naturelle »).

Au même moment, garé un peu plus loin, Dylan Klebold sort également de sa voiture. Sur son t-shirt est écrit le mot « Wrath » (« Colère »). Leur programme est clair et bien lisible.

Les deux amis se dirigent vers la cafétéria qui est bondée, c’est l’heure de pointe. Ils ont des sacs de sport à la main contenant des bonbonnes de propane piégées sensées exploser à 11h17.

À 11h18, toujours rien. Les bombes ne se sont pas déclenchées. Les deux lycéens passent alors à l’acte II de leur terrible plan. Ils retournent à leur voiture, enfilent un manteau noir, et s’emparent chacun d’armes à feu : fusils à pompe et 9 millimètres semi-automatiques.

Ils grimpent tout en haut du bâtiment. De là, ils ont une vue d’ensemble sur les parkings et la sortie de la cafétéria...

À 11h19, un habitant de Littleton appelle le 911 et signale une explosion dans un champ à 800 mètres de l’école. Cette explosion est une diversion imaginée par Eric et Dylan pour éloigner les forces de police.

Eric Harris (àgauche) et Dylan Klebold (à droite)

Profitant de l'éloignement temporaire de la police, les deux jeunes se transforment alors en monstres sanguinaires et tirent sur tout ce qui bouge. Des élèves qui déjeunent dans l’herbe sont touchés. Une fille décède sur le coup. En une seconde, c'est la panique. Dans la cafétéria, les lycéens se sont réfugiés sous les tables. Sans même réaliser ce qu'il se passe, les élèves sont motivés par leur instinct de survie. Les premiers appels arrivent au 911.

À 11h26, Eric et Dylan pénètrent dans la bibliothèque où sont cachés cinquante-six élèves. Ils continuent à tirer sans sommation sur certains élèves, tout en discutant et laissant la vie sauve à d’autres. Personne ne peut expliquer le choix qu'ils ont fait parmi les victimes. Lorsqu'un des deux tueurs demande à une fille si elle veut mourir et que cette dernière répond, la voix tremblante, « non », elle est épargnée. Pourtant, aucun élève ne souhaitait mourir ce jour-là.

Sous une table, deux élèves. Eric fait remarquer à son camarade, en rigolant, que l’un des deux est noir. Dylan veut le faire sortir de sous la table mais Eric arrive et le tue sur le champ. Même si le motif de la fusillade n'est pas raciste, les tueurs semblent cultiver une haine profonde envers les noirs. 

À 11h56, ils sortent de la bibliothèque. Tandis que les survivants vont se cacher ailleurs, les meurtriers pénètrent dans la cafétéria. Un étudiant caché sous les tables entend : « Aujourd’hui le monde va vers sa fin, aujourd’hui c’est le jour où nous allons mourir ».

À 12h, ils retournent finalement vers la bibliothèque, tirent vers les policiers depuis la fenêtre, puis se suicident. Leur épopée sanglante, qui a duré moins d’une heure, est, enfin, terminé.

À 13h, alors que les chaînes de télévision sont déjà là, le S.W.A.T. (Special Weapons And Tactics), l’unité d’élite de la police, entre dans le lycée, arme au poing. Ils avancent dans le bâtiment et découvre des élèves terrorisés, blessés ainsi que des cadavres. Ils ne savent pas que les tueurs sont morts.

À 14h38, une scène montrant Patrick Ireland, l’un des blessés vacillant, chancelant, à la fenêtre de la bibliothèque, est diffusée en direct par toutes les chaînes d’information. Les policiers parviennent à le récupérer. Cette image restera l'une des scènes marquantes de la fusillade de Columbine.

L’école n’est déclarée sûre par les forces policières qu’à 16h30.

(À droite) Patrick Ireland est récupéré par les forces policières depuis la fenêtre de la bibliothèque du lycée Columbine, (à gauche) le même homme raconte cet épisode vingt ans plus tard.

Les motifs

Pourquoi une telle tuerie ? Les médias racontent que les tueurs appartiennent à la mouvance néonazie.  

Dylan Klebold est un adolescent sans histoire, son père est ingénieur et sa mère travaille dans le social. Il est déprimé, introverti et influençable. Au contraire, Eric Harris est, lui, un leader. Sur son carnet de correspondance, sous sa photo, il a écrit « I’m God ». Très narcissique, ce fils de militaire a des envies de domination et de meurtres depuis longtemps.

