Le 15 avril 1994, à Marrakech (Maroc), les représentants de 128 pays s'accordent sur la création d'une organisation internationale de concertation et d'arbitrage destinée à garantir la libre circulation des marchandises dans le monde ainsi que les échanges de services et la propriété intellectuelle : l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce).
La nouvelle organisation naît officiellement le 1er janvier 1995 et s'établit à Genève (Suisse), dans les locaux précédemment occupés par le secrétariat du GATT (General agreement on Tariffs and Trade, en français, « Accord général sur les droits de douane et le commerce »), une instance informelle qui a oeuvré à partir de 1948 à la suppression des droits de douane partout dans le monde.
Le GATT, à l'instant où il est remplacé par l'OMC, peut se targuer d'une franche réussite, les droits de douane sur les marchandises ayant chu en moyenne de 40% à 6%. Sur le berceau de la nouvelle organisation se penchent donc autant de bonnes fées que souhaitable : l'implosion de l'URSS en 1989-1991, la création officielle de l'Union européenne le 1er janvier 1993 et le projet de monnaie unique européenne, enfin l'aboutissement des « Quatre modernisations » en Chine communiste par Deng Xiaoping. Le monde entier ou presque s'ouvre désormais aux vertus du libre-échange et chacun va pouvoir vérifier sur pièces les bienfaits du « doux commerce » vanté par Montesquieu...
Succès et échecs de la mondialisation
Après la chute du nazisme, les Occidentaux ont souhaité tourner le dos aux pratiques néfastes qui avaient accompagné les deux conflits mondiaux : manipulations monétaires, protectionnisme douanier et politiques déflationnistes (baisses des salaires, rigueur budgétaire, etc.).
Sans attendre la fin de la guerre, une conférence financière a réuni à Bretton Woods (New Hampshire) en juillet 1944 les représentants de 44 nations. Il s'en est suivi une complète réforme du système monétaire mondial avec des monnaies désormais alignées sur le dollar, la monnaie de la nouvelle superpuissance américaine étant elle-même seule à pouvoir être convertie en or à un cours imposé.
Ainsi les accords de Bretton Woods mettent-ils en place le Gold Exchange Standard. Il perdurera jusqu'au 15 août 1971 (fin de la convertibilité du dollar en or).
Dans la foulée de ces accords, les représentants de 23 États occidentaux se réunissent à La Havane (Cuba) en 1947-1948 afin d'assainir les échanges commerciaux pollués par les pratiques protectionnistes de la génération antérieure.
Ils ébauchent le GATT et vont l'étoffer au fil de huit cycles successifs de rencontres (rounds) tout en accueillant en leur sein de nouveaux candidats parmi les nombreux pays issus de la décolonisation, jusqu'à un total de 128 en 1994.
En 1964-1967, les négociateurs américains du Kennedy Round, qui se tient à Genève, s'appliquent à développer une zone de libre-échange entre l'Amérique du nord et l'Europe. Ils en seront empêchés par le veto français à l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché Commun. Ils vont malgré tout réussir à asseoir la prépondérance économique des États-Unis sur le monde libre par l'abaissement multilatéral de très nombreux droits douaniers.
L'Uruguay round (1986-1994) parachève le GATT en décidant de saborder celui-ci et de le remplacer par une organisation internationale formelle, l'OMC, dotée d'un organe exécutif et surtout d'un organe de règlement des différends. Cette instance d'arbitrage se voit chargée de régler les conflits commerciaux entre les États membres avec même le droit de sanctionner ceux qui refuseraient ses avis.
Dans la déclaration fondatrice de l'OMC, il est question de « l’ouverture des marchés pour les marchandises », « la protection des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce », la volonté de résister aux pressions protectionnistes de toute nature », « l’accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services » (mais rien, bien évidemment sur les droits sociaux ou l'environnement, hors sujet).
L'OMC, dans le but de libéraliser autant que possible les échanges, introduit la « clause de la nation la plus favorisée » : toute nation se voit le droit de revendiquer auprès d'un quelconque partenaire les avantages commerciaux accordés par celui-ci à tout autre partenaire.
Dans les premières années de sa fondation, l'OMC va de succès en succès, tant il est vrai que le commerce mondial est encore dominé par les États occidentaux, tous ou presque libéraux et à des degrés de développement similaires.
Mais en 2001, désireuse d'accélérer la baisse des prix industriels, l'OMC prend le risque d'admettre en son sein la Chine populaire en dépit de son économie très peu respectueuse des règles libérales. L'État chinois reste en effet majoritaire dans le capital de toutes les grandes entreprises stratégiques du pays, ce qui lui permet de subventionner celles-ci et de les aider à acheter leurs rivales occidentales riches en technologie et en savoir-faire. Il domine aussi tout le secteur bancaire et manipule de ce fait la monnaie chinoise en la sous-évaluant artificiellement de façon à écraser par les prix toute forme de concurrence.
C'est ainsi que la Chine va profiter à plein à partir de 2005 du démantèlement des accords multifibres, prévu par les accords de Marrakech en marge de la création de l'OMC. Il s'agit d'accords dérogatoires au GATT qui fixaient en matière de textiles et vêtements des quotas d'importations pour les différents pays producteurs. Leur démantèlement va se ravaler ravageur pour les dernières entreprises textiles occidentales mais aussi pour les industries textiles des pays du pourtour méditerranéen (Turquie, Tunisie,...), incapables de résister au rouleau-compresseur chinois.
Affectée par la délocalisation massive de ses industries vers les pays à bas coût et en premier lieu la Chine, l'Union européenne tente de réagir en multipliant les accords commerciaux bilatéraux avec des nations ou des groupes de nations susceptibles de lui offrir de nouveaux marchés (Canada, Mercosur, Nouvelle-Zélande, Afrique, etc.). D'une trentaine en 1980, les accords commerciaux de ce type passe à près de trois cents aujourd'hui. Ils constituent une écharde dans la charte de l'OMC en remettant en question la clause de la nation la plus favorisée.
Dans le même temps, les pays occidentaux poussent leurs exportations de produits agro-alimentaires vers les pays pauvres à grand coup de subventions. Cette autre entorse aux bonnes pratiques du libre-échange casse les efforts de la paysannerie africaine, concurrencée par le poulet, les céréales et le lait européens sur ses propres marchés. L'organe de règlement des différents de l'OMC est aussi saisi par les États africains qui s'émeuvent de la concurrence des États-Unis sur le marché du coton, Washington maintenant ses derniers producteurs de coton à grand coup de subventions.
Très vite, la crise des subprimes et l'essoufflement de la croissance chinoise signent l'échec de la « troisième mondialisation » et le ralentissement de la progression des échanges commerciaux. Celui-ci est acté par la conférence de l'OMC du 29 juillet 2008, qui clôture les négociations de Doha (Doha Round, 2001-2008). Malgré cela, l'OMC s'élargit en 2007 au Vietnam et en 2011 à la Russie, que les Européens et en particulier les Allemands regardent avec gourmandise en dépit de ses dérives autoritaires.
En 2015, pour la première fois depuis plusieurs décennies, le commerce mondial progresse moins vite en valeur que la production mondiale. Chaque grande région de la planète tend aussi à se replier sur ses ressources propres, la Chine commerçant prioritairement avec ses voisins du Pacifique et de la mer de Chine, les Européens avec les Américains et le monde méditerranéen, etc.
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