Au matin du 21 août 1968, les Européens se réveillent en état de choc. Des troupes blindées d'un total de 300 000 hommes ont envahi dans la nuit la Tchécoslovaquie sur décision de l'autocrate soviétique Leonid Brejnev. Des dizaines de milliers de parachutistes ont aussi atterri sur l'aéroport de Prague.
Les agresseurs appartiennent à cinq pays du pacte de Varsovie, dont fait partie la Tchécoslovaquie elle-même (URSS, Pologne, Bulgarie, Allemagne de l'Est, Hongrie). Ils prétendent intervenir à l'appel de responsables locaux en vue de sauver le socialisme dans ce pays d'Europe centrale où il a été imposé vingt ans plus tôt par l'Union soviétique à la faveur du « coup de Prague ».
Tout commence en juin 1967, quand, au congrès de la Jeunesse tchécoslovaque, des voix demandent la fin de la mainmise communiste sur les organisations de jeunesse. La contestation s'étend au congrès des écrivains. Bientôt s'agitent et manifestent étudiants et universitaires. Les pièces de l'auteur Vaclav Havel tournent en dérision le régime. Tout comme les films du cinéaste Milos Forman... Dans un pays comme la Tchécoslovaquie où les intellectuels ont toujours eu beaucoup d'écho dans l'opinion, cette agitation retentit jusqu'au sommet de l'État.
Le 5 janvier 1968, le « libéral » Alexandre Dubcek (47 ans) est élu secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque en remplacement du très conservateur Antonín Novotný qui reste président de la République.
Fils d'un ébéniste slovaque, Dubcek a suivi ses parents en URSS avant de regagner son pays en 1938 et de combattre dans la résistance contre les nazis. Devenu Premier secrétaire du Parti communiste slovaque, il reste peu connu de ses concitoyens jusqu'à son élection à la tête du Parti tchécoslovaque.
Il se garde toutefois de toute initiative qui pourrait heurter le tuteur soviétique jusqu'à ce qu'éclate un scandale de corruption dans lequel se trouvent compromis plusieurs militaires proches de Novotný.
Bénéficiant de la libéralisation de la presse, les milieux intellectuels se mobilisent pour réclamer la démission de celui-ci, effective le 21 mars 1968. L'Assemblée nationale élit à sa place, le 30 mars 1968, le général Lutvik Svoboda (73 ans), qui a le mérite d'avoir combattu aux côtés des Soviétiques.
La voie semble désormais ouverte pour des réformes hardies, au grand dam des Soviétiques et de leurs alliés. L'enthousiasme est général. Dans les entreprises se créent spontanément des conseils de travailleurs libérés de la hiérarchie communiste. Les églises et associations religieuses se manifestent au grand jour. D'anciens prisonniers politiques se regroupent au sein du Club 231, embryon de parti d'opposition.
Dès le 9 avril, tandis que la jeunesse d'Occident s'agite et se donne des frissons de Révolution, Alexandre Dubcek publie un Programme d'action qui lui vaut la couverture du magazine américain Time. Dans la foulée, il supprime la censure, autorise les voyages à l'étranger et fait même arrêter le chef de la police. Beaucoup de Tchécoslovaques se ruent à la découverte de l'Occident sans prendre garde aux manoeuvres prémonitoires du pacte de Varsovie, en Tchécoslovaquie même.
Alexandre Dubcek est toutefois entravé dans ses réformes par le maintien d'une quarantaine de conservateurs au sein du Comité Central. Pour s'en débarrasser, il annonce la convocation d'un Congrès extraordinaire du Parti le 9 septembre 1968.
Pour les Soviétiques, le temps presse. Le 3 août 1968, Dubcek est fermement invité à rejoindre les représentants de l'Union soviétique, y compris le secrétaire général Brejnev, à Bratislava, en Slovaquie.
Au terme de discussions orageuses, il s'ensuit la signature d'un vague compromis. Dubcek sait qu'il ne sagit que d'un sursis.
Quand les chars du pacte de Varsovie investissent les villes du pays, la population s'abstient de toute résistance armée. Elle tente de dialoguer avec les tankistes soviétiques. Dans un dérisoire effort de résistance passive, elle enlève les plaques des rues pour désorienter l'occupant.
En certains endroits, des tankistes perdent leur sang-froid face à l'audace des manifestants et ouvrent le feu. On compte le soir du 21 août quelques poignées de morts.
Le lendemain, de nombreux Praguois manifestent en silence, oriflammes au vent. Sans résultat.
Le PC tchécoslovaque tient un congrès extraordinaire clandestin dans les usines CKD, près de Prague, et reconduit Alexandre Dubcek dans ses fonctions.
Pendant ce temps, celui-ci a été jeté manu militari dans un avion et transféré en Union soviétique. Le 23 août, il est fermement convié par ses hôtes soviétiques à signer un texte de capitulation. Après trois jours de pressions et de brutalités, il se résigne enfin.
Le 27 août, de retour à Prague, abattu et défait, il présente ce texte à ses concitoyens. Il y est question pour la première fois de « normalisation ». C'en est brutalement fini du « Printemps de Prague » et de l'illusion d'un « socialisme à visage humain ».
Devenus inutiles à l'occupant, Alexandre Dubcek et les autres responsables du pays sont rapidement isolés et remplacés.
Les Tchèques et les Slovaques se résignent à la « normalisation ». La plupart du moins.
L'étudiant Jan Palach fait exception. Il s'immole par le feu sur la place Wenceslas, à Prague, le 16 janvier 1969, par défi et par désespoir. Ses compatriotes saluent son geste dans le recueillement. Ils patienteront vingt ans avant le retour de la démocratie.
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Gallet (21-08-2022 13:34:55)
à noter que le général tchèque Svoboda, élu président le 30 mars 1968, a non seulement le mérite d'avoir combattu avec les soviétiques, mais aussi le mérite de porter un nom qui veut dire (e... Lire la suite