11 octobre 1962

Jean XXIII ouvre le concile Vatican II

Jean XXIII (Angelo Giuseppe Roncalli), 25 novembre 1881, Sotto il Monte, Bergame ; 3 juin 1963, VaticanLe pape (dico) Jean XXIII ouvre le concile Vatican II le 11 octobre 1962, dans la basilique Saint-Pierre de Rome.

Élu pape le 28 octobre 1958, à 76 ans et onze mois, Angelo Roncalli ne devait être qu'un pape de transition après le pontificat flamboyant et tourmenté de Pie XII. En portant leur choix sur lui, les cardinaux qui l'avaient élu voulaient se donner le temps d'une transition avant d'élire un pape d'action.

Mais le nouvel élu, replet et bonhomme, provoque d'emblée la surprise en annonçant un aggiornamento (« mise à jour ») de l'Église catholique, autrement dit un grand concile en vue d'adapter l'Église au monde moderne. C'est le 21e concile oecuménique (planétaire) depuis les origines de l'Église.

Aucune entreprise comparable n'avait été menée depuis le concile de Trente, quatre cents ans plus tôt, qui avait lancé la (Contre-)Réforme catholique. Son retentissement mondial va être d'autant plus important que les catholiques, en ce milieu du XXe siècle, représentent un quart environ de la population mondiale, laquelle s'élève alors à 3 milliards d'êtres humains.

Mais en sacrifiant beaucoup de rituels propres à la religion populaire et en promouvant une religiosité plus strictement intellectuelle, le concile va aussi accélérer le mouvement de déchristianisation en cours en Europe depuis le XIXe siècle...

André Larané
Ouverture du concile Vatican II le 11 octobre 1962 en présence de 2500 évêques. Agrandissement : Le concile Vatican II photographié par Lothar Wolleh.

L'autorité pontificale contestée

Au XIXe siècle, l'Église catholique, tétanisée par le souvenir de la Révolution française, avait fait alliance avec la bourgeoisie et s'était assoupie sous l'effet du conservatisme dominant, tant en politique que dans les relations sociales.

Pie IX, après une rupture avec les libéraux et la perte des États pontificaux, s'était replié sur la cité du Vatican et avait entrepris de renforcer le pouvoir du Saint-Siège sur l'Église catholique et ses évêques. C'est ainsi qu'il avait réuni un concile dans le palais du Vatican, à Rome : Vatican I.

Ce concile oecuménique - le premier depuis le concile de Trente - avait été interrompu par la guerre franco-prussienne et l'invasion de Rome par les troupes italiennes mais il avait eu le temps de proclamer en 1870 l'infaillibilité pontificale.

À la fin du XIXe siècle, le vigoureux Léon XIII, successeur de Pie IX, réagit à la laïcisation des sociétés européennes et à la montée du prolétariat ouvrier. Il publie l'encyclique sociale Rerum Novarum (1891) et inspire le ralliement des catholiques français à la République. Mais son effort d'ouverture est suivi par une longue parenthèse marquée par les deux guerres mondiales, la tragédie nazie et le réveil du tiers monde.

Le 25 octobre 1958, suite à la mort du pape Pie XII, le conclave se réunit dans la chapelle Sixtine pour élire son successeur.  Il réunit cinquante-trois cardinaux seulement, dont près de la moitié sont octogénaires. Après trois jours de conciliabules et onze tours de scrutin, il porte à défaut de mieux le patriarche de Venise sur le trône de saint Pierre. 

Homme simple et souriant, sans artifice, Angelo Roncalli relève le nom d'un antipape, Jean XXIII, et s'en justifie en arguant de son affection pour saint Jean Baptiste et l'apôtre Jean. Mais il va secouer l'Église de la façon la plus inattendue qui soit.

Moins de trois mois après son élection, le 25 janvier 1959, à l'issue d'une célébration dans la basilique Saint-Paul-hors-les-murs, il prononce un discours de clôture devant dix-huit cardinaux et, au détour d'une phrase, annonce « trois événements de la plus haute importance » :  la réunion d'un synode du diocèse de Rome, un concile oecuménique (planétaire) et une révision du code de droit canon.

Sur le moment, personne n'y prête attention et il faudra près de trois ans avant que s'ouvre enfin le concile annoncé. D'aucuns, en particulier à la Curie (le gouvernement pontifical), espèrent le réduire à un petit tour de piste sans conséquence... 

La procession d'entrée des cardinaux, tableau de Franklin McMahon.

Aggiornamento

Réunis au grand complet dans la basilique Saint-Pierre de Rome pour la séance plénière d'ouverture, les 2500 évêques venus du monde entier se voient confier la mission d'adapter l'Église au monde moderne, intégrer une réflexion religieuse dans les mouvements d'idées et réconcilier toutes les chrétientés.

