Le 17 janvier 1975 est promulguée par le gouvernement français la loi Veil légalisant l'IVG (interruption volontaire de grossesse).
Approuvé en conseil des ministres, sous l'égide du président Valéry Giscard d'Estaing le 13 novembre 1974, le projet de loi de la ministre de la Santé Simone Veil se présente comme un texte dissuasif, destiné à restaurer l’autorité de l’État ; il n’en repose pas moins sur la responsabilité des femmes « en détresse » qui peuvent seules, et en-dehors de tout critère particulier, prendre la décision d’interrompre leur grossesse dans le délai imparti de dix semaines.
La discussion s’ouvre à l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974, dans un climat passionné. Fait historique rare dans l’histoire de la Ve République, l’issue du débat n’est pas connue à l’avance, la majorité de droite pouvant rejeter, sur cette question délicate, le projet d’un gouvernement qu’elle soutient par ailleurs.
Mobilisation en faveur de l’IVG avec Gisèle Halimi
Au mois d’avril 1971, les féministes françaises jettent un pavé dans la mare en faisant paraître dans Le Nouvel Observateur le « Manifeste des 343 » qui vise à mettre les pouvoirs publics au pied du mur : les signataires, célèbres ou anonymes, affirment en effet avoir avorté, et donc enfreint l’article 317 du Code pénal qui punit toute personne qui aurait concouru à un avortement.
Elles s’exposent donc à des poursuites judiciaires – à moins que le ministère public renonce à les traduire en justice, reconnaissant par là-même le caractère caduc de la répression : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération pratiquée sous contrôle médical est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre ».
L’année suivante, l’avocate féministe Gisèle Halimi va s’emparer d’une affaire emblématique et transformer le procès d’une jeune fille poursuivie pour avoir avorté en une tribune dénonçant la loi répressive. En novembre 1971, la jeune Marie-Claire Chevalier, âgée de 16 ans, s’est fait avorter avec l’aide de sa mère et de deux des collègues de celle-ci qui lui ont fourni l’adresse d’une avorteuse.
Dénoncée par le responsable de sa grossesse, Marie-Claire passe en jugement devant le tribunal pour enfants de Bobigny en octobre 1972 ; défendue par Me Halimi, elle est relaxée, au terme d’un procès que, malgré le huis clos, l’avocate a réussi à fortement médiatiser, les militantes du MLF et de l’association Choisir – créée en 1971 par Gisèle Halimi elle-même – ayant bruyamment manifesté avant et pendant le procès.
Mais c’est surtout le procès de la mère de Marie-Claire et de ses deux « complices » que Me Halimi va transformer en « procès de l’avortement », faisant du tribunal une véritable tribune à laquelle elle fait défiler une dizaine de grands témoins venus dénoncer le caractère obsolète de la répression.
Parmi eux, des professeurs de médecine comme les docteurs Milliez et Monod, ou encore Simone Iff, vice-présidente du Mouvement français pour le Planning familial – au tout début des années 1970 en effet, le Planning familial a connu une manière d’aggiornamento et s’est converti à l’idée de la légalisation de l’avortement.
Au soir du 8 novembre 1972, la mère de Marie-Claire n’est condamnée qu’à une peine légère. Si Me Halimi n’a pas obtenu la relaxe générale, elle considère néanmoins qu’« à partir de Bobigny […] il n’y a plus de loi de 1920 (sic) ». Cette fois, sous la pression sociale, les pouvoirs publics vont être contrains de légiférer.
En 1973, un premier texte, le projet de loi Taittinger-Poniatowski, n’autorise l’avortement que dans quatre cas bien précis : quand la poursuite de la grossesse fait peser un risque sur la santé physique, mentale ou psychique de la femme, en cas de malformation fœtale avérée, si la grossesse résulte d’un viol ou si elle est le produit d’un inceste –. Il n’est même pas discuté à l’Assemblée nationale et c’est le nouveau président de la République Valéry Giscard d’Estaing, élu l’année suivante, en mai 1974, qui s’empare du sujet.
Entrée en scène de Simone Veil
Le président de la République Valéry Giscard d’Estaing, élu en mai 1974, s’empare du sujet.
Très habilement, il ne le confie pas à la nouvelle secrétaire d’État à la condition féminine Françoise Giroud, mais à la ministre de la Santé, la juriste Simone Veil : la loi Veil est ainsi présentée comme une loi de santé publique, visant à faire disparaitre les décès de femmes dus à des pratiques abortives clandestines réalisées dans de mauvaises conditions.
Simone Veil décide d’avancer progressivement. Dans un premier temps, le 4 décembre 1974, elle promulgue une loi qui vient compléter la loi Neuwirth du 28 décembre 1967 en généralisant l’autorisation de la pilule contraceptive et en la rendant gratuite.
Sur les bancs de la droite, la plupart des arguments des adversaires du projet convergent finalement autour de la morale et de la religion : l’avortement est un crime ; il revient à assassiner un être humain sinon à part entière, en tout cas en devenir – ce sont les arguments de l’Église.
Le législateur a pourtant mis en place un certain nombre de garde-fous destinés à rassurer la majorité conservatrice : l’avortement n’est autorisé que jusqu’à dix semaines de gestation – au-delà de ce terme, il demeure interdit ; la femme qui souhaite avorter sera entendue lors d’un « entretien préalable » auprès d’un organisme social, pour l’inciter à réfléchir sur le caractère irrévocable de sa décision – chaque femme disposera alors d’un délai de réflexion de huit jours, au cours duquel elle pourra éventuellement changer d’avis ; une « clause de conscience » permettra par ailleurs aux médecins qui y sont moralement hostiles de ne pas pratiquer d’IVG ; enfin, la loi Veil, si elle est votée, ne sera adoptée qu’à titre provisoire, pour une période de cinq ans.
Prise à partie à de nombreuses reprises, Simone Veil défend son projet avec calme, évitant soigneusement toute discussion théorique sur l’humanité de l’embryon comme toute référence au droit des femmes. Après un débat violent et passionné, le texte est mis au vote dans la nuit du 28 au 29 novembre 1974. Il est adopté par 284 voix contre 189. À une exception près, toute la gauche communiste, socialiste et radicale a voté en faveur du texte – soit 179 voix –, mais seulement 105 députés des différents courants de droite.
Le président Giscard d’Estaing et sa ministre de la Santé n’ont trouvé qu’une majorité de circonstance, mais leur objectif est atteint : faire cesser la fronde des partisans de l’avortement, qui constituait un trouble constant à l’ordre public.
Ratifiée par le Sénat au mois de décembre 1974, approuvée par le conseil constitutionnel, la loi Veil fut publiée le 17 janvier 1975 au Journal Officiel. La bataille était terminée, du moins en France...
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