5-16 octobre 1970

« Crise d'octobre » au Québec

Le 5 octobre 1970, au petit jour, un commando enlève à son domicile James Richard Cross, attaché commercial britannique au Canada. Cinq jours plus tard, un autre commando enlève Pierre Laporte, ministre du Travail et de l'Immigration du Québec. Les ravisseurs se réclament du FLQ (Front de Libération du Québec), un groupuscule d'extrême-gauche né en 1963. Il s'apparente aux autres groupuscules ultraviolents des « années de plomb », en Allemagne, Italie, Irlande, pays Basque, etc.

Le 16 octobre suivant, le gouvernement fédéral de Pierre-Elliott Trudeau suspend les libertés individuelles tandis que l'armée canadienne et la police arrêtent quelque 400 personnes soupçonnées d'appartenir ou de soutenir le FLQ. Le lendemain, on retrouve le corps de Pierre Laporte dans le coffre d'une voiture. Le malheureux a été étranglé avec la chaînette qu'il portait autour du cou. Cette « Crise d'octobre » a signé l'arrêt de mort du FLQ et laissé une trace durable dans la vie politique du Québec.

Marine Bonhomme

Le FLQ perpètrent plus de 200 attentats à la bombe entre 1963 et 1970. Photo de Jacques Bourdon.

La « Révolution tranquille » et l’émergence des mouvements nationalistes

Le Parti libéral dirigé par Jean Lesage a remporté au Québec l'élection générale du 22 juin 1960. Premier ministre de 1960 à 1966, Jean Lesage entame une profonde politique de modernisation. C'est la « Révolution Tranquille ». Le ministère de l'Éducation est créé en 1964, puis l’année suivante, ce sont la caisse de retraite publique, la Régie des rentes (RRQ), et le fond d’investissement pour les grands projets d’infrastructures publiques (CDPQ) qui voient le jour. Cependant, ce processus s'accompagne d'une montée du nationalisme québécois.

Mais dans l'opposition, un nouveau parti politique voit le jour en 1963, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). Trois ans plus tard, l’Union nationale accède au pouvoir lors des élections de 1966. Daniel Johnson devient chef du gouvernement et poursuit contre toute attente une partie de la politique de son prédécesseur. Il adopte une approche réformatrice : il crée notamment l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et inaugure Radio-Québec.

Dès le gouvernement Lesage, la Constitution de 1867 était montrée du doigt comme ne garantissant plus l’épanouissement de Québec. Daniel Johnson va plus loin puisqu’il souhaite l’adoption d’une nouvelle Constitution afin de garantir une égalité de droit entre sa province et la Fédération du Canada. Le voyage triomphal du général de Gaulle au Québec en juillet 1967 va attiser les revendications autonomistes, voire indépendantistes.

C’est dans ce contexte qu’émerge le Front de Libération du Québec en 1963. Divisé en plusieurs cellules sans réelle coordination, ce groupuscule se réclame des mouvements révolutionnaires violents comme l’IRA ou de guérilla comme les Weathermen aux États-Unis.

Leurs premières actions entre 1963 et 1968 consistent en la réalisation de vols d’armes auprès des manèges militaires puis ils attaquent violemment des cibles fédérales : ils commettent un attentat à la bombe dans les locaux de la Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC) le 28 juillet 1965, ils s’attaquent à la Bourse le 13 février 1969 puis au domicile du maire de Montréal en septembre 1969. En l’espace de sept ans, ils sont les auteurs de près de 200 attentats à la bombe. À ces actions succèdent bientôt les enlèvements politiques.

Le 5 octobre 1970 et l’enlèvement de James Cross

Le 5 octobre 1970, 4 membres du FLQ de la cellule Libération - Nigel Hamer, Jacques Lanctôt, Marc Carbonneau et Yves Langlois - se rendent avec un taxi volé au 1297 rue Redpath-Crescent, là où réside James Richard Cross, un attaché commercial britannique. Un complice, Louise Lanctôt, les y attend. Ils ont prévu de le kidnapper pour faire entendre leurs revendications. Les cinq complices sont lourdement armés : ils sortent de leur véhicule un pistolet semi-automatique 22 Beretta, une carabine M1 et un Luger.

