22 août 1975

La Corse ensanglantée

Le 22 août 1975, en Corse, pour la première fois depuis près de deux siècles, des militants indépendantistes tirent sur les forces de l'ordre.

La veille, des militants de l'ARC (Action de la Renaissance de la Corse), un groupuscule dirigé par le médecin Edmond Simeoni, ont occupé une cave viticole de la plaine d'Aléria, sur la côte orientale de l'île. Cette cave avait la particularité d'appartenir à un rapatrié d'Algérie.

Quand les pieds-noirs avaient été chassés d'Algérie, treize ans plus tôt, le gouvernement français avait en effet invité plusieurs anciens exploitants agricoles de la Mitidja à remettre en culture les friches de la plaine d'Aléria, autrefois grenier à blé de la ville de Rome ! Il avait commis ce faisant une maladresse en les dispensant de rembourser leurs prêts d'installation, privilège dont ne bénéficient pas les jeunes agriculteurs de l'île. 

Les militants de l'ARC occupent donc la cave afin d'exiger que soient pris en considération les intérêts des Corses et qu'il soit mis fin à une certaine « colonisation » de l'île. Ils dénoncent également une supposée escroquerie autour des prêts publics alloués aux dirigeants de la cave viticole. 

L'assaut

Le gouvernement ne veut rien entendre. Le matin du 22 août, plusieurs escadrons de gendarmerie et de CRS venus du continent, au total un millier d'hommes, prennent position autour de la cave, avec des hélicoptères et des véhicules blindés. Une réaction de fermeté qui surprend par sa démesure, de la part du gouvernement de Jacques Chirac, Valéry Giscard d'Estaing étant président de la République et Michel Poniatowski ministre de l'Intérieur.

Face aux forces de l'ordre, les militants sont au total moins d'une cinquantaine, armés de fusils de chasse. Ils refusent de se rendre et l'assaut est donné à 16 heures. Plusieurs assiégés sont blessés. Deux gendarmes sont tués.

Quelques jours plus tard, une manifestation à Bastia fait à nouveau un mort dans les forces de l'ordre. Edmond Simeoni est condamné à 5 ans de prison dont deux avec sursis. C'est le début d'une longue période de troubles dont l'île de Beauté est à peine sortie au début du XXIe siècle.

Le 5 mai 1976, des nationalistes corses créent le Front National de Libération de la Corse (FLNC). Ils tiennent une conférence de presse à Orezza, dans le couvent Saint-Antoine de Casabianca où le héros Pascal Paoli proclama l'indépendance en 1755. Le FLNC va reprendre à son compte les revendications indépendantistes et multiplier les attentats avec l'espoir que la répression policière fasse basculer la population en leur faveur...

L'île de Beauté sauvée par les indépendantistes ?

Les attentats à l'explosif se multiplient donc après le drame d'Aléria, sans parler des règlements de comptes entre factions rivales. Ils visent surtout les investissements des continentaux sur l'île et en particulier les résidences de vacances souvent construites sans autorisation le long de la côte.

Profitant de cette situation, le Conservatoire du littoral, administration française chargée de protéger les côtes contre l'urbanisation, se hâte de racheter à bas pris une grande partie du littoral de l'île de Beauté et de la mettre à l'abri de toute forme d'urbanisation.

Résultat paradoxal : les attentats auront permis de préserver la beauté incomparable de la nature et le caractère sauvage du littoral. La Corse doit aux nationalistes d'avoir échappé au sort calamiteux de Majorque par exemple, défigurée par une urbanisation anarchique. Mais il n'est pas sûr qu'elle conserve son avantage.

Au tournant du XXIe siècle, usés par l'action policière, les défections et l'âge, les nationalistes corses jouent leur va-tout... Le soir du 6 février 1998, à Ajaccio, des dissidents du FLNC assassinent à bout portant le préfet de Corse-du-Sud Claude Érignac qui rentrait d'un spectacle en compagnie de son épouse. Ce crime sans précédent en temps de paix soulève une immense émotion en France et en Corse même. Les assassins sont arrêtés et condamnés à la perpétuité.

Par la consultation populaire du dimanche 6 juillet 2003, les Corses approuvent à une faible majorité (51% des suffrages exprimés, soit 29% des électeurs inscrits) la réforme de 1976 et le retour aux départements issus de la Révolution. Ils rejettent le projet de collectivité unique proposé par le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy. Plus profondément, ils confirment leur rejet des revendications « indépendantistes » et de la violence (on impute au total aux nationalistes corses une cinquantaine d'assassinats). 