Toute la colère et les pulsions meurtrières d’Eric sont dans son journal intime depuis un an. Six mois avant le massacre, le 22 novembre 1998, il écrit « Écoutez bien vous tous, aujourd’hui est un jour à marquer d’une pierre blanche dans mon histoire. Avec Dylan et quelqu’un que je ne nommerai pas, nous sommes allés en ville et nous avons acheté les choses suivantes : un fusil de chasse calibre 12, double canon, un fusil à pompe calibre 12, une carabine 9mm, quinze balles de calibre 12, quarante cartouches pour fusils de chasse, deux couteaux à grand d’arrêt et des chargeurs de carabine. Nous avons des armes, vous êtes morts sale fils de pute. Looser, c’est terminé maintenant. C’est le point de non-retour. »

Dans le journal de Dylan, le déroulé de la tuerie est décrit minute par minute. Tout était minutieusement programmé. Mais d’où vient alors cette folle envie de revanche ?

Têtes de turcs, les deux élèves étaient bousculés et moqués par les sportifs du lycée. Malgré leurs caractères différents, ils se sont rapprochés face à l’adversité, Dylan se sentant en sécurité et défendu auprès d’Eric. Ils veulent prendre leur revanche. Le harcèlement scolaire peut traumatiser n’importe qui. Mais jusque-là, ses conséquences n’avaient jamais pris une telle ampleur.

Quatre mois avant de passer à l’action, Eric et Dylan réalisent une vidéo dans le cadre d’un projet scolaire. Elle raconte l’histoire d'un lycéen qui veut se venger de ses camarades qui le martyrisent. Pour se faire, il engage deux tueurs à gage. Les justiciers portent de longs manteaux noirs et tirent sur les élèves du lycée avec des armes en plastique. Une terrible vidéo prémonitoire. Une sorte de répétition générale. 

L’après Columbine

Alors qu'à 9.000 kilomètres de Littleton, des avions américains bombardent les positions serbes en Yougoslavie, en pleine Guerre du Kosovo, les États-Unis mènent une guerre lointaine. Pour beaucoup d'Américains, la guerre est hors de portée, elle n'est que fiction. Pourtant, les armes tuent là-bas, comme à l'intérieur du pays.

Il s’agit à cette époque de la tuerie de masse la plus importante en milieu scolaire de l’histoire du pays depuis la Seconde Guerre mondiale. En  1927, Andrew Kehoe, agriculteur, voit d'un mauvais oeil la levée d'un nouvel impôt permettant l'ouverture d'une école dans une petite ville du Michigan, Bath Township. Réalisant qu'il est sur le point de perdre toute sa fortune, il fait exploser des dizaine de kilos de dynamite dans l'école, tuant quarante-cinq personnes (principalement des élèves) et lui-même. Il devient ainsi l'auteur d'un des premiers attentats-suicides de l'histoire. 

Logo de la National Rifle Association (NRA), créée en 1871Les années 1990 ont vu se multiplier les cas de violences armées au sein des établissements scolaires. Les motifs sont variés : satanisme, règlement de compte ou encore problèmes psychiatriques comme chez Kipland Kinkel. Moins d'un an avant la fusillade du 20 avril 1999, cet adolescent de 16 ans tue deux de ses camarades de classe et fait 25 blessés au lycée Thurston de Springfield, dans l'Oregon, le 21 mai 1998. Il avait au préalable tué ses deux parents. 

Mais l'ampleur de la tuerie de Columbine met sur le devant de la scène le débat sur la circulation des armes à feu. La facilité avec laquelle les deux jeunes se sont procurés des armes à gros calibre terrifie. La plupart des balles proviennent d’un supermarché de la ville.

L’efficacité de l’intervention policière a aussi été questionnée, le lycée ayant été déclaré sûr à 16h30, environ 4h30 après le suicide des deux tueurs. Pour James Gagliano, ancien agent de la police fédérale (FBI) interrogé par la chaîne CNN, la tuerie a encouragé les forces de l’ordre à intervenir plus rapidement, y compris les officiers de patrouille, qui sont les premiers sur les lieux.

« Vous allez vers le son des coups de feu. Avant, vous arriviez sur le terrain de la fusillade et vous inspectiez chaque pièce lentement et méthodiquement. Maintenant, vous cherchez le tireur le plus rapidement possible », explique-t-il à la chaîne américaine.

Les lycéens, quant à eux, multiplient depuis la tuerie de Columbine des exercices de confinement et d’évacuation pour se préparer à l’éventualité d’une fusillade. Un contexte tout sauf sécurisant pour des jeunes en pleine construction...

