Le 2 Avril 1982, les Argentins ont appris à leur réveil que leur armée avait débarqué sur les îles Malouines, un archipel de l’Atlantique sud devenu britannique en 1833 et que l’Argentine n’avait jamais cessé de revendiquer depuis lors.
Trois jours avant le débarquement, le 30 mars 1982, une mobilisation ouvrière avait réuni près de 40 000 personnes à Buenos Aires, sur la Plaza de Mayo, devant la Casa Rosada, siège du gouvernement national, pour réclamer la fin de la dictature militaire, instaurée par le coup d’État du 24 mars 1976.
En lançant son armée sur les Malouines, le gouvernement avait retourné l’opinion en sa faveur et, quelques jours plus tard, la même Plaza de Mayo était le scénario d’une concentration massive de soutien à la récupération des îles.
Les îles Malouines (Islas Malvinas en espagnol) sont un archipel désolé de l'Atlantique Sud, à 500 kilomètres des côtes argentines. Il est composé de deux îles principales, West Falkland (Gran Malvina) et East Fakland (Soledad), entourées de deux cents îlots, avec une superficie totale à peine plus grande que la Corse (11410 km²) et une population de 3400 habitants (2020), essentiellement des éleveurs de moutons. Elles doivent leur nom espagnol aux pêcheurs de Saint-Malo qui les ont fréquentées au XVIIe siècle. Elles ont été rebaptisées Fakland Islands en 1833 par les Anglais, en référence à un aristocrate du XVIIe siècle. La principale ville est Port Stanley (Puerto Argentino), sur East Fakland. Les îles de Géorgie du Sud et Sandwich du Sud, à quelques centaines de kilomètres plus à l’est, sont une dépendance des Malouines.
Une rivalité aux racines anciennes
Dès 1806 et 1807, les Anglais ont essayé à deux reprises d'occuper militairement Buenos Aires, alors capitale de la vice-royauté espagnole du Río de la Plata et donc alliée à Napoléon Ier !
Les habitants se sont organisés et ont chassé l’envahisseur dans un combat de rues, par une victoire inattendue sur la puissante Angleterre. De cette résistance est né l'embryon d’une armée à moitié créole qui allait permettre aux habitants de Buenos Aires, les Portenos, de renverser les autorités espagnoles, constituer le premier gouvernement autonome et déclarer enfin l’indépendance en 1816.
Ces « invasiones inglesas » ont contribué à créer un sentiment patriotique qui a opéré depuis comme mythe fondateur de l’Argentine. Elles ont nourri aussi un sentiment anti-britannique qui fait partie de l’identité nationale. Depuis toujours les écoliers argentins apprennent que leurs ancêtres ont chassé à deux reprises les Anglais et que les Malouines sont argentines. C’est peut-être la seule cause qui suscite un consensus national dans le pays !
Un archipel très disputé
La première occupation effective des îles Malouines pour y construire une base d'approvisionnement a été l'œuvre d’une expédition française dirigée par Louis Antoine de Bougainville.
En 1764, elle a pris possession formelle de l’archipel au nom de Louis XV et lui a donné le nom de son port d’attache, Saint-Malo, de sorte que les îles seront appelées Malouines (plus tard Malvinas, en espagnol).
Mais la Couronne espagnole a tout de suite obtenu que les îles lui soient cédées car le droit international de l'époque reconnaissait la souveraineté de l’Espagne sur les archipels de l’Atlantique sud en vertu de la paix d’Utrecht de 1713. Francisco de Paula Bucarelli, gouverneur espagnol de Buenos Aires, prit donc le contrôle des Malouines à partir de 1768.
Lorsque l'Angleterre occupa les Malouines en 1833, celles-ci étaient gouvernées par des autorités désignées par Buenos Aires. Mais la jeune république argentine n’était pas en position de résister à cette invasion étant donné la disproportion de forces.
