Le 2 décembre 1993, à Medellin (Colombie), la police abat Pablo Escobar, 44 ans, qui a dominé pendant près de vingt ans le trafic de la cocaïne, une drogue extrêmement violente produite à partir de la coca.
Vingt-cinq après, le baron de la drogue revient sur le devant de la scène avec la sortie du film Escobar (avril 2018) et le succès de la série télévisée Narcos commencée en 2015…
Vers la mondialisation du narcotrafic
L’histoire de la cocaïne et des trafics illégaux remonte aux colons espagnols. Ceux-ci préconisaient l’usage de la coca car sa mastication était censée augmenter le rendement des travailleurs indiens !
Son usage se diffuse en Europe au XIXe siècle avant de revenir vers les États-Unis qui le popularisent avec l’invention du Coca-Cola. Même si la cocaïne a aujourd’hui été enlevée de la recette, la célèbre boisson contient encore des feuilles de coca.
Le narcotrafic ou trafic de la drogue (cocaïne) va prendre une ampleur mondiale au milieu du XXe siècle.
Si la Colombie est aujourd’hui connue comme le pays de la cocaïne, cela n’a pas toujours été le cas. Avant les années 1970, c’était le Chili qui occupait la première place parmi les pays exportateurs.
Mais en 1973, le président élu Salvador Allende est victime d’un coup d’État mené par le général Augusto Pinochet, lui-même aidé par les États-Unis. Une des conséquences a été la fermeture de tous les laboratoires de drogue clandestins, sous la pression américaine. Les narcotrafiquants sont alors partis au Pérou, puis en Colombie.
C’est ce dernier pays qui va devenir le centre du trafic, profitant de sa position plus septentrionale, et donc plus proche des États-Unis, pour exporter la cocaïne produite vers le continent nord-américain. La misère et le faible taux de scolarisation facilitent le développement d’activités illégales.
Dans les années 1980, le trafic prend une plus grande ampleur, notamment autour de la figure de Pablo Escobar, « parrain » du cartel de Medellin, qui contrôle jusqu’à 80% du trafic mondial. Il exporte 70 à 80 tonnes de cocaïne vers les États-Unis chaque année.
Medellin (2 millions d’habitants), dans une vallée andine à 300 km au nord-ouest de Bogota, est la deuxième ville de Colombie et la capitale de la province d’Antioquia, où Pablo Escobar a vu le jour le 1er décembre 1949.
Grâce à sa fortune mal acquise de quelques milliards de dollars, ce dernier dote la province des infrastructures qui lui font défaut : hôpitaux, logements, écoles, terrains et équipes de foot… Aussi est-il vu comme un bienfaiteur par ses compatriotes au point d’être élu député suppléant en 1982 ! À la même époque, les trois quarts de l’économie de Medellin dépendent de ses investissements.
Guerre aux narcotrafiquants
Personnage ambigu, entre Robin des bois et hors-la-loi violent, Pablo Escobar fascine. Mais il épouvante tout autant. Les dirigeants colombiens comme américains ne vont pas longtemps tolérer que ses trafics échappent à leur contrôle. Le problème pour les États-Unis est l’argent qui sort du pays autant que la drogue qui y entre.
Le 14 septembre 1986, lors d’un discours resté célèbre, le président américain Ronald Reagan s’adresse à son pays depuis son appartement de la Maison Blanche en compagnie de sa femme : « Les drogues menacent notre société. Elles menacent nos valeurs et s’en prennent à nos institutions. Elles tuent nos enfants. » C’est finalement Mme Reagan qui conclut en lançant une « nouvelle croisade nationale » contre la fameuse poudre blanche.
Les États-Unis et la Colombie s’accordent alors sur un traité d’extradition qui permettrait de juger aux États-Unis les narcotrafiquants arrêtés en Colombie avec l’aide des forces américaines et notamment de la DEA (Drug Enforcement Administration). Jusque-là, toute arrestation par le gouvernement colombien n’était pas crédible en raison de la corruption des juges si facile pour des hommes aussi riches.