Emblématique, la fusillade de Columbine qui a traumatisé durablement les États-Unis, a donné lieu à un célèbre documentaire de Michael Moore, Bowling for Columbine, qui a remporté le 55ème Prix du Festival de Cannes, un César et un Oscar en 2002, et à un film de Gus Van Sant, Elephant, qui a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes en 2003.

Dans le documentaire de Michael Moore, on assiste à une manifestation qui se déroule peu de temps après la tuerie contre le National Rifle Association (NRA), à Denver, à quelques kilomètres de Columbine. Le NRA, lobby américain de l'armement qui défend « les libertés fondamentales » que sont la détention et l'utilisation des armes à feu, a soutenu l'élection de Ronald Reagan en 1986. En 1999, il pèse fortement en politique, s'alliant notamment avec des groupes conservateurs contre l'avortement ou le mariage homosexuel. En plein coeur de la manifestation, le père d'une victime prend la parole : « Je suis ici parce que mon fils Daniel aurait voulu que je vienne. Si mon fils ne comptait pas parmi le nombre des victimes, il serait ici avec moi. Quelque chose ne tourne pas rond dans ce pays. Quand un enfant peut prendre une arme aussi facilement et tirer une balle dans le visage d'un autre enfant, comme c'est arrivé à mon fils, il y a un problème. Mais le moment est venu de comprendre enfin qu'un 9 milimètres semi-automatiques comme celui qui a tué mon fils ne sert pas à tuer le cerf. Il n'est d'aucune utilisé. Il est temps d'aborder ce problème. »

Affiche du film Bowling for Columbine de Michael Moore (2002) (à gauche) et affiche du film Elephant de Gus Van Sant (2003) (à droite)

Depuis Columbine, les tueries dans les établissements scolaires ont continué. Pour le psychologue américain Peter Langmann, Eric Harris et Dylan Klebold ont exercé une influence plus ou moins directe sur 43 auteurs de fusillade en milieu scolaire dans le monde. Cela s’explique selon lui par « Le fait que les gens perçoivent les auteurs de l’attaque comment des enfants harcelés ayant tenu tête à leurs oppresseurs. Ce qui est une méprise totale ». Aujourd'hui, le phénomène existe encore et les « fans » de la tuerie de 1999 ont même un surnom, « les Columbiners ».

Le 16 avril 2007, un étudiant de 23 ans d’origine coréenne tue 32 personnes avant de se donner la mort sur le campus de Virginia Tech, à Blacksburg, en Virginie. Le 14 décembre 2012, un jeune homme tue 27 personnes dont 20 enfants de cours primaire, dans l’école de Sandy Hook à Newtown, dans le Connecticut, avant de se suicider.

Le 14 février 2018, au lycée de Parkland, en Floride, Nikolas Cruz tue 17 de ses camarades, faisant de cette tuerie l’une des plus meurtrière survenue en milieu scolaire. Qualifié par les élèves de son lycée de « raciste » et de « psychopathe », le tueur aurait été porté par sa haine envers les Juifs et les femmes. Cette fusillade ouvre de nouveaux le débat sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis. L’État de Floride choisit de fixer l’âge légal pour acheter une arme à feu à 21 ans au lieu de 18 ans le 9 mars 2018.

Mais la législation est difficile à modifier, le port d’arme étant quasiment inscrit dans l’ADN américain. George Washington a en effet ajouté le port d'arme dans le deuxième amendement du Bill of Rights, qui complète la Constitution des États-Unis d'Amérique en 1791. Cet amendement légalise « le droit de chacun de posséder et de porter une arme » et précise que ce droit « ne doit pas être enfreint, pour ce qu’une milice bien organisée est nécessaire à la sécurité d’un État libre ». Un État libre, certes, mais dans lequel il y a plus d'armes en circulation que d'Américains et où les fusillades sont devenues monnaie courante.

Nikolas Cruz, le tueur du lycée de Parkland en Floride, maîtrisé par les forces policières le 14 février 2018 après que le jeune homme ait tué 17 de ses camarades.

Publié ou mis à jour le : 2021-01-23 15:06:01
shaïtan (18-08-2019 11:40:11)

Triste humanité souffrante.

Jean-Maurice Huard (15-08-2019 12:19:09)

Il va de soi, de ce côté-ci de l'Atlantique, que la détention et le port d'armes devraient être contrôlés sévèrement... comme dans nos pays qui sont - bien sûr - des exemples de paix et de sÃ... Lire la suite

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