10 juin 1973

Désobéissance civile sur le Larzac

Le 10 juin 1973, des militants politiques et des paysans du cru construisent sans permis une bergerie dans les Causses du Larzac, un plateau calcaire semi-désertique du département de l'Aveyron. Par cet acte de désobéissance civile, ils manifestent leur opposition au projet gouvernemental d'agrandir le camp militaire du Larzac.

La même année, en août, 60 000 manifestants se retrouvent sur le plateau. C'est le début d'une agitation libertaire et joyeuse qui va marquer la fin de la présidence de Georges Pompidou et se poursuivre sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Elle ne s'éteindra qu'avec l'élection de François Mitterrand et le renoncement par celui-ci à l'extension du camp militaire…

Pénélope Pélissier

Les brebis des paysans du Larzac larguées sur le Champ de Mars, à Paris, le 25 octobre 1972

Un camp militaire contesté

À l’automne 1970,  André Fanton, secrétaire d’État à la Défense, en déplacement dans l'Aveyron, révèle son intention d’agrandir le camp du Larzac.

Pour l'heure, le camp héberge des militaires réservistes durant l'été. Mais le gouvernement projette d'y mener de grandes manoeuvres impliquant du matériel lourd.

Les 103 agriculteurs du plateau craignent l'expulsion.  Il s'agit de vieux paysans et aussi de « néoruraux » de gauche comme Guy Tarlier, qui pratiquent l'élevage de brebis pour la production de roquefort. Ils sont associés en Groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC) et participent à la vie de plusieurs grandes organisations : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et la Jeunesse agricole catholique (JAC).

Dès janvier 1971, ils affichent fièrement des panneaux comportant l’inscription en occitan « Gardarem lo Larzac » (« Nous garderons le Larzac ») et en font le titre de leur magazine. Parallèlement, ils fondent l’Association de sauvegarde du Larzac et de son environnement.

Le 9 mai 1971, la lutte prend de l’ampleur : une centaine d’habitants de grandes villes marchent de Millau à La Cavalerie, un hameau du Larzac, en signe de soutien. Toutefois, le 28 octobre 1971, Michel Debré, ministre de la Défense, confirme à la télévision la décision d’étendre le camp militaire de 3500 à 17 000 hectares. Mais les habitants du causse se montrent « décidés à vivre ici et à y rester » et s'autorisent l'ironie : « Debré ou de force, nous garderons le Larzac ! » ou « Faites labour, pas la guerre ! »

La lutte du Larzac est médiatisée. Le 6 novembre 1971, des paysans de toute la France ainsi que des prêtres et la Chambre de commerce et d’industrie locale manifestent à Millau leur soutien aux insurgés du Larzac. Le 5 février 1972, Raymond Bonnefous, président du Conseil général, fédère les acteurs en lançant le Comité départemental de sauvegarde du Larzac.

Carte du Larzac

La lutte s'organise

Lanza del Vasto à la communauté de Bonnecombe, 1975.La Lutta del Larzac s’ancre dans la non-violence avec le lancement d’un jeûne, le 19 mars 1972, par Lanza del Vasto, un écrivain, sculpteur et musicien italien, disciple de Gandhi. Le 28 mars 1972, l’ensemble des 103 agriculteurs signe un pacte. Ils y réaffirment leur refus de céder leurs terres au gouvernement.

Ils proposent aussi au public de visiter leurs fermes durant le week-end de Pâques. L'affluence est au rendez-vous. Mgr Jean-Ernest Ménard, évêque de Rodez, apporte son soutien au mouvement. Mécontent, Michel Debré répond à l’Assemblée nationale que c’est du « dévergondage des idées ». Le jour de la Fête nationale, en juillet, une centaine de tracteurs manifestent devant la préfecture de Rodez, chef-lieu de l’Aveyron.

En octobre 1972, le gouvernement lance une enquête d’utilité publique sur les terres du Larzac, la première étape juridique avant de procéder à l’expropriation des paysans. En guise de protestation, les agriculteurs lâchent toutes leurs brebis sur la place de la mairie de La Cavalerie. Guy Tarlier suggère alors de procéder de même à Paris. C’est chose faite le 25 octobre : soixante brebis broutent sur le Champ de Mars. Le lieu est hautement symbolique : c’est là qu’ont lieu habituellement les défilés militaires. L’événement est fortement médiatisé dans le quotidien France-Soir, à la télévision, et même aux États-Unis et au Canada.

La marche du Larzac vers Paris en 1973.Les habitants du causse tiennent leur revanche. Paris est désormais leur point de mire : le 7 janvier 1973, soutenus par la FNSEA, ils conduisent leurs tracteurs depuis le Larzac jusqu’à la capitale, traversant toute la France. Mais, une fois arrivés à Orléans, les agents leur barrent l’accès ; qu’importe, ils continuent à pied. Leur persévérance s’avère payante : ils font la connaissance de Bernard Lambert, un paysan et homme politique. Ce dernier s’est battu aux côtés des agriculteurs bretons et dirige le syndicat des Paysans travailleurs (la future Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans) ; c’est un allié de choix. La lutte devient nationale : des comités d’action Larzac sont créés dans toute la France.