James Richard Cross, pris en otage par la cellule Libération du FLQ, joue au solitaire sur cette photo rendue publique par ses ravisseurs. Canadian Press.Lanctôt qui fait le guet lance l’opération. Elle se présente seule devant le domicile du diplomate et sonne à la porte. Ses complices Langlois et Hamer sont cachés dans le jardin. Ce n’est pas James Cross qui se présente à la porte mais une domestique. Lanctôt la menace de son arme.

Afin de prévenir toute tentative d’appel au secours, les felquistes sectionnent les fils téléphoniques. Cross est finalement trouvé par Hamer et Lanctôt à l’étage dans la salle de bain. Menotté, embarqué dans le taxi, il atterrit rue Edouard Montpetit où les ravisseurs changent de voiture. Ils rejoignent un sixième complice, Jacques Cossette-Trudel qui les attend dans une Chrysler grise du début des années 60. James Cross est transféré dans ce véhicule avant de rejoindre la rue des Récollets. 

En échange de la libération de leur otage, les ravisseurs exigent la diffusion de leur Manifeste, la libération de 23 prisonniers politiques, un avion pour garantir leur fuite en direction de l’Algérie ou de Cuba, le réengagement de 400 anciens employés des « gars de la Palme » par Postes Canada, le placement de 50 000 dollars à bord de l’avion, et le nom des informateurs des activités terroristes auprès de la police.

Des négociations débutent entre les gouvernements et Robert Lemieux, avocat du FLQ. Le gouvernement accepte de diffuser le Manifeste sur les ondes depuis CKAC à Montréal puis à la télévision Radio-Canada les 7 et 8 octobre 1970.  Mais toutes les revendications ne sont pas satisfaites : le 10 octobre, le gouvernement oppose une fin de non-recevoir au groupuscule. 

L’escalade de la crise : enlèvement et assassinat de Pierre Laporte

Le jour-même, en réaction à ce refus, les frères Paul et Jacques Rose, Francis Simard et Bernard Lortie du groupe Chénier du FLQ enlèvent Pierre Laporte, ministre du Travail et de l’Immigration du Québec, devant son domicile, provoquant la stupeur dans l’opinion publique.

Le 15 octobre, le premier ministre Robert Bourassa et Jean Drapeau, maire de Montréal, sollicitent le pouvoir fédéral, requièrent l’intervention de l’armée et demandent des pouvoirs exceptionnels. La demande d’intervention de l’armée  est signée à 12h45 par le ministre des Armées à Ottawa et transmise au vice-chef d’état-major. À 13h, ce dernier ordonne l’intervention des troupes. Avant la fin de la journée, la totalité des troupes sont déployées et positionnées dans la province de Québec.

Loi sur les mesures de guerre fait la une de la presse canadienne. Photo issue de Les archives/Le Journal de Montreal.Le 16 octobre à 4h du matin, le gouvernement canadien proclame la Loi sur les mesures de guerre, une première en temps de paix. 457 personnes sont arrêtées pour leur lien supposé avec le FLQ. Quelques heures plus tard, Pierre Laporte est retrouvé mort dans le coffre d’une voiture abandonnée à proximité de l’aéroport de Saint Hubert. Le FLQ perd la bataille de l’opinion.

59 jours plus tard, le 3 décembre 1970 à 8h30, les forces armées canadiennes se positionnent autour d’une maison, rue des Récollets à Montréal. Après le déminage de la zone, les négociations se poursuivent avec les felquistes. Ces derniers acceptent de libérer James Cross en échange d’un sauf-conduit pour Cuba. James Richard Cross est libéré le 4 décembre vers 2h du matin.

Le 27 décembre 1970, trois membres du groupe Chénier - Francis Simard et les deux frères Rose - sont arrêtés à Saint-Luc sur la Rive-Sud. Paul Rose et Francis Simard sont condamnés à la perpétuité et Jacques Rose est condamné à huit ans de prison lors de son quatrième procès en 1973.

Publié ou mis à jour le : 2024-10-20 21:56:03

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