Aux élections municipales de mars 2014, Gilles Simeoni, fils du « héros d'Aléria » Edmond Simeoni, emporte la mairie de Bastia, deuxième ville de l'île, avec l'appui de la gauche. Hostile à l'action violente et plus encore au clientélisme traditionnel, il se satisfait d'une certaine forme d'autonomie pour la Corse. Son succès convainc le FLNC de « déposer les armes » deux mois plus tard. Il est vrai que les plasticages de gendarmeries et de villas n'émeuvaient plus grand monde à l'heure du terrorisme islamiste.

Mais la nouvelle réforme institutionnelle promulguée le 7 août 2015 par le président François Hollande va à nouveau déstabiliser l'île...

André Larané
Bricolages administratifs

En dépit ou à cause de l'agitation nationaliste, les institutions de la Corse n'ont cessé pendant trois décennies d'être remaniées par le gouvernement central, soucieux de calmer les revendications autonomistes et indépendantistes et désireux de faire de l'île une vitrine de la décentralisation. En 1972, le département de la Corse a été ainsi détaché de la Provence-Côte-d'Azur. Il est devenu une collectivité régionale à part entière. Le 1er janvier 1976, il a été divisé en deux départements : la Haute-Corse (chef-lieu : Bastia) et la Corse du Sud (chef-lieu : Ajaccio). L'île est ainsi revenue à la situation de 1793 à 1811, lorsqu'elle était divisée entre les départements du Golo et du Liamone, voire à la situation de l'époque génoise quand elle était divisée entre l'En-Deçà-des-Monts et l'Au-Delà-des-Monts. Pour le gouvernement de Jacques Chirac qui l'a mise en oeuvre, cette réforme devait améliorer l'administration de l'île et favoriser les relations de proximité entre les citoyens et les pouvoirs publics. Validée par les Corses en 2003, la renaissance des deux départements a été à nouveau remise en cause avec la loi du 7 août 2015 sur les régions. Hâtivement bricolée par le président François Hollande, elle déséquilibre à nouveau l'île en instituant à compter du 1er janvier 2018 une collectivité territoriale unique avec des pouvoirs élargis, une Assemblée de Corse et un Conseil exécutif aux allures de « mini-gouvernement ». C'est beaucoup pour une île de 350 000 habitants à la population bien plus âgée que la moyenne nationale, suradministrée, avec un secteur productif anémique.

Publié ou mis à jour le : 2023-08-24 17:19:49
Christian (31-12-2015 14:20:25)

Je crois me souvenir que le malheureux Préfet Érignac n'a pas été sauvagement et bêtement assassiné en rentrant du spectacle, mais qu'il était sur le chemin de rejoindre son épouse pour assister à ce spectacle. C'est un détail, certes ..

antoine (22-12-2015 14:44:00)

il suffirai que les Génois remboursent les 40000 livres avec intérêts et tous les frais annexes que nous avons eu, que la Corse redevienne Génoise ou Italienne. Pour ceux qui comme moi trouvent que cette île est un boulet se serait une libération.

JD Gladieu (02-09-2015 11:17:06)

Réponse (très tardive !) à Pascuito :

L'occupation de la cave d'Aléria répondait au besoin de dénoncer une escroquerie (cavalerie bancaire) dont s'était rendu coupable le propriétaire Henri Depeille (d'ailleurs condamné par la justice).
Il s'agissait, par ailleurs, de dénoncer des facilités financières consenties à certains agriculteurs et refusés à d'autres (notamment les jeunes corses).
Enfin, il importait de dénoncer la politique de "mise en valeur" de la Corse menée à l'époque par le gouvernement français et qui consistait, du point de vue agricole, en un développement intensif de la vigne et une production vinicole massive (si toutefois on pouvait appeler ça du vin !).
Par conséquent, aucun manque de reconnaissance envers les rapatriés d'Algérie (en outre, parmi les occupants de la cave, il y avait aussi des "pieds-noirs").