Pour compliquer les projets de l’État et des promoteurs, les Larzacois divisent leurs terres en de multiples parcelles grâce aux Groupements fonciers agricoles (GFA). Le 29 avril 1973, soixante agriculteurs rendent par courrier postal leur « livret individuel » ou livret militaire au ministre Robert Galley. Le 10 juin 1973, ils commencent à bâtir la bergerie la Blaquière (évidemment sans permis). Trois cents personnes sont sur le chantier, discutant et travaillant, en autogestion. Elles gravent des inscriptions sur les pierres du bâtiment : « Servir le peuple », « Ici et maintenant », « JOC » (Jeunesse Ouvrière Chrétienne de France).

Banderole réalisée par les paysans du Larzac en 1973.

À l’été 1973, Bernard Lambert appelle les Français à se rendre au Larzac, au Raja del Gorp, pour soutenir les paysans. Les 25 et 26 août 1973, 80 000 personnes sont dans l’Aveyron. Des concerts sont organisés, notamment celui de Claude Marti, un chanteur et poète occitan, figure de proue du régionalisme. Une délégation des salariés de Lip, une entreprise prestigieuse d'horlogerie en cours de redressement judiciaire, est venue de Besançon pour vendre ses montres, fidèle à son slogan libertaire : « On fabrique, on vend, on se paie ». Dans une atmosphère de Grand Soir, une participante lance « Nous allons à un mariage, le mariage des ouvriers et des paysans, le mariage de Lip et du Larzac ».

Le rassemblement se renouvelle l’été suivant. Une « fête de la Moisson » est mise en place pour financer des projets dans le tiers-monde, avec comme devise : « Le blé fait vivre, les armes font mourir ». Intrigué, François Mitterrand décide d’y faire un tour le 17 août 1974. Mais, après avoir serré la main à des agriculteurs, il est très mal accueilli par les participants maoïstes. De son côté, Mgr Ménager, archevêque de Reims, envoie une lettre de soutien aux militants où il déclare : « Si elle doit surgir, la résistance est dans l’âme d’un peuple. L’expérience de la non-violence (…) ouvre un chemin dans cette direction ».

Visite de François Mitterrand au Larzac en août 1974.

L'abandon du projet

Les Aveyronnais poursuivent le combat sous la houlette de la Communauté de l’Arche et de son chef Lanza del Vasto. Le 5 octobre 1974, deux familles occupent la ferme des Truels, propriété de l’État. L’armée, désemparée, ne sait comment réagir.

Sans nouvelles du gouvernement concernant le rachat de leurs terres, le 28 juin 1976, les agriculteurs partent se renseigner par eux-mêmes et investissent les bureaux du camp militaire. Parmi eux figure José Bové qui ne tardera pas à devenir une figure majeure de l'extrême-gauche anarchiste et altermondialiste.  Pour l’exemple, on leur intente un procès et plusieurs sont sanctionnés pour le motif de cambriolage.

En 1977, des rassemblements écologiques et antimilitaristes ont lieu à Flamanville (Manche) d'une part au mois de mars, où le gouvernement prévoit de construire une centrale nucléaire, et d'autre part au Larzac durant le mois d’août.

L'année suivante, en novembre 1978, des agriculteurs entament une marche du Larzac à la capitale. Ils sont accueillis à Paris par 50 000 sympathisants et reçus par le ministre de la Défense. En dépit de cette avancée, le projet d’agrandissement du camp militaire est signé début 1981 par le nouveau ministre Robert Galley. Mais l'échec de Giscard d'Estaing aux présidentielles,  le 10 mai 1981, face à François Mitterrand, rebat les cartes. Le nouveau président annule le projet dès le 3 juin 1981. Les terres achetées par l’armée sont restituées aux paysans.

Le Larzac fait partie depuis 1995 du Parc naturel régional des Grands Causses. En 2011, il a été inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco au titre de « paysage culturel vivant de l’agropastoralisme méditerranéen ». Un écomusée, La Ferme Caussenarde d’autrefois, a été créé pour faire connaître les traditions de la région. Quant à l'armée, elle se félicite de l'annulation du projet de camp militaire. Les nouvelles techniques de simulation informatique ont rendu inutiles en effet les manoeuvres en grandes dimensions !

Manifestation des agriculteurs du Larzac à Paris, le 17 mars 1975. Photographe : Etienne Montes pour Gamma-Rapho.

Bibliographie

• DELACROIX Christian, ZANCARINI-FOURNEL Michelle, La France du temps présent : 1945-2005, in Histoire de la France contemporaine, Belin, Saint-Etienne, 2014.
• VIGREUX Jean, Croissance et contestations : 1958-1981, Éditions du Seuil, Paris, 2014.
• VINCENT Gérard, Les Français : 1945-1975 Chronologie et structures d’une société, Masson, Paris, 1977.
• VINCENT Gérard, Les Français : 1976-1979 Chronologie et structures d’une société, Masson, Paris, 1980.

Publié ou mis à jour le : 2021-04-28 15:49:06

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