Le 26 août 1966, le président ou raïs égyptien Gamal Abdel-Nasser fait pendre Sayyid Qotb (ou Saïd Qutb), l'idéologue des Frères musulmans.
C'est la rupture entre les jeunes officiers qui ont détrôné la monarchie en 1952 et la confrérie intégriste qui leur a apporté son soutien. Celle-ci ne va plus dès lors cesser de s'opposer à l'armée et aux dirigeants qu'elle place à la tête de l'Égypte.
La naissance de l'islam politique
Précurseur des mouvements islamistes de la fin du XXe siècle, la confrérie des Frères musulmans a été fondée en mars 1928, à Ismaïlia, par un instituteur du nom de Hassan Al-Banna (26 ans) et une dizaine de disciples.
Elle ambitionne d'instaurer en Égypte et dans les autres États arabes un régime théocratique fondé sur le Coran et la shari'a (la loi islamique). Ses mots d'ordre : « Le Coran est notre Constitution ; l'islam comme mode de vie » !
Elle tire son inspiration des idéologies de type fasciste (parti unique, culte de l'autorité, ordre moral), qui triomphent dans les années 1920 dans une grande partie de l'Europe continentale, en y ajoutant une dimension religieuse inspirée par un prédicateur du IXe siècle, Ahmed ibn Hanbal.
Notons que le Grand Mufti de Jérusalem, proche de Hassan Al-Banna, avait rejoint Hitler et le nazisme en 1941, séduit par leur antisémitisme.
Hassan Al-Banna, Guide suprême de la confrérie, mesure la difficulté de conquérir le pouvoir, en particulier au Caire, où le roi est une marionnette entre les mains du gouvernement britannique. Conscient du caractère illusoire d'un coup d'État à la façon de Mussolini, il se donne pour mission préalable de convertir les masses musulmanes au mode de vie et aux principes moraux des premiers croyants, tels qu'il se les imagine.
Ces ancêtres (« salaf » en arabe) sont les disciples de Mahomet et les croyants des deux générations suivantes. Dans les années 1980, ils vont donner leur nom aux mouvements terroristes « salafistes » issus des Frères musulmans.
La conquête des masses
En attendant, par leurs actions de terrain, dans le domaine social, les Frères musulmans ne tardent pas à gagner en influence. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la confrérie réunit déjà plus de deux millions de partisans en Égypte. Elle est aussi présente dans les pays arabes voisins (Palestine, Syrie...).
Tandis que les Britanniques relâchent leur emprise sur l'Égypte, les Frères musulmans conspuent et menacent le régime corrompu du roi Farouk. En réaction, celui-ci fait interdire la confrérie et ordonne l'intégration de ses groupes paramilitaires dans l'armée.
Enfreignant les consignes de modération du Guide suprême, certains militants entrent dans l'action clandestine. Des personnalités et des officiers britanniques sont assassinés. Le 8 décembre 1948, le gouvernement dissout la confrérie, ce qui a le don d'exacerber les haines.
La violence culmine avec l'assassinat du Premier ministre Mahmoud Fahmi al-Noqrachi le 28 décembre 1948. Le meurtrier est un étudiant en médecine qui s'est déguisé en officier de police pour pouvoir approcher le Premier ministre. Il lui tire dessus à bout portant au moment où il s'apprête à prendre l'ascenseur... Il s'ensuit une violente répression et Hassan Al-Banna est à son tour assassiné le 12 février 1949 au moment où il sort dans la rue. Blessé sous l'aisselle, il a le temps de noter le numéro de la voiture des tueurs avant de mourir. Ainsi saura-t-on qu'elle appartient à un général de la police secrète du régime !
La confrérie soutient dès lors sans réserve les « officiers libres » qui s'apprêtent à renverser la monarchie. En récompense, une fois au pouvoir, Nasser va rétablir les Frères musulmans dans leurs droits et tenter de les rallier à son parti et à son gouvernement.
Mais la lune de miel ne dure pas... La confrérie islamiste entre en concurrence avec le régime nationaliste, laïc, panarabe et socialiste de Nasser qui, à son tour, le 14 janvier 1954, décide de l'interdire.
Retour à la case départ : le 23 octobre 1954, un jeune militant de la confrérie tente d'assassiner Nasser. Il s'ensuit une vague de répression avec des milliers d'arrestations et des dizaines d'exécutions. Les biens de la confrérie sont saisis. La répression culmine avec l'exécution, en 1966, de Saïd Qutb (60 ans), lequel a déjà passé dix ans en prison.
Ce poète et journaliste libéral et laïque est devenu l'un des théoriciens les plus radicaux des Frères musulmans après un séjour aux États-Unis au cours duquel il s'est scandalisé du comportement des femmes américaines. Il est de fait le premier à justifier la guerre sainte offensive (jihad) afin d'imposer la shari'a à la terre entière.
Sa mort suscite des manifestations massives dans tout le monde arabe, première écharde dans la popularité de Nasser et le panarabisme laïque et socialiste.
Le successeur de Nasser, Sadate, qui a lui-même appartenu aux Frères musulmans dans sa jeunesse, est assassiné le 6 octobre 1981 par des dissidents salafistes du mouvement qui voulaient punir le raïs pour avoir fait la paix avec Israël.
Hosni Moubarak, qui remplace Anouar al-Sadate à la tête de l'Égypte, autorise la confrérie en tant qu'association. Les Frères musulmans, qui bénéficient par ailleurs d'un financement de généreux donateurs du Golfe, en profitent pour étendre leur emprise sur la société égyptienne en multipliant les opérations caricatives.
Ils forment aussi le mouvement Hamas chez les Palestiniens et suscitent la création du parti Ennahda en Tunisie.
Nouvelles persécutions
Après la chute du président Hosni Moubarak, le 11 février 2011, ils réalisent sans surprise une percée électorale dans les milieux populaires et portent l'un des leurs, Mohamed Morsi, à la présidence, ce qui ne manque pas d'effrayer les Occidentaux et les Séoudiens.
Ces derniers encouragent le coup d'État du 3 juillet 2013 qui amène au pouvoir le général Abdel Sissi. Il remet au pas le pays en traquant une nouvelle fois les Frères musulmans. Le 24 mars 2014, un juge de première instance condamne à mort 529 partisans de l'ancien président Mohamed Morsi pour la mort d'un officier de police à Al-Minya, en Moyenne-Égypte.
Le mois suivant, le 28 avril 2014, Mohamed Badie, Guide suprême des Frères musulmans, est condamné à la prison à perpétuité. Éternel recommencement...
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Cédric D. (29-08-2023 18:22:26)
Merci pour cet article qui a le mérite de résumer le siècle de lutte entre les Frères Musulmans et les gouvernants de l'Egypte. Ce qui étonne, c'est la violence des affrontements idéologiques et... Lire la suite