10 mai 1981

Mitterrand président de la République

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu à la présidence de la République avec 51,76% des voix face au président sortant Valéry Giscard d'Estaing. Celui-ci faisait figure de grand favori six mois plus tard mais il avait dû ensuite subir les coups fourrés de son allié gaulliste Jacques Chirac, de même que le candidat socialiste dut encaisser ceux de son allié communiste Georges Marchais. 

Le premier tour, le 26 avril 1981, donne 28,32% à Giscard, 25,85% à Mitterrand, 18% à Chirac et 15,35% à Marchais. C'est en définitive le président sortant qui pâtira le plus des attaques de son « allié » et du non-report de ses voix.

Laminée 23 ans plus tôt par le retour de Charles de Gaulle au pouvoir, la gauche française accède aux responsabilités gouvernementales. Après deux années d'apprentissage difficile, les socialistes vont se débarrasser de leurs archaïsmes. Le Parti communiste français, incapable de s'adapter à l'évolution des techniques et des moeurs, devient marginal.

André Larané
Le marathonien de la politique

Entré dans les cabinets ministériels à la Libération, à moins de 30 ans, François Mitterrand a évolué de la droite bon teint à la gauche socialiste avant de se poser en 1971 en rénovateur du parti socialiste moribond. Il a déjà tenté deux fois d'accéder à la présidence de la République, en 1965 face au général de Gaulle et en 1974 face à Valéry Giscard d'Estaing.

Donné une nouvelle fois perdant en décembre 1980, à la veille de la campagne électorale, il remporte cette fois la mise en tirant parti de l'impopularité du président sortant, lui-même lâché par Jacques Chirac, le chef du parti néogaulliste.

Un règne à éclipses

La présidence s'ouvre dans la liesse, sur une fête semi-improvisée à la Bastille le soir du 10 mai et une cérémonie au Panthéon où le président rend hommage à trois figures nationales : Victor Schoelcher, Jean Jaurès et Jean Moulin.

Porté par un « état de grâce », selon ses propres termes, François Mitterrand entame un « règne » de 14 ans, comparable par sa durée à ceux de Henri IV, de Louis-Philippe et de... Napoléon Ier.

Mais de cette très longue présidence, curieusement, l'opinion ne retient de positif que l'abolition de la peine de mort en octobre 1981 ! Il est vrai que toutes ses réformes structurelles ont fait long feu. Quarante ans plus tard, il n'en reste rien, que ce soit les nationalisations, la réduction du temps de travail, la retraite à 60 ans ou encore l'impôt sur les grandes fortunes.

– Débuts euphoriques (1981-1983)

Le premier gouvernement, dirigé par Pierre Mauroy, maire de Lille, rompt résolument avec la politique de rigueur de Raymond Barre, Premier ministre de 1976-1981. Il renoue avec la politique volontariste de Jacques Chirac (1974-1976) : embauches dans la fonction publique, contrôle des changes, nationalisations...

Notons l'apparition d'un éphémère ministère du Temps libre (sic) et d'un ministère de la Solidarité nationale. Quatre communistes font leur entrée au gouvernement au grand scandale de l'opposition. C'est en effet la première fois depuis 1947 que le parti participe à un gouvernement. Dans les faits, le parti communiste, en déclin, ne va guère avoir de prise sur le gouvernement et le président.

L'euphorie des premiers mois est illustrée par la réplique à l'Assemblée nationale du député de l'Indre André Laignel à l'adresse de son opposant Jean Foyer, le 13 octobre 1981 : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire ». Elle est d'autant plus surprenante que l'orateur est un fils d'ouvrier devenu à force de travail un brillant juriste...

Les réformes s'enchaînent à la volée :

– 1er juillet 1981 : augmentation des allocations handicapés (+20%), familiales (+25%), logement (+25%).
– 4 août 1981 : suppression de la Cour de sûreté de l'État.
– 2 octobre 1981 : autorisation des radios locales sans publicité.
– 8 octobre 1981 : blocage des prix pendant six mois.
– 9 octobre 1981 : le ministre de la Justice, Robert Badinter, abolit la peine de mort et met la France au diapason de l'Europe.
– 15 décembre 1981 : abrogation de la loi « anticasseurs » prise à la fin du septennat précédent.
– 30 décembre 1981 : création de l'impôt sur les grandes fortunes.

