Le 4 septembre 1970, le socialiste Salvador Allende est élu président de la République du Chili. Il n'obtient cependant que 37% des voix avec une coalition fragile qui va du centre à l'extrême-gauche maoïste. Le reste des voix se partage entre ses deux adversaires de droite.
L'hostilité de l'opposition au président ne cessera de se renforcer jusqu'à sa mort tragique, trois ans plus tard…
Né le 26 juin 1908 dans une riche famille de la bourgeoisie franc-maçonne du Chili, Salvador Allende suit une formation de médecin tout en s'engageant en politique. Il participe à vingt ans, en 1933, à la fondation du Parti socialiste chilien.
En 1939, il devient ministre de la Santé dans un gouvernement de Front populaire. Il tente entre autres de légaliser la stérilisation des malades mentaux. Avant d'être mise en oeuvre par Hitler et donc disqualifiée, cette démarche eugéniste était en effet présentée par les milieux progressistes, de la Suède au Chili, comme une évidence...
Allende échoue une première fois à l'élection présidentielle en 1952, à la tête d'une coalition de gauche, le FRAP (Front d'action populaire), puis une nouvelle fois (d'extrême justesse) en 1958. Il se console avec la présidence du Sénat où se fait jour son sens du dialogue et du compromis.
Une troisième fois candidat à la présidence en 1964, il échoue face à Eduardo Frei. La quatrième tentative, six ans plus tard, sera la bonne.
De la droite réformiste à la gauche révolutionnaire
Le 26 février 1964, Eduardo Frei, candidat démocrate-chrétien, est élu à la présidence de la République sur un programme réformiste qui a les faveurs de l'Église, la «Révolution dans la liberté» (partage des terres, nationalisation des mines de cuivre qui font la richesse du pays...).
Le nouveau président établit aussi des relations diplomatiques avec Fidel Castro, toutes choses qui ont l'heur d'irriter le patronat chilien et plus encore les États-Unis. Dans le même temps, ses réformes entraînent une surenchère à gauche où se développent des mouvements révolutionnaires violents d'inspiration guévariste, trotskyste ou maoïste, tel le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire).
En prévision des élections suivantes, Salvador Allende prend la tête d'une coalition de gauche, l'Unité populaire (UP), qui va du parti radical (centre réformiste) à cette extrême gauche révolutionnaire en passant par les communistes. Le parti socialiste de Salvador Allende se situe lui-même plus à gauche que le parti communiste et aspire à rien moins qu'à la rupture avec le capitalisme.
Le 4 septembre 1970, il est élu à la présidence de la République avec 36,3% des suffrages, face à deux candidats de droite : Jorge Alessandri, candidat du Parti national, qui a obtenu 35% des suffrages, et le démocrate-chrétien Radomiro Tomic (27,8% des suffrages), lâché par le patronat et les États-Unis.
En l'absence de majorité absolue et faute d'un deuxième tour qui départagerait les deux candidats arrivés en tête, la Constitution confie au Sénat le soin d'arbitrer l'élection. C'est ainsi que les sénateurs démocrates-chrétiens joignent leur voix à la gauche pour valider l'élection de Salvador Allende. Ils espèrent la poursuite des réformes d'Eduardo Frei dans le respect des règles démocratiques.
Pour la première fois, un marxiste accède par les urnes à la tête d'un pays d'Amérique latine. C'est un électrochoc dans l'opinion internationale et en particulier dans la gauche française, où l'on se prend à rêver à l'impensable : l'établissement d'une société communiste par la voie constitutionnelle...
Une présidence fragile
En dépit d'un électorat minoritaire et d'une coalition hétérogène, les premiers mois du nouveau président sont euphoriques. Aux élections municipales d'avril 1971, la gauche remporte 49,75% des suffrages.
La nationalisation des mines de cuivre, engagée par le précédent président, est votée à l'unanimité. Considérant les profits exorbitants réalisés par les anciens propriétaires, les parlementaires s'abstiennent de les indemniser. Les autres grandes entreprises du pays sont également nationalisées. La réforme agraire est menée à son terme. Les salaires sont augmentés et les prix bloqués.
Ces mesures sociales de Salvador Allende sont toutefois jugées trop modérées par l'extrême-gauche révolutionnaire (MIR), qui s'engage dans l'action violente. Le 8 juin 1971, un commando assassine l'ancien ministre de l'Intérieur d'Eduardo Frei, Edmundo Perez Zujovic.
Dans le sud du pays, contre l'avis des communistes eux-mêmes, des militants exproprient d'office les propriétaires terriens en-dehors de toute légalité. Les propriétaires se défendent tant bien que mal avec l'aide d'un groupe paramilitaire d'extrême-droite (« Patrie et Liberté »).
La relance de la consommation populaire et le blocage des prix entraînent d'autre part de premières pénuries. Les prix flambent et le marché noir s'installe.
