Dans le cadre de la réforme des retraites de la SNCF (2019), le gouvernement d’Édouard Philippe a envisagé la « clause du grand-père », en réservant le système de retraite à points aux nouveaux embauchés. Ainsi les autres salariés conserveraient-ils leurs droits acquis.
Ce dispositif destiné à désamorcer les oppositions a déjà été appliqué aux « bouilleurs de cru » dans les années 1950 Il s’agit des paysans récoltants de fruits (prunes, raisins, pommes, poires…) qui avaient sous l’Ancien Régime le droit de distiller leur récolte exclusivement pour leur consommation familiale. Aboli sous la Révolution, ce droit avait été rétabli par Napoléon Ier…
Un coup d’épée dans l’eau
Le privilège des bouilleurs de cru était transmissible aux héritiers et concernait au début du XXe siècle trois millions d’exploitants qui pouvaient ainsi produire de l’eau-de-vie avec une exemption fiscale dans la limite de dix litres d’alcool pur par an.
L’exemption fiscale représentait un manque à gagner pour l’État d’environ 20 milliards de francs.
En 1959, la FNSEA souligna : « On ne peut empêcher les producteurs agricoles de bénéficier d’une partie de leur récolte comme les ouvriers de la S.N.C.F. ou de l'Électricité de France ont droit à des tarifs spéciaux pour leurs voyages ou leur consommation de courant ». Déjà « les régimes spéciaux » faisaient l’objet de comparaisons !
Et voilà la « clause du grand-père » !
C’est à vrai dire l’ordonnance du 30 août 1960 qui va porter le coup le plus rude aux bouilleurs de cru, toujours dans le cadre de la lutte contre l’alcoolisme.
Elle stipule que « l’allocation en franchise du code des impôts est supprimée. Toutefois, les personnes physiques qui pouvaient prétendre à cette allocation pendant la campagne 1959-1960 sont maintenues à titre personnel, sans pouvoir le transmettre à d’autres personnes que leur conjoint survivant. »
C’est clairement programmer l’extinction des bouilleurs de cru à terme. Dans les fermes où cohabitent plusieurs générations, on va pendant plusieurs décennies continuer de distiller de l’eau de vie « à l’œil » en faisant valoir le privilège détenu par le grand-père. Cette « clause du grand-père » se sera finalement étalée sur près de 70 ans, jalonnés d’âpres joutes parlementaires sur un sujet pourtant relativement mineur.
Serait-ce encore le cas de nos jours ?...

Vos réactions à cet article
BONHOURE (05-12-2019 17:52:25)
Quelles que soient les mesures de rétorsion envisagées, l'alcoolisme ne reculera jamais. Il est trop ancré dans nos traditions. C"est une utopie qui coûte cher.
Danielle (05-12-2019 10:56:44)
Ma famille paysanne n'a pas pu profiter de la « clause » du grand père, qui aurait permis à mon oncle de distiller « à l'œil » jusqu'à sa mort en 2007, puisque ma grand mère, morte trop tard ( en 1962) n'a pas pu lui transmettre ce « privilège »
Je vous signale aussi que cette « clause du grand père » a été utilisée aussi aux Etats Unis dans un autre sens: pour limiter le droit de vote des noirs dans certains états du sud.
D.B
PEIRANI (02-12-2019 19:11:12)
Nous n'avons pas compris la même chose. La clause du grand grand-père évoquée dans le cas de la retraite porte sur le recul de la date de prise d'effet et non sur le changement de régime. Que je sache, le régime de répartition se caractérise par le paiement des retraités par les actifs. Rien de changé dans le futur système. Pour le reste, la procrastination est comparable. Par ailleurs j'ai trouvé cet article fort intéressant.
Elsa48 (02-12-2019 08:49:13)
Voilà comment l’État tue une tradition sous prétexte de la lutte contre l'alcoolisme, et en fait pour récupérer des taxes... Résultat: on s'arsouille maintenant au whisky écossais importé.
Jean Paul MAÏS (01-12-2019 11:20:03)
La retraite par répartition est un acquis social (un droit, pas un privilège), que l' on doit au CNR, tandis que distiller des jus de fruits pour fabriquer de l' alcool détaxé était un privilège. Développer -trop longuement- la "clause du grand-père" des bouilleurs de crû pour l' extrapoler à une probable remise en cause de la retraite par répartition, est pour le moins … osé !