Un jeune homme du nom de Charles Darwin (22 ans), embarqué comme naturaliste sur le navire Beagle de l’explorateur Robert Fitz Roy, est passé par les Malouines en 1833. Voici son témoignage: « À notre grande surprise, nous avons trouvé hissé le drapeau anglais. J’imagine que l’occupation de cet endroit n’a presque pas été informée par les journaux anglais, mais nous avons entendu que toute la partie australe de l'Amérique est indignée par cette affaire. D’après le terrible langage de Buenos Aires, on pourrait imaginer que cette grande République prétend déclarer la guerre à l’Angleterre ! Ces îles offrent un aspect misérable, même pas un arbre. Mais par leur emplacement elles seront d’une grande importance pour la navigation » (dans Malvinas 1833. Antes y después de la agresión inglesa – « Malouines 1833. Avant et après l'agression anglaise » -, Arnoldo Canclini, Editorial Claridad, 2017).
Beaucoup plus tard, en 1964, Buenos Aires obtient de l’ONU qu’elle reconnaisse la dispute de souveraineté entre le Royaume-Uni et l’Argentine dans le cadre d’une situation coloniale et invite les deux parties à chercher une solution par le dialogue. Les Argentins rejettent la prétention britannique de faire valoir le droit à l’autodétermination des habitants des îles, étant donné que ceux-ci sont arrivés à la suite de l’occupation.
Les Argentins débarquent à leur tour !
Suite à une agitation d’extrême-gauche, l’Argentine voit une junte militaire s’emparer du pouvoir le 24 mars 1976. Mais elle se montre rapidement incapable de restaurer la paix civile et redresser l’économie. Elle va tenter de se relancer avec l’opération Rosario, nom de code donné au débarquement aux Malouines, et la réaction initiale de l’opinion publique argentine, qui a pratiquement plébiscité l’action, a semblé lui donner raison. Mais la dictature avait mal mesuré la réaction internationale à l’invasion et surtout celle des États-Unis.
Après le coup d’État de 1976, Buenos Aires et Washington avaient connu des rapports tendus à cause de l'accent mis par le président James Carter (démocrate) sur le respect des droits humains. D’un autre côté, l'Argentine, en tant que fournisseur de grains, entretenait d'excellents échanges commerciaux avec l’Union Soviétique. Au point que la junte n’avait pas obéi à l'embargo imposé par Washington à Moscou en réaction à l'invasion de l'Afghanistan.
L’arrivée du républicain Ronald Reagan à la Maison Blanche en 1981 change la donne. Le général argentin Leopoldo Galtieri, chef de l’armée de terre, se rend deux fois à Washington et obtient l’aval à un putsch interne qui a lieu en décembre 1981. Galtieri s’empara du pouvoir et devient le troisième président de facto de la dictature.
Lors d’une conférence à Paris le 1er mai 1982, le journaliste et analyste international Christopher Roper, créateur de la Latin American Newsletter, affirma que la Maison Blanche aurait obtenu de l’Argentine qu’elle s’éloignerait de l’Union Soviétique et permettrait l’installation de bases militaires américaines en Patagonie, en échange de quoi les États-Unis feraient pression sur Londres pour une réponse rapide aux revendications argentines sur les Malouines.
Il est possible que la junte ait cru que Washington forcerait Londres à négocier. Atilio Molteni, attaché d’affaires argentin au Royaume-Uni au moment de la guerre, a déclaré ́récemment : « Ce fut une grave erreur de vouloir récupérer les Îles Malouines pour ensuite négocier. Parce que, dans le cadre de la guerre froide, les États-Unis ne pouvaient admettre qu’un de leurs alliés parmi les plus importants au sein de l’OTAN soit obligé à un compromis imposé par la force ».
De fait, l’administration Reagan n’a jamais reconnu avoir encouragé l’opération militaire mais la plupart des observateurs de l’époque affirment que certains de ses collaborateurs avaient au moins promis une neutralité en cas de conflit.
Le 19 mars 1982, en guise de ballon d'essai, des militaires plantent le drapeau argentin sur en Géorgie du Sud. Le 2 avril 1982, 5 000 militaires entrent sans coup férir à Port Stanley et chassent la petite garnison britannique (70 hommes). Les seules victimes sont un officier argentin et trois civils.
Dans presque toutes les villes argentines le peuple en liesse fête la « reconquête » des Malouines, de quoi enivrer encore plus une junte militaire assez peu réaliste dans son appréciation de la situation.
