Le vendredi 11 octobre 1963, s'éteignait dans sa 74e année le poète et académicien Jean Cocteau (1889-1963). Déjà malade, il avait appris quelques heures plus tard la disparition de sa grande amie, la chanteuse française Édith Piaf (1915-1963), à 48 ans. C'était la fin d'une longue amitié tissée depuis plus de vingt ans...
Écrivain et poète (roman, théâtre, critique), peintre, dessinateur, décorateur, graphiste et céramiste, chorégraphe et cinéaste, Jean Cocteau (1889-1963) est né à Maisons-Laffitte le 5 juillet 1889 au sein d'une famille de la grande bourgeoisie parisienne. Dès l'enfance, il est inspiré par les réceptions musicales de son grand-père et les lectures de contes par sa gouvernante Joséphine (illustrations de Gustave Doré).
Malheureusement, très affecté par le suicide de son père, Georges, alors qu'il n'a que 9 ans (1898), il décide d'exorciser cette tragédie qui le minera toute sa vie en découvrant le monde du cirque, de l'illusion et du trompe l'oeil, l'âme créatrice de l'imagination et du rêve. Pour l'anecdote, il oubliera même de se présenter à l'épreuve du baccalauréat au lycée Condorcet puis abandonnera ses études.
Anticonformiste mondain, il fréquente dès l'âge de seize ans (1905) les cercles artistiques parisiens (Marcel Proust, les Daudet, les Rostand, la comtesse de Noailles) et européens (Édith Wharton, la princesse Bibesco, Ezra Pound).
Édouard de Max, célèbre tragédien fasciné par l'écriture du jeune artiste poète, esthète et dandy de 19 ans, organise une matinée théâtrale pour présenter ses oeuvres oniriques (théâtre Fémina, 1908). Avec Maurice Rostand et François Bernouard, Jean Cocteau fonde alors la revue poétique Shéhérazade et publie un recueil de poèmes, La lampe d'Aladin (1909).
Véritable révélation pour lui, c'est en rencontrant le prestigieux Serge de Diaghilev, directeur des Ballets russes pour la création du Sacre du Printemps (Stravinski, 1913), qu'il se montre fervent admirateur et rallie l'avant-garde anticonformiste (« Étonne-moi ») de Montparnasse. Il travaille avec ses amis Picasso, Modigliani, Max Jacob, Apollinaire, Érik Satie (Parade, monté avec Diaghilev, Rome, 1917), Blaise Cendrars, Aragon, Tzara ou André Gide (dit «Androgyde» !), dans toutes les formes d'expressions artistiques.
Réformé durant la guerre, Jean Cocteau est versé dans l'auxiliaire à Paris et engagé comme ambulancier, puis participe aux vols de Roland Garros (Le Cap de Bonne-Espérance, 1919). Sous l'impulsion de son nouveau compagnon et très jeune écrivain Raymond Radiguet (Le Diable au corps, 1923) qui meurt brutalement, il se met à écrire des romans (Le Gendarme incompris, 1921).
À la suite d'une inévitable dépression nerveuse (1924), il commence à s'adonner à l'opium et suit une série de cures de désintoxication.
Pendant l'Occupation, détesté en raison de son homosexualité par le régime collaborationniste de Vichy (Rebatet, Brasillach, Céline), il se lie d'amitié avec l'occupant Arno Breker, sculpteur fétiche d'Adolf Hitler (Salut à Breker dans la revue Comoedia, 23 mai 1942). Il fréquente Karl Hepting, directeur de l'Institut allemandet Ernst Jünger. Parallèlement, il témoigne en faveur de Jean Genet en cour d'assises (1942). Inquiété à la Libération, il est défendu par Genet, Éluard et Aragon.
Ne nous étonnons pas si l'itinéraire artistique de Jean Cocteau est protéiforme.
On peut citer, entre autres, La Lampe d'Aladin (1909) ; Le Prince frivole (1910) ; La Danse de Sophocle(1912), Le Cap de Bonne Espérance (1919), Potomak (1919, poésie de roman) ; Les Mariés de la tour Eiffel (1921, poésies de théâtre) ; Vocabulaire (1922) ; Antigone (1922 puis 1927) ; Le Secret professionnel (1922) ; Le Grand Écart(1923, poésie de roman), Thomas l'imposteur (1923, porté à l'écran par Georges Franju, 1965) ; Plain-Chant (1923, recueil de poésie) ; Roméo et Juliette (1924) ; Orphée (1926 porté à l'écran par Cocteau, 1950) ; Lettre à Jacques Maritain (1926, au lendemain de sa conversion) ; Opéra (1927, recueil de poésie); Le Livre Blanc (1928) ; Oedipe roi (1928 puis 1937) ; Les Enfants Terribles (1929, porté à l'écran par Jean-Pierre Melville, 1949) ; La Voix humaine (1930) ; Opium (1930, écrit pendant une de ses cures de désintoxication), Journal d'une désintoxication (1930) ; Le Sang d'un Poète (1930, porté à l'écran par Cocteau, 1932) ; La Machine infernale (1934, mythe d'Odipe revisité par la psychanalyse) ; Les Chevaliers de la Table ronde (1937) ; Les Parents terribles (1938, pièce de théâtre interdite sous l'Occupation portée à l'écran par Cocteau, 1949) ; Le Bel indifférent (1940, pour Édith Piaf) ; Les Monstres sacrés (1940) ; La Machine à écrire (1941); L'Éternel Retour (1943, scénario et dialogues avec Jean Delannoy) ; Renaud et Armide (1943, tragédie en vers) ; La Belle et la Bête (Prix Louis Delluc, 29 octobre 1946, NB, 96 min. avec Jean Marais et Josette Day) ; L'Aigle à deux têtes (1946, pièce de théâtre et mélodrame historique porté à l'écran par Cocteau, 1948) ; La Difficulté d'être (1947) ; Jean Marais (1951) ; Bacchus (1952) ; Journal d'un inconnu (1953) ; Clair-Obscur (1954, recueil de poésie) ; Le Testament d'Orphée (1960, film poétique) ; décoration de fresques : Villefranche-sur-Mer (1957, chapelle Saint-Pierre : " «Mon sarcophage, mon masque d'or») ; Menton (1957, salle des mariages de l'Hôtel de Ville), Saint-Jean-Cap-Ferrat (1950, villa Santo-Sospir de Mme Alec Weisweiller ; 1962, Hôtel de Ville) ; Requiem (1961, recueil de poésie) ; Le Cordon ombilical (1962).