Le 26 novembre 1981, Jacques Delors, ministre des Finances, alarmé par le dérapage de l'économie, demande une pause dans les réformes mais celles-ci ne s'en poursuivent pas moins l'année suivante, conformément aux « 110 propositions » du candidat Mitterrand :

– 14 janvier 1982 : ordonnances sur la limitation à 39 heures (au lieu de 40) de la semaine de travail et cinquième semaine de congés payés.
– 13 février 1982 : la loi sur les nationalisations fait passer dans le giron de l'État les 36 premières banques de dépôt, les banques d’affaires Paribas et Suez, un grand nombre de groupes industriels comme CGE, PUK, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, Thomson, etc. ; la plupart des entreprises concernées profiteront de la nationalisation pour se remettre à flot avant d'être plus tard privatisées.
– 3 mars 1982 : la loi sur la décentralisation promulguée par Gaston Deferre, ministre de l'Intérieur, donne davantage d'autonomie financière aux communes, aux départements et surtout aux régions (entre autres effets collatéraux, cette loi met fin à toute velléité de l'État de maîtriser l'urbanisation et l'aménagement du territoire ; chaque collectivité n'en fait plus qu'à sa tête).
– 25 mars 1982 : une ordonnance abaisse de 65 à 60 ans l'âge légal de départ à la retraite.
– 29 juillet 1982 : une loi sur l'audiovisuel crée une Haute Autorité de l'Audiovisuel.

En matière internationale, après un discours tiers-mondiste prononcé à Mexico, avant le sommet de Cancun (Mexique), François Mitterrand s'engage résolument aux côtés des Américains dans le conflit qui les oppose à l'URSS. Devant le Bundestag allemand, le 20 janvier 1983, il plaide pour la fermeté face aux Soviétiques qui installent des missiles SS20 dirigés vers l'Europe occidentale : « Les fusées sont à l'est, les pacifistes à l'ouest !... ».

Au Moyen-Orient, il prend parti pour Saddam Hussein dans son conflit avec l'Iran, d'où une vague d'attentats organisés en sous-main par les services secrets iraniens, en France mais aussi au Liban.

Le 23 octobre 1983 survient le drame du Drakkar, à Beyrouth : 58 parachutistes français (et 241 soldats américains) trouvent la mort dans des attentats terroristes du Hezbollah libanais et de ses alliés iraniens. Non sans panache, le président français se rend sur place dès le lendemain et réagit par des frappes aériennes, le 17 novembre 1983, sur les bases terroristes de la plaine de la Bekaa.

Les « Grands Travaux présidentiels »

Pétri de culture classique, François Mitterrand se montre plus qu'aucun autre président de la Ve République soucieux de laisser une trace dans le patrimoine. Il va de fait changer le visage de Paris et doter la capitale de nouveaux lieux culturels de première importance. En premier lieu, il reprend et achève les projets de son prédécesseur Valéry Giscard d'Estaing : la Grande Arche de la Défense, qui vient fermer la perspective des Champs-Élysées, le Musée d'Orsay et la Cité des Sciences de La Villette. Il ajoute à celle-ci une Cité de la Musique.
La pyramide du Grand Louvre en construction (1987)Sur une suggestion de son minitre de la Culture Jack Lang, il étend le musée du Louvre à l'ensemble du palais du même nom. Une pyramide en verre de l'architecte sino-américain Ieoh Ming Pei est érigée en son centre et le ministère des Finances évacue l'aile qu'il occupait depuis deux siècles pour l'Est de Paris.
Par ailleurs sont construits une nouvelle Bibliothèque nationale, aujourd'hui Bibliothèque François Mitterrand, le Stade de France (Saint-Denis), l'Institut du Monde arabe et l'Opéra-Bastille, sans compter la Galerie de l'Évolution au Museum d'Histoire naturelle. Les autres villes se lancent également dans la compétition avec une débauche de musées, salles de spectacle et lieux de mémoire.
La plupart de ces chantiers s'accompagnent de polémiques. Notamment la pyramide du Louvre et les « colonnes de Buren » du Palais-Royal, inaugurées en 1986. D'aucuns déplorent aussi la conception très peu fonctionnelle de la Grande Bibliothèque.

– Le choc des réalités (1983-1986)

Affaiblie par une augmentation brutale des dépenses publiques de 25%, l'économie montre très vite des signes de faiblesse. Le 11 juin 1982 survient un premier plan de rigueur. L'état de grâce appartient au passé... Les socialistes sont défaits aux élections municipales de mars 1983.