Les Pères conciliaires viennent pour un tiers d'Europe mais l'Amérique latine fait une entrée en force au concile (22%), avec l'Amérique du Nord (13%), l'Afrique noire (10%) et l'Asie (10%). Fait inédit : des représentants de différentes confessions chrétiennes non-catholiques ont par ailleurs été invitées à la cérémonie en qualité d'observateurs. 

Dans son allocution inaugurale, le pape dénonce l'enseignement du mépris et témoigne de son ouverture aux autres religions et en particulier aux juifs.

Sa volonté de réforme trouve un écho dans les propos et les écrits du théologien dominicain, devenu peritus lors de ce concile, Yves Congar, le 14 octobre 1962 : « Il n'y a rien à faire de décisif tant que l'Église romaine ne sera pas sortie de ses prétentions seigneuriales et temporelles. Il faudra que tout cela soit détruit. Et cela le sera ». Vraie et fausse réforme dans l’Église

Effectivement, le même jour, le cardinal Achille Liénart, évêque de Lille, demande devant l'assemblée des Pères conciliaires que soit reportée la désignation des commissions et des groupes de travail. C'est un premier coup dur pour la Curie qui avait préparé les listes de postulants de façon à garder la haute main sur les discussions. 

Les pères lors du concile photographiés par Lothar Wolleh.Non seulement le concile ébranle les velléités centralisatrices de l'administration pontificale mais il adapte aussi la communication de l'Église au monde moderne afin que soit mieux perçu le message de l'Évangile. C'est ainsi que les prêtres renoncent à la soutane.

La messe avait été formalisée après le concile de Trente par le pape Pie V dans la volonté de manifester l'universalité de l'Église et la magnificence de la liturgie : usage du latin, chant grégorien, rituel très précis. 

Tout cela est annulé  le 4 décembre 1963 avec la promulgation par Paul VI du Sacrosanctum Concilium (« Constitution sur la Sainte Liturgie »). L'officiant fait désormais face aux fidèles et ne leur tourne plus le dos ; le latin est abandonné au profit des langues vernaculaires ; les chants grégoriens s'effacent au profit de rengaines plus modernes...

L'un des textes majeurs de Vatican II, Gaudium et spes (« La joie et l'espoir »), promulgué le dernier jour du concile (8 décembre 1965), est présenté par les commentateurs comme l'antithèse du Syllabus de Pie IX (8 décembre 1864). Dans un souci de compréhension du monde moderne, il exprime la solidarité de l'Église avec tous les mouvements qui concourent à protéger et rehausser la dignité de l'individu, y compris les mouvements socialistes.

La fraction conservatrice de l'Église manifeste des réticences à l'égard de ce texte mais c'est surtout la reconnaissance de la liberté religieuse (le droit pour chacun de choisir sa religion) et la réhabilitation du peuple juif naguère considéré comme « déicide » (collectivement responsable de la mort du Christ) qui suscitent son ire. Il s'ensuivra un schisme autour de Monseigneur Lefebvre.

Surtout, l'Église catholique rompt avec une hiérarchie pyramidale et renforce le rôle des évêques et des synodes nationaux. Elle obtient des gouvernements liés par un Concordat au Saint-Siège qu'ils renoncent peu à peu à leurs prérogatives dans la nomination des évêques. Enfin, le concile adopte le principe de la liberté de conscience religieuse, à l'initiative de l'évêque auxiliaire de Cracovie Karol Wojtyla, futur Jean-Paul II.

Last but not least, le concile lève le caractère obligatoire de certains rites comme la communion solennelle, la confession, l'assistance à la messe dominicale, le « maigre » du vendredi. La fin de ces rites qui avaient structuré la religion populaire va immédiatement accélérer et amplifier la déchristianisation des sociétés occidentales (note).

Fait remarquable, le monde suit avec attention les travaux du concile. En marge de ceux-ci, Jean XXIII publie le 11 avril 1963, en pleine guerre froide entre les États-Unis et l'URSS, l'encyclique Pacem in terris (Paix sur la terre), qui confirme l'attention portée par l'Église aux problèmes sociaux et à la paix. 

Le vieux pape, qui passait quatre ans plus tôt pour bonnasse, apparaît désormais sous un jour charmeur et charismatique. L'émotion est grande quand il s'éteint le 3 juin 1963, jour de la Pentecôte, rongé par un cancer de l'estomac. L'ONU met son drapeau en berne à New York. Le concile est suspendu mais il reprendra ses travaux dès le lendemain de l'élection de son successeur et les poursuivra  jusqu'au 8 décembre 1965.

Sans surprise, le 21 juin 1963, le nouveau conclave élit l'archevêque de Milan Giovanni Battista Montini, qui devient pape sous le nom de Paul VI. N'étant pas encore cardial à la mort de Pie XII, il n'avait pu être élu à ce moment-là bien qu'étant le favori du conclave et celui-ci s'était rabattu sur Angelo Roncalli, futur Jean XXIII.