Mais contre toute attente, la Premier ministre britannique Margaret Thatcher, à la peine dans les sondages d'opinion du fait de sa dureté à l'égard des syndicats, réagit avec une fermeté inattendue. Elle voit dans le défi argentin l’occasion de rehausser sa popularité en en appelant à l'orgueil impérial, quoique les Britanniques connaissaient à peine l'existence de ces îles lointaines. Au pouvoir depuis 1979, la « Dame de Fer » écarte d'emblée toute idée de négociation. Elle fait de la reconquête de cet archipel du bout du monde, à 15 000 kilomètres de Londres, une question de principe et mobilise les meilleures unités de la Navy pour le récupérer.
Le déroulement de la guerre
Solidaires de leur allié britannique, les États-Unis lui livrent des armes ainsi que de l’information satellitaire cependant que la Communauté économique européenne annonce des sanctions économiques contre l’Argentine ! Buenos Aires échoue de son côté à faire valoir le TIAR (Traité Interaméricain d'Assistance Réciproque) qui réunit la plupart des pays du continent, États-Unis inclus.
Le Conseil de Sécurité de l’ONU, réuni d’urgence, émet le 5 avril la résolution 502 qui exige le retrait immédiat des forces argentines et demande à l'Argentine et au Royaume-Uni de rechercher une solution diplomatique à leurs différends.
De leur côté, les Argentins peuvent compter sur l’aide de l’URSS. Ils bénéficient en particulier des données fournies par les satellites soviétiques. En Amérique Latine, à l’exception du Chili du général Auguste Pinochet, tous les États affichent leur soutien à l’Argentine. Le Pérou ne craint pas de se prêter à une « triangulation » commerciale pour contourner l’embargo et acheter en Israël des armes destinées à l'Argentine.
Le président des États-Unis, Ronald Reagan, désigne le général Alexander Haig comme médiateur dans la dispute. Celui-ci rencontre à Washington le chancelier argentin Nicanor Costa Méndez. Le 8 avril, il va en Angleterre s’entretenir avec Margaret Thatcher. Le 10 avril le général Galtieri le reçoit à Buenos Aires. Une nouvelle manifestation populaire de soutien à la récupération des îles a lieu à la même date.
Les hostilités commencent les 24 et 25 avril par la reprise de la Géorgie du Sud. Elles éclatent pour de bon un mois plus tard, le 1er mai 1982, lorsque l’aviation britannique attaque à quatre reprises la capitale des Malouines, Port Stanley (Puerto Argentino selon les Argentins). Cela donne lieu aux premiers combats aéronavals et marque le commencement de la guerre proprement dite qui provoquera un total de 649 morts parmi les forces argentines et 255 morts du côté anglais jusqu’au cessez-le-feu du 14 juin 1982, six semaines plus tard.
Dès le 2 mai, Margaret Thatcher ordonne au sous-marin HMS Conqueror de couler le croiseur ARA General Belgrano, fleuron de la marine argentine, provoquant la mort de 323 Argentins, plus de la moitié des 649 pertes argentines totales de la guerre. Cette action est considérée par les Argentins comme un crime de guerre pour trois raisons: le Belgrano était hors de la zone de combat, la force utilisée était excessive et pas nécessaire, et l’attaque avait une finalité politique (le boycott de toute solution pacifique) ! Quelques années plus tard, Margaret Thatcher admit l'illégalité de cette opération, lorsqu’elle déclara : « Nous avons altéré les règles de combat pour pouvoir couler le Belgrano ».
Les Argentins contre-attaquent grâce aux avions Super-Etendard et aux missiles antinavire Exocet que l’Argentine avait achetés à la France. Paris en avait arrêté la livraison au début du conflit et les forces armées argentines ne comptaient que sur 5 avions et 5 missiles; la commande totale étant de 14 unités. Avec ce petit nombre, et malgré leur court entraînement, les pilotes argentins ont causé d’importants dégâts à la flotte anglaise. C'est d'ailleurs à la guerre des Malouines que les Exocet doivent leur célébrité.
Le 4 mai, le premier de ces missiles coule le destroyer Sheffield (un deuxième est tiré en même temps mais se perd dans les flots). Le Sheffield est le premier navire de guerre que perdent les Britanniques en opération depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Son naufrage se solde par 20 morts et 24 blessés.
Les Argentins frappent également les frégates Ardent et Antelope, le lance-missiles HMS Coventry (120 morts !), le porte-conteneurs Atlantic-Conveyor et le navire de débarquement Sir Galahad (53 morts). À leur actif aussi 18 avions. Eux-mêmes perdent en sus de leur croiseur un sous-marin, le Santa-Fé, et une bonne partie de leur aéronavale.