En sus d'une oeuvre précieuse et prolifique, intrigante et parfois irritante (détesté par André Breton, jalousé par André Gide), cet esthète touche à tout, créateur doué et narcissique, à la palette variée des talents, laisse un journal intime intitulé le Passé défini (1951-1963).
Élu successivement à l'Académie royale de Belgique et à l'Académie française (3 mars 1955 au fauteuil n°31 de Jérôme Tharaud par 17 voix contre 11 à Jérôme Carcopino), il dessine lui-même son épée et fait traduire son discours en argot des prisons avant d'être reçu le 20 octobre 1955 par André Maurois.
C'est dans sa retraite de la Maison du Bailli à Milly-la-Forêt que Jean Cocteau -ménagé par sa cuisinière qui connaît parfaitement la fragilité de son état de santé-, apprend la mort quelques heures plus tôt de sa grande amie Edith Piaf qu'il avait fait débuter au théâtre dans sa pièce « Le Bel Indifférent » (1940). Au même moment, à Paris, nombre d'artistes et de personnalités s'étonnent que l'écrivain et académicien, si proche de la chanteuse défunte, mette autant de temps à témoigner ses souvenirs et à lui rendre hommage.
Peu de personnes savent en réalité que, déjà victime de deux crises cardiaques et trop ému, il vient de déclarer à son proche entourage : « C'est le bateau qui achève de couler. C'est ma dernière journée sur cette terre. »
Peu de temps après, il s'éteint à son tour sans avoir eu la force d'écrire l'article que le magazine Paris-Match vient de lui commander pour être publié dès le lendemain de cette si pénible journée. Il repose dans la chapelle Saint-Blaise-des-Simples de Milly-la-Forêt, décorée par ses soins (1959).
Trop facile serait de conclure cet hommage croisé en rappelant au lecteur que, dans tous les kiosques de France et des pays francophones, le Parisien Libéré publia le lendemain un gros titre évocateur du départ crépusculaire de la somnambule du grand public et du funambule du Tout-Paris : « La mort d'Édith Piaf a tué Jean Cocteau ».
Accordons plutôt à ce dernier le mot de la fin : «Vivre me déroute plus que mourir». Mieux encore, laissons à Édith Piaf celui de fredonner l'hymne à l'amour et à son éternel retour :
«Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
Ni le bien qu'on m'a fait, ni le mal
Tout ça m'est bien égal
Non, rien de rien
Non, je ne regrette rien
C'est payé, balayé, oublié
Je me fous du passé
Balayés pour toujours
Je repars à zéro Car ma vie
Car mes joies
Aujourd'hui
ça commence avec toi...».
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Danilu (18-10-2017 16:21:12)
On peut évoquer et pourquoi pas fredonner également :
Quand il est mort le poète
tous ses amis pleuraient
on enterra son étoile
dans un grand champ de bleuets.
Chanson de Bécaud composée en hommage à Cocteau.
Jean-Claude PETERS (14-10-2017 20:50:18)
Bel article, mais dommage ces deux "v" intempestifs dans les titres de pièces de théâtre.
Amicalement.
JC
henri Goldszer (10-10-2013 10:12:53)
Hommage à la môme Piaf.
Il y a 50 ans jour pour jour que la grande Édith Piaf nous a quitté. Sa voix, son interprétation, qui donnaient vie à ses chansons, nous apportaient le plaisir et le sentiment d'être toujours en communion avec elle et avec la vie, justement. Aujourd'hui comme hier, lorsque des radios veulent bien nous LA programmer, nous ressentons toujours ce petit pincement au cœur qui nous fait nous envoler vers les cieux au paradis des tragédies et des grands bonheurs de la vie.
greg (10-08-2012 22:08:29)
Bonjour, tout d'abord vous remercier pour ce document et ensuite vous signaler le sie d'Evelyne Chancel qui chante Edith Piaf depuis plus de 30 ans. Accompagné à ses débuts par le pianiste d'Edith Piaf. www.evelyne-chancel.com
Avec nos salutations.
greg (10-08-2012 22:08:24)
Bonjour, tout d'abord vous remercier pour ce document et ensuite vous signaler le sie d'Evelyne Chancel qui chante Edith Piaf depuis plus de 30 ans. Accompagné à ses débuts par le pianiste d'Edith Piaf. www.evelyne-chancel.com
Avec nos salutations.