29 décembre 1978

Émergence du négationnisme

Le négationnisme est un mot dérivé de négation pour désigner une thèse selon laquelle l'extermination des Juifs européens par les nazis n'aurait pas eu lieu. Cette thèse qui aurait dû rester le lot de quelques marginaux, a acquis pignon sur rue, en France et dans le monde, à la fin des années 1970, suite à la publication d'un billet par un certain Robert Faurisson, dans le quotidien Le Monde, le 29 décembre 1978.

Négationnisme ou révisionnisme ?

Le mot négationnisme a été officialisé par l'historien Henri Rousso en 1987, en lieu et place du mot révisionnisme, trop elliptique. Aujourd'hui, le mot révisionnisme désigne des thèses tendant à minorer l'ampleur de la Shoah sans pour autant nier sa réalité. Le révisionnisme s'applique aussi à d'autres enjeux idéologiques comme le débat sur le massacre en 1915 des Arméniens par les Turcs : le gouvernement d'Ankara ne nie pas le massacre mais l'assimile à une péripétie de la Grande Guerre et non à un génocide. Quant au mot négationnisme, il est parfois appliqué aussi à la tentative de nier le dérèglement climatique et son origine anthropique (humaine).

Maladresses éditoriales

L'affaire est déclenchée par une interview de 15 pages, le 28 octobre 1978, dans l'hebdomadaire L'Express, de Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux questions juives de Vichy (80 ans). L'interview éclaire la personnalité maléfique de ce personnage. Mais elle rapporte aussi ses mots : « À Auschwitz, on n'a gazé que les poux ! ». Il s'ensuit un scandale qui va bénéficier à un obscur maître de conférence en littérature ancienne à Lyon-II, Robert Faurisson.

Ce graphomane avait envoyé en vain plusieurs dizaines de pensums au quotidien Le Monde, alors considéré comme le quotidien de référence de la presse francophone, pour tenter de faire connaître sa théorie selon laquelle les chambres à gaz ne pouvaient techniquement fonctionner comme on le dit. Le 16 novembre 1978, un autre quotidien, Le Matin de Paris, dans la mouvance socialiste, lui accorde une interview sous le titre : « Les chambres à gaz : ça n'existe pas » (sans point d'interrogation). L'université Lyon-II décide alors de suspendre le maître de conférences. Mais celui-ci se rend tout de même sur le campus où l’attendent ses adversaires. Il prend des coups et, se posant en martyr, réécrit au journal Le Monde.

De guerre lasse, le rédacteur en chef du quotidien, Jean Planchais, autorise la publication de sa courte missive le 29 décembre 1978. C'est un feuillet en page 8, intitulé : « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d’Auschwitz ». L'éditorialiste Bruno Frappat assortit la tribune d'une plate excuse : « L'énormité des thèses défendues par M. Faurisson [...] justifie-t-elle l'attitude de ceux qui l'ont molesté ? [...] L'homme que nous avons eu au téléphone nous a paru abattu, moralement atteint. » Le jour même et le lendemain, Le Monde, dans un souci d'« équilibre », donne aussi la parole à deux historiens de la Shoah, Georges Wellers et Olga Wormser. Mais ceux-ci s'en tiennent à des textes austères. Ils traitent par le mépris les allégations de Faurisson et permettent à celui-ci de multiplier les droits de réponse. L'effet sur l'opinion s'avère désastreux et contre-productif.

Le 21 février 1979, toujours dans Le Monde, les historiens Léon Poliakov et Pierre Vidal-Naquet tentent d'éteindre l'incendie avec un rappel des faits historiques, cosigné par 32 historiens éminents : « La politique hitlérienne d'extermination ». Ils le concluent par cette belle formule : « Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement : il n'y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l'existence des chambres à gaz ».

En décembre 1980, Faurisson passe devant le micro d'Ivan Levaï sur Europe 1 et avance à la stupéfaction de l'animateur que le « mensonge historique » de la Shoah aurait été inventé pour culpabiliser les Allemands et les convaincre de financer la construction de l'État d'Israël, au détriment des Palestiniens. Ainsi le négationnisme déborde-t-il de l'antisémitisme occidental pour devenir aussi un moteur de l'antisionisme, en Occident et plus encore dans la mouvance islamiste du Moyen-Orient.

Paradoxalement, le tollé soulevé par la lettre de Faurisson va stimuler les travaux universitaires sur la Shoah, comme le note l'avocat Serge Klarsfeld. Ainsi, Pierre Vidal-Naquet, ex-condisciple de Faurisson en classe préparatoire, publie-t-il dès 1980 un long article dans la revue Esprit : « Un Eichmann de papier - Anatomie d'un mensonge », plus tard repris dans un livre, Les Assassins de la mémoire.

Mais l'affaire conduit aussi quelques intellectuels mal avisés, au premier rang desquels le linguiste américain Noam Chomski, à défendre le droit de quiconque à s'exprimer, y compris pour nier la Shoah ! 