Le pays est bientôt paralysé par des grèves à répétition, dont celle des camionneurs, qui paralysent le pays pendant trois semaines, en octobre 1972, en bloquant la route panaméricaine, colonne vertébrale qui court du nord au sud sur près de quatre mille kilomètres.
En novembre 1972, Fidel Castro s'en vient visiter le Chili pendant plusieurs semaines, distribuant ses conseils à tout va, au risque d'irriter les Chiliens. À peine est-il parti que les ménagères descendent dans la rue en agitant des casseroles vides pour protester contre les pénuries alimentaires.
Salvador Allende doit simultanément faire face à une opposition de droite majoritaire au Parlement. Elle est soutenue en sous-main par les agents secrets de la CIA américaine et financée par les multinationales implantées dans le pays, au premier rang desquelles figure le trust de télécom ITT.
Le président américain Richard Nixon et son Secrétaire d'État Henry Kissinger, empêtrés dans le bourbier vietnamien, craignent la réédition d'un coup d'État prosoviétique à la façon de Fidel Castro, à Cuba, dix ans plus tôt. Ils appellent au boycott du cuivre chilien. Le prix du minerai s'effondre, ce qui détériore la balande commerciale du pays.
L'extrême-droite commet un attentat meurtrier contre le commandant en chef de l'armée de terre, le général René Schneider, fidèle soutien du président.
Pour faire face aux menaces qui l'assaillent de toutes parts, Salvador Allende appelle les militaires à son secours.
Se méfiant à juste titre de l'armée de l'air et de la marine, aux traditions aristocratiques, il se repose sur l'armée de terre, légitimiste et au recrutement plus populaire.
Il lui donne un nouveau commandant en chef en la personne du général Carlos Prat (57 ans). Celui-ci nomme à ses côtés, comme chef d'état-major, un général falot de 58 ans, peu suspect d'activisme, issu d'un milieu populaire et franc-maçon comme le président, un certain Augusto Pinochet.
En novembre 1972, Carlos Prats devient ministre de l'Intérieur tandis que Pinochet le supplée à la tête de l'armée de terre comme chef d'état-major.
Aux élections législatives du 27 mars 1973, l'UP (gauche) obtient le score appréciable de 43,9% des suffrages. Carlos Prats et les autres militaires du gouvernement sont remplacés par des civils mais le pays est désormais coupé en deux.
La démocratie-chrétienne se rapproche du Parti national et il s'en faut de peu que la droite parlementaire n'arrive à réunir la majorité des deux tiers qui lui permettrait de destituer le président.
En avril 1973, les grévistes de la mine de cuivre d'El Teniente manifestent contre le gouvernement avec les étudiants de l'Université catholique de Santiago ! Plus grave encore, le 29 juin 1973, un groupe d'officiers tente de se mutiner à la tête du principal régiment de blindés de Santiago.
Le 9 août 1973, Salvador Allende rappelle les militaires au gouvernement. Il nomme Carlos Prats au ministère de la Défense mais dès le 23 août suivant, celui-ci, humilié et découragé, démissionne de toutes ses fonctions. Il est remplacé par Augusto Pinochet à la tête de l'armée de terre.
Le président ne voit plus d'autre issue que dans un référendum qui lui permettrait, en cas d'échec, de démissionner avec les honneurs. Mais Pinochet, qui a rejoint le camp des putschistes, ne lui laissera pas le temps de l'organiser.
Le 11 septembre 1973, il supervise un soulèvement militaire qui conduit Salvador Allende au suicide et plonge le Chili dans la terreur.
Vos réactions à cet article
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Erik (06-09-2016 08:35:02)
Il est tout-à -fait révélateur des basculements d'opinion que de lire et relire les commentaires de lecteurs de 2006 et ceux de 2013, à peine 7 ans plus tard. Nul doute que ceux d'aujourd'hui en 2016 seront dans la même ligne de pensée.
Nous assistons à ce qu'il faut bien nommer la "démarxisation" des esprits. Ce n'est pas un mal. L'abandon d'une idéologie toxique par essence n'est jamais un mal. Cela vaut aussi pour toutes les autres bien-sûr.
GALLET (05-09-2016 18:03:02)
Excellent résumé de ce qu'on peut maintenant appeler l'aventure Allende. Quelques erreurs de date dans le commentaire des deux premières photos.
dIogenes (12-11-2013 13:14:56)
Malgré le dégout qu'i,spire Pinochet et sa clique, peut-on réellement plaindre Allende?
Son parti-pris gauchiste de fils de riche riche vieux briscard du "politique" en révolte adolescente irréaliste MIR maoïste castriste, à la soixantaine, est-il respectable?
Non. C'est tout bien fait pour lui et si le MIR avait alors pris le pouvoir au lieu de Pinochet, le Chili sinon toute l'Amérique du Sud aurait connu la dictature bolchévico maoïste pour trente ans voire plus: Castro bouge encore!
L'eugénisme est incontournable dans des cas limités mais existants. Relativisé par la recherche et trouvailles génétiques, on ne saurait le condamner à l'emporte-pièce. Faut voir.