Le 21 mai 1982, le pape Jean-Paul II réunit des cardinaux britanniques et argentins lors d'une messe pour la paix. Le même jour, sur l’île d’East Fakland, les Britanniques débarquent à Port San Carlos, à l’opposé de Port Stanley.
De violents combats aéronavals endommagent encore quatre frégates, trois avions Harrier et deux hélicoptères. Le 24 mai, les frégates britanniques Antilope et Argonaut sont coulées. Le 30 mai, l’aviation argentine lance son dernier Exocet et endommage sérieusement le porte-avions Invincible à bord duquel se trouvait le prince Andrew, deuxième fils de la reine Elizabeth II.
Pendant ce temps, les troupes anglaises, renforcées de 3800 hommes, dont 300 Gurkhas, avancent sur Darwin et Pradera del Ganso (Goose Green). Le 26 mai, le Conseil de sécurité de l’ONU émet la résolution 505, désignant Javier Pérez de Cuellar comme médiateur. Sans succès. Le pape Jean-Paul II se rend en Argentine le 11 juin. Deux millions de personnes se réunissent pour prier avec lui…
Le 14 juin enfin, Port Stanley se rend aux Anglais. Les généraux Jeremy Moore et Mario Benjamín Menéndez conviennent d’un cessez-le-feu et les Argentins déposent les armes. Pour Buenos Aires, il n’y a pas de capitulation. L’honneur est sauf.
L’après-guerre
Le 20 juin 1982, la Grande-Bretagne déclare formellement la fin des hostilités.
Pour la dictature argentine, c'est le coup de grâce. Son chef, le général-président Léopold Galtieri est chassé du pouvoir le 29 juin 1982. Un régime constitutionnel démocratique se met en place et mène à l'élection à la présidence de la République du radical Raúl Alfonsín. L'année suivante, tandis que Galtieri est arrêté, Margaret Thatcher, revigorée par sa victoire des Malouines, gagne haut la main les élections législatives...
Les relations diplomatiques entre Londres et Buenos Aires seront seulement rétablies en 1990 par le président Carlos Menem.
Avant le conflit, les liens entre l’Argentine et les îles Malouines étaient assez réguliers et l’archipel dépendait du continent pour le ravitaillement et des services tels que la santé et même l’éducation. La guerre a mis fin à ces relations.
Il faudra attendre juillet 1999, à la suite d’accords entre le gouvernement Menem et le Premier ministre Tony Blair, pour que les Argentins soient autorisés à voyager aux Malouine - avec un passeport -. Les vols entre le continent et les îles reprennent via le Chili.
En 2000, le Congrès argentin établit le 2 avril comme Journée du Vétéran et des Morts de la Guerre des Malouines.
Des 649 combattants argentins morts pendant la guerre, 237 ont été enterrés dans ce cimetière, dont 122 sous la mention de « soldat argentin seul connu de Dieu ». , se trouvaient dans des tombeaux non identifiés.
Grâce à un accord entre l’Argentine, la Grande-Bretagne et la Croix Rouge, le Plan Humanitaire Malvinas a déjà permis de restituer une identité à 112 d’entre eux. Notons que l’Argentine a jugé qu’il n’y avait pas lieu de « rapatrier » ces dépouilles, jugeant que les Malouines étaient leur patrie.
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SIBIAUD Michel Antoine (24-11-2023 17:40:00)
Je partage ce point de vue sauf à ajouter plus près de nous les iles Anglo Normandes, malencontreusement omises dans la rédaction du traité de BRETIGNY et qui Franco-Normandes sont devenues ce qu'... Lire la suite
Liger (14-06-2020 20:49:17)
Il faut d’abord rappeler que les marins et pêcheurs de Saint-Malo furent les premiers colons permanents connus de ces îles, d’où leur nom de « Malouines » que tout Français devrait utilis... Lire la suite
Philippe (12-06-2012 12:10:30)
Quelques précisions sur la souveraineté des Malouines: Les Malouines n'ont jamais été officiellement ni espagnoles ni argentines. D'abord occupées par les Anglais, jusqu'en 1770 elles étaient u... Lire la suite