Le 22 mars 1983, au terme d'une « folle semaine » où les conseillers du président disputent sur le point de savoir s'il faut sortir du système libéral ou rentrer dans le rang, le président fait le deuxième choix et impose à son Premier ministre un changement de cap radical. « Le tournant de la rigueur restera dans toutes les mémoires comme le prototype du mensonge en politique, après deux années de mise en oeuvre d'un programme marxo-keynésien archaïque », écrit avec sévérité le journaliste Philippe Frémeaux (Alternatives économiques,n° 247, mai 2006).

L'année suivante, le 17 juillet 1984, le gouvernement de Pierre Mauroy tombe suite à de massives manifestations de rue en faveur du maintien de l'enseignement privé. Le président confie la direction du gouvernement à Laurent Fabius (38 ans), plus jeune Premier ministre depuis Decazes, sous le règne de Louis XVIII.

C'en est fini des illusions dirigistes : privatisations d'entreprises publiques, abrogation de l'«échelle mobile» des salaires (les salaires ne sont plus indexés sur l'inflation)... Le Premier ministre Laurent Fabius signe, qui plus est, en février 1986, l'Acte Unique européen qui prévoit de libéraliser les mouvements de capitaux et de mettre les services en concurrence dans l'ensemble de la Communauté européenne (plus tard rebaptisée Union européenne).

En privilégiant l'ouverture des marchés sans se soucier de renforcer les liens politiques entre les États ni de créer des instances européennes de régulation, ce texte va être à l'origine du déraillement de la construction européenne. C'est à lui que l'on peut attribuer le rejet de la Constitution européenne, le 29 mai 2005.

La progression du chômage, la spéculation financière, les attentats pro-palestiniens, l'agitation indépendantiste en Nouvelle-Calédonie et les scandales (affaire Rainbow Warrior) entraînent un net retournement de l'opinion. À la veille des élections législatives de 1986, la défaite de la gauche paraît inéluctable et les affiches du parti socialiste avertissent : « Au secours, la droite revient ! »

A Verdun, en 1984, François Mitterrand et Helmut KohlFrançois Mitterrand limite les dégâts en poussant sur le devant de la scène un meneur d'extrême-droite, Jean-Marie Le Pen.

Grâce à ses passages répétés à la télévision, celui-ci voit sa cote de popularité bondir de 3% à plus de 10% d'opinions favorables.

Effrayés par la violence de ses propos, les électeurs de gauche resserrent les rangs. Mais pas assez pour sauver la majorité de gauche. Alors, le président modifie le mode de scrutin et introduit la proportionnelle.

Par ailleurs, les socialistes et Mitterrand lui-même son conscients de perdre l'allégeance des ouvriers et des employés à leur cause du fait de leur engagement néolibéral. En quête d'un électorat de rechange, ils font le choix de courtiser la jeunesse déracinée des quartiers ethniques.

Ainsi est créée l'association SOS Racisme, avec un slogan attachant mais pernicieux : « Touche pas à mon pote ! ». En prônant la solidarité de clan à rebours des principes démocratiques (tous les citoyens sont égaux devant la loi), ce slogan préfigure le repli communautaire et la ségrégation raciale du XXIe siècle.

Le président lui-même s'en inquiète à plusieurs reprises en évoquant le dépassement d'un « seuil de tolérance » en matière d'immigration.

– Un pays déboussolé (1986-1995)

Comme prévu, les élections législatives du 16 mars 1986 se soldent par une victoire de la droite chiraquienne mais celle-ci doit se satisfaire d'une courte majorité, entamée par l'arrivée de 50 députés lepénistes grâce à la proportionnelle.

Jacques Chirac devient le Premier ministre de François Mitterrand. C'est la première cohabitation de la Ve République entre un président et un Premier ministre de bords opposés.

En acceptant l'un et l'autre ce précédent, Jacques Chirac et François Mitterrand violent l'esprit de la Constitution de 1958, qui repose sur un pouvoir exécutif fort, tout entier dévoué au président de la République. Déboussolée, ne voyant plus ce qui distingue l'opposition et la majorité, l'opinion publique va dès lors se détacher de sa classe politique, mettant en péril les fondements de la démocratie.

D'emblée, le président affirme son ascendant sur le Premier ministre imposé par la droite, Jacques Chirac. Les maladresses de celui-ci entraînent deux ans plus tard, en 1988, sa réélection triomphale. D'autant qu'en annonçant sa candidature, le 22 mars 1988, le président s'empresse de rassurer les électeurs tant de droite que de gauche. Il annonce son intention de mettre un terme aux nationalisations comme aux privatisations : « Ni l'une ni l'autre de ces réformes ne peut être d'actualité ». De fait, ce « ninisme » inaugure le sur-place de la droite et de la gauche qui perdure trois décennies plus tard.