En réaction, la France promulgue le 13 juillet 1990 la loi Gayssot, du nom de son rapporteur, le député communiste Jean-Claude Gayssot. Dans son article 9, la loi qualifie de délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité, tels que définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg. À ce titre, c'est la première loi mémorielle à sanctionner le négationnisme.

Qualifié de « faussaire de l'Histoire » par l'avocat Robert Badinter, Robert Faurisson va perdre son procès en diffamation en vertu de cette loi le 12 mars 2017. Cet antisémite compulsif va aussi se faire le héraut des thèses négationnistes les plus folles, jusqu'à devenir la référence de Dieudonné, Alain Soral et l'Iranien Ahmadinejad avant de mourir à Vichy (!) en 2018...

André Larané

Le monument commémoratif de la rafle du Vel d'Hiv, réalisé par le sculpteur Walter Spitzer et l'architecte Mario Azagury, est situé place des Martyrs Juifs du Vélodrome d'Hiver, en bordure de la Seine. Agrandissement : lz gare de Pithiviers, un nouveau musée, lieu de mémoire et d?éducation sur l?Histoire de la Shoah.

Publié ou mis à jour le : 2024-02-14 13:48:47
AHJE (05-08-2022 18:24:32)

Après la chute du mur de Berlin et l’ouverture des archives du KGB à Moscou, les preuves irréfutables de la « technique » utilisée pour construire les chambres à gaz, et surtout les fours crématoires, ont été rassemblées par Monsieur Jean-Claude Pressac, dans un livre intitulé « Les crématoires d’Auschwitz - La machinerie du meurtre de masse » (CNRS Editions, Paris, 1993 - Collection Histoire XXème siècle).

En effet, les archives « techniques » d’Auschwitz-Birkenau n’avaient pas été détruites avant l’abandon du camp et l’Armée rouge les avaient récupérées.

Je possède cet ouvrage entièrement documenté (317 notes s’étendant sur 12 pages à la fin), et en le lisant, on constate que l’assassinat de masse des Juifs européens et sa « technique » ne sont plus contestables depuis près de 30 ans.

vasionensis (04-08-2022 08:43:11)

cette belle formule : « Il ne faut pas se demander comment, techniquement, un tel meurtre de masse a été possible. Il a été possible techniquement puisqu'il a eu lieu. Tel est le point de départ obligé de toute enquête historique sur ce sujet. Cette vérité, il nous appartenait de la rappeler simplement : il n'y a pas, il ne peut y avoir de débat sur l'existence des chambres à gaz ».
Cette 'belle formule' est la négation (en parlant de négationnisme ...) du caractère essentiellement révisable du récit historique.
Que des 'historiens' l'aient signée ne les honore pas (certains - dont j'ai oublié le nom, mais cela doit se retrouver - avaient plus tard repris leur signature, ce qui n'est toujours pas une prise de position sur les thèses de Faurisson).
N'êtes-vous pas troublé que parmi les intellectuels 'mal avisés' (au nom de quoi ce qualificatif ?) figurent Noam Chomski et Gabriel Cohn-Bendit, juifs ?
N'êtes-vous pas, comme historien, gêné par une vérité officielle qui résulte des jugements d'un tribunal dont les articles constitutifs 19 et 21, comme vous le savez autant et mieux que moi, exonèrent l'accusation des procédures habituelles en matière d'administration de preuve et considèrent comme établis les faits de 'notoriété publique' (laquelle est si facile à fabriquer en temps de paix comme en temps de guerre).
Et ce qui me gêne, moi, votre lecteur généralement reconnaissant, c'est que vous écriviez ce texte venimeux sans, je crois bien, avoir jamais pris connaissance d'une seule ligne de Faurisson. passe encore pour les plumitifs du Canard enchaîné ; mais vous ?

Bernard (23-07-2022 18:33:52)

Evoquer l’antisémitisme d’hier ne doit pas faire oublier celui d’aujourd’hui. L'antisémitisme, qui était passé à droite lors de l'affaire Dreyfus, est repassé à gauche à la faveur du conflit israélo-palestinien. Pour les uns, Israël est un état néocolonial qui pratique une espèce d'apartheid, pour les autres, derrière l'antisionisme se cache l'antisémitisme de toujours. Et force est de reconnaître que de tous les conflits qui agitent le monde, le conflit israélo palestinien prend une importance démesurée. Israël serait-il le seul peuple à en opprimer un autre ? Si non, pourquoi parler plus des Palestiniens que des Kurdes, des Arméniens, des Ouigours, des Tibétains, des indiens du Chiapas, des Tamouls, des tribus d’Amazonie, etc. ? Tout se passe comme si on se préoccupait moins des « opprimés » que des « oppresseurs ». Cette attention, si légitime puisse-t-elle être, a décidément des relents suspects.

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