Philippe Marquette (19-09-2013 09:47:55)
C'est compliqué de mesurer ce qui se passe dans un pays comme le Chili avec une sensibilité française pétrie depuis la plus tendre enfance par l'idéologie que l'on sait. Castro et surtout Guevara figurent dans le Top 10 ou 15 de ceux qui ont commis pas mal d'atrocités.
Sans être un fan de Pinochet, je pense qu'il fallait d'une façon ou une autre mettre fin aux désordres qu'il y avait au Chili.
Les "latinos" sont souvent excessifs et si on ne possède pas un véritable vécu de ces pays, on doit s'astreindre à relater les faits comme le fait Hérodote.
Marc Mayer (14-09-2013 21:54:24)
En mai 1974 j'ai fait un séjour d'environ une semaine au Chili, c'est-à -dire environ 8 mois après le putsch et le sentiment de délivrance. de fin d'un cauchemar était encore palpable dans la rue. J'ai de nombreux amis au Chili, y vais de temps en temps et n'ai jamais eu le sentiment d'une quelconque terreur.
Je ne cherche pas à défendre les dérives du régime Pinochet, mais les excès de celui-ci étaient réservés à des cibles précises qui ont alimenté les colonies de Chiliens à l'étranger, notamment en France, lesquelles ont contribué à la propagation de cette idée de terreur qui ne correspond pas à la réalité de la situation au Chili durant l’ère Pinochet.
Piloulechat (12-09-2013 14:26:41)
Encore bravo à Hérodote pour cette excellente synthèse.
Pion de la CIA contre pion du KGB, chacun choisit ce qui lui semble le moindre mal, puisqu'il n'y a presque jamais de "meilleure" solution dans l'existence !
Le parallèle avec la guerre civile espagnole, toutes choses égales par ailleurs, est licite : les partis de la gauche démocratique (plus réformiste que révolutionnaire) ont été emportés par la faction extrémiste, stalinienne ou trotskiste !!
De plus, c'est très objectif d'avoir signalé que Allende et Pinochet sont issus des mêmes milieux : gauche modérée et franc-maçon !!!
Enfin, le suicide d'Allende n'est "validé" que par les seuls membres de sa garde prétorienne marxiste.
philippe (12-09-2013 09:13:17)
Bonjour
Je peux entendre "une longue nuit" a propos de la période Pinochet, mais comme pour le général Franco et l'espagne en 36 il ne faut pas oublier que ce qu'ils ont évité à leur pays n'était pas plus "lumineux" : menaces de l'extreme gauche (contre la propriété, la religion, la démocratie), risque de tomber dans le giron soviétique
On oublie trop souvent aujourd'hui que le vrai danger de l'époque c'est le communisme
Au vu des réalisations "splendides" de ce régime on comprend pourtant facilement cette inquiétude et pour ma part je refuse cette image d'epinal "nuit" et "progres" collée sur les dictatures respectivement de droite et de gauche
merci pour votre site et cet article
Diogenes (11-09-2013 20:16:11)
Une longue Nuit SANS Maoïste et autres Sentiers Lumineux au pouvoir....!
Ils n'auraient pas laissé longtemps le pouvoir aux modérés réformistes et auraient comme PARTOUT ailleurs copié la révolution bolchévique minoritaires contre les Menchéviks et autres démocrates majoritaires....
Je ne pleure pas pour Allende.
JDOURI (29-09-2006 12:19:29)
Je voudrais rejoindre Pauline dans sa remarque , car effectivement , les mége-puissances de ce triste bas-monde ont une facheuse tendance a occulter des parties de l'histoire telle que celle du regretté Allende ! Face à notre propre impuissance , je ne peux qu'encourager les gens a se renseigner sur ce qu'ont été les réelles tragedies de ce siècle ! Merci a herodote.net !et.... QUé VIVA LA REVOLUTION !!!!!
pauline (12-09-2006 12:56:35)
Les médias européens (et pas seulement les médias d'ailleurs) relayent effectivement un peu trop ce tragique événement du 11 septembre 2001. Cependant hier soir sur Arte était diffusée une série de courts métrages assez bien faits : l'un d'entre eux parlait du 11 septembre 1973 et dénonçait, comme vous le fait, l'oubli dans lequel on a tendance à le mettre... maigre consolation certes mais c'est déjà ça...
philippe (11-09-2006 07:02:21)
Je me souviens, comme si c'était hier, de la mort tragique survenue le 11 septembre 1973 au Chili où un grand défenseur des libertés démocratiques a été assassiné avec la connivence des Services des renseignements américains. On connaît les massacres et les persécutions perprétrés par la suite par "Pinocchio", le pion chilien de la CIA. Aujourd'hui, le 11 septembre 2006, je conçois que ces mêmes Americains commémorent "leur" 11 septembre, celui de 2001, mais je suis outré de voir que les media européens reprennent en coeur, béatement, la voix des Etats-Unis, sans même se souvenir des événements du Chili.