Sous la pression de l'opinion, François Mitterrand appelle son ennemi intime, Michel Rocard, à la tête du gouvernement et promet un semblant d'ouverture au centre. Dans la foulée, il dissout l'assemblée nationale.

Contre toute attente, le deuxième tour des élections législatives, le 12 juin 1988, ne donne au parti du président qu'une majorité relative au Parlement. Cela ne gêne pas le Premier ministre. En trois ans, en s'appuyant sur des majorités parlementaires de circonstance, Michel Rocard mène au pas de charge les principales réformes de l'ère Mitterrand. Il pacifie la Nouvelle-Calédonie. Il instaure la CSG, un impôt sur l'ensemble des revenus, et le RMI, une allocation de survie destinée aux « nouveaux pauvres », victimes de la crise des années 80.

C'est ensuite le bref gouvernement d'Édith Cresson, première femme chef de gouvernement (en France), puis celui du technicien rigoureux et honnête Pierre Bérégovoy, que le climat de corruption dans lequel baigne l'entourage présidentiel mène au suicide (affaire Péchiney...). Le régime sombre dans le discrédit avec la nomination au gouvernement, pendant quelques mois, d'un affairiste flamboyant, Bernard Tapie.

François Mitterrand, prenant acte de la chute du mur de Berlin, accepte la réunification des deux Allemagnes sous réserve de la reconnaissance officielle par les Allemands des frontières héritées de 1945 et du sacrifice du deutsche Mark au profit d'une monnaie européenne commune. C'est ainsi qu'est signé le traité de Maastricht le 7 février 1992.

En 1993, première année de récession depuis la Libération, la gauche subit une défaite écrasante aux élections législatives. La droite revient au pouvoir avec, cette fois, Édouard Balladur à l'hôtel Matignon (résidence du Premier ministre). Bénéficiant d'une popularité inattendue, le gouvernement modernise à tour de bras l'économie et accélère les privatisations. Il intervient aussi contre les Serbes de Milosevic qui oppriment la Bosnie-Herzégovine.

Au bilan, le deuxième septennat est marqué par la réorientation du projet européen vers des objectifs économiques : marché unique des marchandises et des capitaux, monnaie unique. Il est surtout affecté par des bouleversements géopolitiques (chute du mur de Berlin, guerres en Yougoslavie) et l'effondrement de l'Afrique post-coloniale (génocide au Rwanda).

La présidence de François Mitterrand se termine dans un climat maussade tissé de désillusions, entre une gauche qui a perdu ses repères idéologiques et moraux et une droite minée par le combat des chefs.

À gauche comme à droite, son départ est accueilli avec soulagement... Une décennie plus tard, l'opinion publique, confrontée au bilan piteux de son successeur Jacques Chirac et oublieuse du passé, n'en hissera pas moins l'ancien président sur le podium de ses personnalités préférées !

Publié ou mis à jour le : 2023-03-25 17:54:21
Bernard (10-05-2021 08:28:02)

Le bilan des deux présidences Mitterrand est terrible : dilution de la France dans un vaste ensemble européen sur lequel les Français n’ont pratiquement plus aucune prise (Maastricht), généralisation de la corruption à tout le territoire grâce à la décentralisation (Urba), mise en cause de valeurs sociétales séculaires (mariage, liberté d’enseignement), attaques contre des libertés publiques fondamentales (permis à points), immigration galopante et explosion concomitante de l’insécurité, islamisation de la société, destruction de l’homogénéité ethnique et culturelle de la population, ferment de guerre civile, gestion déplorable de la réunification allemande, nationalisations ruineuses (à 100%), déplacement (et non comme on le dit souvent suppression) de la peine de mort avec dislocation de l’échelle des peines, endettement colossal et durable du pays, dislocation de l’esprit de la Vème république (instauration de la proportionnelle, cohabitation), retraite à 60 ans financée par la dette, etc. On n’en finirait pas d’égrener les points négatifs, certains irréversibles. En face, les aspects positifs sont bien minces : une certaine libération des ondes et de la TV, la 5ème semaine de congés payés (non financée), les 39 heures (idem), le Grand Louvre et une gestion correcte de la première guerre du Golfe. C’est tout, et bien peu pour justifier les centaines d’avenues et de places à son nom dans tout le pays et le culte dont il fait l’objet.

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