URSIDE26 (24-08-2015 15:27:42)

-Vos articles sont en règle générale très bien construits ,et etayés.Toutefois,une importante erreur figure dans cet article : vous mentionnez la présence de 3 escadrons de Gendarmes mobiles soit un total d'un millier d'hommes . Or lors de cette affaire , il n'y a jamais eu de telles forces en présence .Tout d'abord,un escadron de G.M. , à cette époque ne comptait en opération qu'un effectif de 75 hommes . Tout au plus , il y avait en renfort quelques dizaines de Gendarmes départementaux locaux . Le tout dirigé , certainement par un officier de Gendarmerie territorialement compétent (OPJ). Avec ,à n'en pas douter un représentant du Préfet, relayant les ordres venus de Paris .
Cette triste affaire qui s'est soldée par la mort de 2 militaires de la Gendarmerie, illustre bien une fois de plus , le décalage pouvant exister entre les donneurs d'ordre et la réalité du terrain . Fort heureusement pour les exécutants que sont les forces de l'ordre , en 40 ans des progrès considérables ont été accomplis : création du GIGN , et un peu plus tard du RAID . Lesquels grâce à un entrainement spécifique , ainsi qu'à un armement et des protections adaptées peuvent intervenir dans des conditions optimales . Les deux affaires menées conjointement par ces deux unités au mois de janvier 2015 , en sont un brillant témoignage .

Philinte (21-08-2015 04:34:57)

La manière dont a été conduite par les responsables politiques l'affaire d'Aléria ne pouvait donner que du grain à moudre à ceux qui refusaient la politique économique de l'Etat, qualifiée de politique "coloniale". Engager 2 000 hommes, des hélicoptères et des véhicules blindés face à quelques individus équipés de fusils de chasse traduit bien l'état d'esprit qui prévalait et qui a perduré avec l'assaut de le grotte d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Aurait-on utilisé les mêmes méthodes en Métropole ? Aucun autre département n'a vécu comme la Corse le drame des français d'Algérie. Beaucoup de corses avaient en Algérie de la famille ou des amis. Rappel : Le 27 mai 1958, l'île est considérée par le gouvernement Pflimlin comme ralliée au mouvement d'Alger. Paris craint voir d'autres départements faire sécession. La suite fut la chute de la IV ème République. Quant à l'accueil fait aux rapatriés sur le territoire national ? La France ne s'est guère montrée généreuse - comme souvent - envers ses enfants. De l'indifférence certainement, du rejet souvent. A Marseille le maire Gaston Defferre clame haut et fort qu'ils ne sont pas les bienvenus. Ce ne fut le cas en Corse. Non, l'occupation de la Cave d'Aléria, acte symbolique pour des agriculteurs, n'a jamais un acte hostile envers les français d'Algérie mais - une réponse violente qui couvait depuis longtemps face au refus de dialogue de l'Etat et de prises en compte d'aspirations ne remettant pas en cause, à l'époque, l'attachement à la France. Deux gendarmes sont morts, sacrifiés ce jour-là pour rien, quand on connaît la suite de l'Histoire. La "baléarisation" envisagée des cotes n'aurait jamais lieu, seul aspect positif de l'immense gâchis qui allait suivre.

pseudo : Octavio (03-07-2013 18:58:05)

Je trouve toujours intéressants les articles d'Hérodote. Mais, cette fois-ci, je dois vous avouer que je ne parviens pas à comprendre qu'on puisse considérer 49% des suffrages exprimés comme représentant une majorité, fût-elle "faible"... N'y aurait-il pas eu une légère erreur, dans le raisonnement ayant conduit à cette surprenante affirmation ?
Sur le même sujet, l'encyclopédie en ligne Wikipedia note, d'une manière plus convaincante, citation : "Référendum en Corse sur la réforme du statut de l'île : le « non » l’emporte avec 50,98 % des voix contre 49,02 % pour le « oui ». La réforme proposait notamment une fusion des deux conseils généraux de Haute-Corse et de Corse-du-Sud au sein d’une collectivité territoriale unique."
Merci, par conséquent, de me confirmer qu'il s'agit bien d'une erreur matérielle, ou, si vous persistez dans votre affirmation, de m'expliquer comment vous parvenez à votre propre conclusion, qui paraît contredire celle de Wikipedia (qui ne fait, je crois, que reprendre le bilan officiel de la consultation).

Pascuito (02-07-2013 19:05:58)

Cette bataille d'Aléria est une bataille d'insulaires peu reconnaissants envers la communauté des Français d'Algérie dans son ensemble. Ces derniers auraient certainement dynamisés l'ile mieux qe l'ont fait les Corses. Le premier régiment a débarqué en Algérie le 5 juillet 1830 etait constitué de soldats corses. Et on peu signalé que la communauté Corse à bien profité de la colonisation jusqu'à la dernière minute.

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