Pablo Escobar avertit : « Je préfère une tombe en Colombie que l’extradition. »
Guerre civile
Dans la bataille qu’ils s’apprêtent à livrer, les narcotrafiquants qu’on commence à appeler « narcoterroristes » offrent à leurs adversaires une alternative : plata o plomo, « l’argent ou le plomb ». Si la corruption ne permet pas d’influencer les hommes politiques et les juges, il faut les tuer. Trois des candidats aux élections présidentielles de 1989 sont ainsi assassinés par les sicarios (« hommes de main ») de Pablo Escobar. Cette milice de trois mille hommes est à l'origine de plusieurs milliers d'assassinats chaque année.
Puisque le gouvernement colombien ne veut pas renoncer au traité d’extradition, la guerre civile est lancée. D’un côté sont tous les agents de l’État, policiers, hommes politiques, juges, etc ; de l’autre sont tous les « Extraditables », c’est-à-dire les narcotrafiquants et leurs hommes, qui ont aussi le culot de soutenir financièrement les guérilleros maoïstes des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie).
En juin 1991, Pablo Escobar accepte de se rendre aux autorités colombiennes à une seule condition… il aménagera lui-même sa prison ! Si cela permet d’isoler le parrain des narcotrafiquants, cela ne l’empêche pas d’organiser son commerce depuis sa résidence. Il va même jusqu’à tuer un de ses acolytes dans sa prison.
En juillet 1992, alors qu’il doit être transféré dans un centre carcéral plus conventionnel, Pablo Escobar s’enfuit. La traque organisée par la police colombienne et la DEA américaine s’accélère, jusqu’à ce qu’il soit rattrapé et tué le 2 décembre 1993.
La tête est tombée, mais le corps vit encore !
Si la tête de Pablo Escobar est tombée, le trafic n’est pas mort. Il se réorganise. Le cartel de Cali, ville plus modeste au sud de Medellin, déjà puissant, profite du vide pour se développer et revenir à la coopération internationale, notamment avec les Mexicains.
Malgré les politiques nationales et internationales de destruction des champs de coca et de démantèlement des réseaux, les surfaces cultivées en coca vont continuer à s'accroître jusqu’à aujourd’hui cependant que leur productivité augmente.
La lutte contre les narcotrafiquants rencontre de nombreuses difficultés. D’un point de vue économique, la culture de la coca est très lucrative et il est difficile de trouver une activité aussi intéressante pour les agriculteurs dans des pays où les infrastructure manquent.
Le problème est aussi politique car les réseaux trafiquants sont très bien intégrés au monde qui les entoure. Lutter contre eux implique de s’attaquer aussi aux organisations paramilitaires qui tirent leurs revenus, et leurs effectifs, du trafic de drogues. À cela s’ajoute ce qu’on appelle la « parapolitique », c’est-à-dire le lien entre organisations paramilitaires et hommes politiques (on estime que la moitié des députés colombien sont impliqués dans une affaire de ce type). Enfin, le trafic de drogues est lié à d’autres formes de trafic, notamment d’armes voire d’êtres humains.
Aujourd’hui, la géographie du narcotrafic a changé : l’Europe ainsi que l’Asie sont devenus des marchés très importants pour écouler la cocaïne ; le passage par la nouvelle plaque tournante qu’est l’Afrique de l’Ouest permet de multiplier les routes commerciales et donc de rendre plus difficile tout contrôle.
Si l’organisation des narcotrafiquants a évolué, l’enjeu reste le même : comment un pays peut-il lutter contre des réseaux souvent plus riches que lui ? En faisant appel aux États-Unis. Mais ce faisant, il accepte une ingérence étrangère dans les affaires de politique et d’économie intérieures.
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JdB (05-06-2018 12:17:20)
Comme souvent avec Pablo Escobar et la Colombie, les approximations, sinon les erreurs, abondent. Escobar n'a fasciné que comme un malfaiteur à très grande échelle. Mais pour la très grande majo... Lire la suite