22 avril 1982

Une grève met l'immigration en pleine lumière

L'élection du socialiste François Mitterrand à la présidence de la République française en mai 1981 a immédiatement donné lieu à une politique économique périlleuse (nationalisations, endettement, etc.). Il s'en est suivi une succession de crises qui ont abouti deux ans plus au « tournant de la rigueur » et à la conversion néolibérale du Parti socialiste.

Lui-même frappé par la crise, le secteur automobile connaît des grèves extrêmement dures. La première éclate le 22 avril 1982 à Aulnay-sous-Bois, au nord de Paris, dans une grande usine de montage du groupe Citroën qui emploie de nombreux ouvriers d'origine maghrébine. Trois autres usines Citroën entrent à leur tour en grève à Levallois, Asnières et Saint-Ouen jusqu'au 1er juin.

Le mouvement déborde le cadre de Citroën. Les usines Talbot de Poissy et Renault de Billancourt et Flins, toujours en région parisienne, relaient le mouvement social.

Et pour la première fois, à Poissy, se déploie une banderole avec des revendications non plus seulement sociales mais aussi identitaires et religieuses : « 400 francs pour tous, 5e semaine accolée aux congés, 30 minutes pour le ramadan, nous voulons être respectés » ! La télévision révèle alors des pratiques cultuelles jusque-là cachées dans les ateliers. Le 3 janvier 1983, le magazine L'Expansion titre un article : « L'automobile otage de ses immigrés. Aulnay, Poissy, Flins, comment la CGT récupère la révolte des musulmans ».

Meurtres dans la cité

Très vite, l'attention se déplace des usines vers les « cités », grands ensembles d'habitations à loyer modéré (HLM) dédiés aux catégories populaires et où se concentrent de plus en plus les immigrants maghrébins et africains et leurs familles.

Le 9 juillet 1983, à la cité des 4000, à La Courneuve, au nord de Paris, le jeune Toufik Ouanes, 10 ans, est abattu par un voisin excédé par le bruit. Le président Mitterrand se rend sur place et annonce de premières mesures préventives « anti-été chaud ». Avec un zeste de démagogie, Le Monde titre : « La Courneuve, un mort qui accuse ».

Un peu plus tard, le 21 octobre 1983, à la suite d'échauffourées entre la police et des jeunes Maghrébins de la cité des Minguettes, à Vénissieux, à l'Est de Lyon, des collectifs organisent une Marche des Beurs (« Arabes » en verlan) de Marseille à Paris.

Dans la nuit du 15 novembre 1983, pendant que se déroule cette marche, un Algérien est jeté du train Bordeaux-Vintimille par trois candidats à la Légion étrangère ! Ce meurtre odieux émeut l'opinion et les autorités et relance l'intérêt pour la Marche des Beurs.

SOS RacismeLe 3 décembre, quand enfin celle-ci atteint Paris, avec quelque deux cent mille participants, le président Mitterrand reçoit ses représentants et annonce la création d'une carte de séjour unique de 10 ans...

Brutalement, cette année-là, l'opinion publique prend conscience de l'existence d'une population musulmane et immigrée qui entend bien bâtir son avenir sur le sol français. À des élections partielles pour la mairie de Dreux, une ville paisible du centre de la France, Jean-Pierre Stirbois, candidat du Front National, fait campagne contre l'immigration et remporte à la surprise générale 16,7% des suffrages au 1er tour, le 11 septembre 1983. Fusionnant sa liste avec celle du RPR (droite classique), il va cogérer la ville jusqu'à sa mort accidentelle, en 1988.

À la fin de l'année 1983, le cinéaste Claude Berri sort le film Tchao Pantin qui met en scène un paumé joué par Coluche et un dealer maghrébin, joué par... Richard Anconina. C'est un grand succès populaire !

L'année suivante, des mouvements de jeunesse israélites, proches du gouvernement socialiste, se rapprochent des initiateurs de la Marche des Beurs et créent avec eux l'association SOS Racisme, avec un symbole : une main colorée dressée contre l'adversaire, et un slogan : « Touche pas à mon pote ! » Plus rien ne sera désormais comme avant dans la société française...

Alban Dignat
Publié ou mis à jour le : 2024-04-22 14:04:07

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