Le 30 novembre 1974, une équipe de savants venus des États-Unis et de France découvre un squelette vieux de 3 millions d'années dans les collines desséchées de l'Afar, au nord-est de l'Éthiopie, non loin de Djibouti et de la mer Rouge.
C'est la première fois que des anthropologues mettent au jour un ensemble aussi important. 52 ossements représentant 40% d'un squelette. Ils vont bouleverser nos connaissances sur nos lointains ancêtres et les origines de notre espèce.
L'invention de Lucy
Tout commence avec la rencontre à Paris de Donald Johanson, jeune anthropologue de 27 ans à Chicago, et du géologue Maurice Taïeb. Taïeb invite Johanson à participer à ses expéditions dans la vallée du Rift, une grande faille qui traverse l'Afrique orientale du nord au sud, de Djibouti au Malawi.
En 1973, ils découvrent un premier fossile d'hominidé à Hadar, en un lieu qui domine la vallée de l'Awash. Une nouvelle expédition, l'International Afar Research Expedition, est organisée l'année suivante pour mettre au clair cette découverte.
Le 30 novembre, Donald Johanson quitte le camp comme à l'habitude en Land-Rover pour explorer un site prometteur. Il est accompagné d'un étudiant, Tom Gray. Peu avant de reprendre la voiture, il jette un oeil par-dessus son épaule et repère sur le sol un morceau de coude suspect.
Les deux chercheurs s'approchent et identifient sur un espace de 14 m2 un ensemble d'ossements appartenant à un hominidé. Leur émotion est immense car ils savent que le terrain a pas moins de 3 millions d'années. C'est donc aussi l'âge de ces ossements. Ils rejoignent en hâte le camp et y retrouvent Maurice Taïeb ainsi que le célèbre anthropologue anglo-kényan Richard Leakey, venu leur rendre visite.
Le lieu de découverte est soigneusement délimité et les ossements repérés. Ils se révèlent être ceux d'une femelle (faut-il parler de femme ?) de 1 mètre 10 qui ne devait pas peser plus de 50 kilos.
Son âge ? 14 à 20 ans à en juger par sa petite taille et ses dents de sagesse non encore usées.
Son alimentation ? Essentiellement végétarienne. Ses membres allongés lui permettaient de vivre en bonne partie dans les arbres qui couvraient la région il y a trois millions d'années.
Le soir de la découverte, l'euphorie règne au bivouac. Musique et bière. On écoute entre autres chansons Lucy in the Sky with Diamonds, immortel « tube » des Beatles.
L'amie de Donald Johanson, Pam Alderman, lance dans la discussion : « Si vous pensez vraiment que c'est une femelle, pourquoi ne pas l'appeler Lucy ? » (Donald Johanson, Comment j'ai découvert Lucy, in La Recherche, N° 380, novembre 2004, page 61).
Dans les jours suivants, les étudiants désignent le site de fouilles comme celui de « Lucy ». Le pli est pris et ce prénom va rester au squelette. Cette circonstance va réveiller l'intérêt du grand public pour la Préhistoire.
Maurice Taïeb avertit son collègue Yves Coppens, qui dirige de Paris l'équipe française. Il arrive aussitôt avec une équipe de télévision pour filmer la découverte.
Les ossements sont amenés au Museum d'histoire naturelle de Cleveland, où Donald Johanson est conservateur.
Ils sont étudiés sans trêve par des chercheurs venant du monde entier. Cela n'exclut pas des tensions entre Américains et Français, ces derniers n'étant pas associés autant qu'ils le souhaiteraient à l'interprétation des résultats.
Le Museum national d'Éthiopie, à Addis-Abeba, a aujourd'hui récupéré les ossements et les a rebaptisés Birkinesh (« Tu es merveilleuse » en amharique).
Lucy-Birkinesh n'a pas pour autant retrouvé le repos. Ses ossements sont auscultés sans fin par les spécialistes en tous genres. On sait comme cela qu'elle est un hominidé du genre Australopithèque (« Singe du Sud ») identifié en 1925 par le professeur Raymond Dart, un genre proche mais distinct du nôtre, le genre Homo.
Lucy n'est donc pas notre aïeule mais simplement une grand-tante, Australopithecus afarensis.
On a d'abord imaginé que Lucy se serait noyée, d'après la nature des roches qui forment son linceul. Mais l'analyse au scanner de ses os révèle des fractures qui donnent à penser qu'elle se serait mortellement blessée en tombant d'un arbre (note).
Brigitte Senut et Yves Coppens, au Museum d'Histoire naturelle de Paris, y voient la confirmation que les Australopithèques dont elle fait partie sont des arboricoles qui se déplacent d'arbre en arbre et ne marchent pas au sol.
Lucy ne détient plus depuis peu la palme de l'ancienneté en matière d'humanité.
- En 1995, une équipe conduite par un anthropologue de Poitiers, Michel Brunet, découvre une mâchoire aussi ancienne que Lucy au nord du lac Tchad, très à l'ouest du Rift. Jamais au bout de leurs peines, ils découvrent encore en 1999, en Afrique australe, quelques restes d'un Australopithèque de plus de 4 millions d'années.
– En octobre 2000, une équipe franco-américaine découvre au Kénya une mâchoire et quelques os d'un bipède dans des terrains remontant à... six millions d'années. Le mystérieux Australopithèque auquel auraient appartenu ces ossements serait ainsi deux fois plus vieux que Lucy. Il est baptisé du nom d'Orrorin (« homme originel » en langue locale).
– Enfin, le 19 juillet 2001, la mission franco-tchadienne de Michel Brunet réalise un nouvel exploit en mettant au jour un crâne vieux de sept millions d'années et quelques autres ossements en un lieu désertique du Tchad, autrefois baigné par les eaux du lac. Baptisé Toumaï (« espoir de vie » en langue locale), le crâne appartient à un être à la limite entre notre espèce et les autres hominidés. Homme ou gorille ? La question reste ouverte dans l'attente d'un fémur qui pourrait démontrer que Toumaï était un bipède, comme Orrorin, Lucy et nous.
Les savants n'en ont pas fini avec les découvertes qui repoussent toujours plus loin l'origine de l'humanité.
La découverte de ces hominidés à l'ouest du Rift, porte un coup fatal à la thèse d'une naissance de l'humanité à l'est de la célèbre faille, énoncée par l'anthropologue Yves Coppens à la suite de la découverte de Lucy, selon laquelle les hominidés auraient adopté la station verticale à l'Est de cette faille, en raison du recul de la forêt au profit de la savane.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Matt (28-11-2021 11:58:30)
Cette théorie de l'évolution n'a aucun fondement vraiment scientifique. Darwin part des pinsons de Galapagos pour arriver aux hommes singes. Il n'y a aucun chaînon intermédiaire qui lierait les es... Lire la suite
BERTRAND (07-08-2016 17:52:20)
remarquable.Où se procurer la totalité de ces articles sur la préhistoire ?Merci
Robert (16-02-2015 18:31:56)
J'assistais il y a quelques années à une leçon d'Yves Coppens au Collège de France durant laquelle il nous rapporta l'anecdote suivante: Au cours d'une visite à sa grand mère elle lui décla... Lire la suite
CDP (26-11-2014 18:11:07)
Je suis très surprise du rôle que vous attribuez à M. COPPENS que je pensais très impliqué dans la découverte et pas uniquement par la direction d'une équipe de télévision ! Herodote.net :No... Lire la suite