Le pape Jean XXIII sur la sedia gestatoria, lors d'un consistoire à Saint-Pierre de Rome

Béatification

Avant de clore le concile Vatican II, les participants tentent mais en vain de proclamer la sainteté de Jean XXIII par acclamations. Le pape Paul VI s'y oppose par crainte que l'autorité pontificale ne soit battue en brèche par cette entorse à la pratique habituelle.

C'est seulement en septembre 2000 que le « bon pape » Jean a été déclaré bienheureux par Jean-Paul II, en même temps que Pie IX, dernier pape à exercer un pouvoir temporel.

Cette béatification rend hommage aux qualités humaines de l'un et l'autre pape en faisant abstraction de leur action à la tête de l'Église, action contestée à plusieurs titres en ce qui concerne Pie IX.

Vatican II, 50 ans après

Devant quelques centaines d'évêques et des milliers de fidèles, le pape Benoît XVI a célébré le 11 octobre 2012 le cinquantenaire du concile. Non sans une pointe d'amertume. « Les dernières décennies ont connu une désertification spirituelle. Ce que pouvait signifier une vie, un monde sans Dieu, au temps du concile, on pouvait déjà le percevoir à travers certaines pages tragiques de l'histoire, mais aujourd'hui nous le voyons malheureusement tous les jours autour de nous. C'est le vide qui s'est propagé », a estimé le pape.
De fait, l'Europe occidentale a connu, sitôt après le concile une accélération brutale d'un mouvement de déchristianisation amorcé au XIXe siècle. L'historien Guillaume Cuchet (Comment notre monde a cessé d'être chrétien, Seuil, 2019) en attribue précisément la responsabilité au concile Vatican II qui a déstabilisé la communauté des fidèles. Ceux-ci, dans leur grande majorité, ont été déboussolés et rebutés par la religiosité strictement intellectuelle revendiquée par le clergé conciliaire et par la mise en avant de l'engagement social, la tolérance ou encore la participation à la vie paroissiale - tant pis pour les personnes d'un naturel réservé ou introverti -.
Dans le même temps, ce clergé conciliaire a choisi de rejeter les aspects de la religion inaccessibles à la « raison raisonnante ». Les prêtres ont jeté aux orties la religion populaire avec ces rituels qui faisaient lien, aussi bien le jeûne du vendredi que la confession périodique, la messe dominicale, l'abstinence de boisson avant l'eucharistie ou encore la communion solennelle, sans parler des pèlerinages, du culte marial et du culte des saints. Ils se sont détournés de ces rituels collectifs ou individuels faute de saisir les mystères de l'âme humaine et mettre en équation les liens invisibles et inconscients par lesquels ces rituels amènent les fidèles à la foi. Ils n'ont pas compris que ces rituels aidaient les fidèles à croire en Dieu ou aimer leur prochain, comment ils leur permettent de se pénétrer des préceptes chrétiens par toutes les fibres de leur être (foi, amour d'autrui dans ses différences, respect de la femme, maîtrise de la force...).
Priver les fidèles de ces rites, c'est condamner les préceptes chrétiens à se dessécher et mourir, comme de couper des fleurs et les détacher de leurs racines pour en faire des bouquets. Le résultat, c'est aujourd'hui la banalisation de la pornographie, du divorce, de l'avortement, de l'aide au suicide, etc., en totale opposition avec les fondements du catholicisme. C'est dans les milieux bourgeois, des adolescents livrés aux vices de l'argent, de la drogue et du consumérisme ; dans les milieux populaires, des jeunes qui cherchent un cadre auquel se raccrocher et en viennent à s'imposer de faire ramadan comme leurs copains musulmans.

Publié ou mis à jour le : 2024-10-08 14:31:52

Voir les 4 commentaires sur cet article

BERCELLIAUX Jean (11-10-2022 15:35:14)

Concernant le paragraphe qui débute ainsi : Sans surprise, le 21 juin 1963, le nouveau conclave élit l'archevêque de Milan, Giovanni Baptista Montini, qui devient pape sous le nom de Paul VI. N'Ã... Lire la suite

Jacques Groleau (09-10-2022 11:31:14)

"Le "bon Pape Jean" a été l'un des papes les plus autoritaires - selon nombre de ses collaborateurs ! Quant au Concile Vatican I, selon l'expression d'un religieux ami, "le Saint Esprit a soufflé ... Lire la suite

Vincent Rosset (20-10-2021 16:18:15)

La thèse de Guillaume Cuchet ("Comment notre monde a cessé d'être chrétien") ne laisse pas d'être contestable: la fin de l'obligation (de la confession, du jeûne du vendredi, de l'assistance à ... Lire la suite

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