Le 28 septembre 1958, les Français votent par référendum pour une nouvelle Constitution. Par leur vote, ils entérinent le retour du général Charles de Gaulle au pouvoir à l'issue du « vrai-faux coup d'État » du 13 mai 1958.
Chacun a l'espoir d'en finir avec l'instabilité ministérielle caractéristique de la IVe République et surtout la guerre d'Algérie... Celle-ci allait pourtant durer quatre longues années supplémentaires avant de se terminer sur une rupture douloureuse.
Une Constitution sur mesure
Fortement inspiré par le général de Gaulle, le projet de Constitution est rédigé en deux mois par un Comité consultatif constitutionnel de 39 membres, sous l'autorité de Michel Debré, garde des sceaux. Il est approuvé par près de 80% des votants métropolitains (avec 15% d'abstentions).
Le même jour, les possessions françaises d'outre-mer (les colonies) approuvent également par référendum leur intégration dans une Communauté française, préalable à leur indépendance. Seule, la Guinée rejette la Communauté. Elle devient ipso facto indépendante (abandonnée du jour au lendemain par les administrateurs français, l'ancienne colonie va sombrer dans l'anarchie et l'horreur sous la férule de Sékou Touré).
Conformément à la nouvelle Constitution, un collège électoral composé des parlementaires et d'autres élus se réunit le 21 décembre et, sans surprise, élit Charles de Gaulle à la présidence de la République.
Le nouveau président est investi officiellement dans ses fonctions par son prédécesseur, René Coty, le 8 janvier de l'année suivante. Il nomme aussitôt le fidèle Michel Debré au poste de Premier ministre. De ce jour date la naissance de la Ve République.
Entêtement gaullien
La nouvelle Constitution met fin à l'instabilité gouvernementale qui caractérisait le régime de la IVe République, issu de la Libération. Au moins en apparence, elle fait de la Ve République naissante un régime semi-présidentiel. Ses principes émanent du célèbre discours prononcé à Bayeux par le général de Gaulle le... 16 juin 1946.
Ce jour-là, quelques mois après avoir quitté la direction du pays, le prestigieux chef de la France libre formulait une critique en règle des institutions de la IVe République et exprimait sa propre vision du partage des pouvoirs et notamment du rôle du chef de l'État : « C'est du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif... » Douze ans plus tard, témoignant d'une remarquable constance dans les convictions, le général de Gaulle de retour au pouvoir applique à la lettre son programme.
La nouvelle Constitution confie le pouvoir législatif à deux chambres, l'Assemblée nationale et le Sénat qui, ensemble, composent le Parlement. Le Sénat, qui avait disparu sous la IVe République, peut retoucher des lois votées par l'Assemblée nationale mais c'est toujours celle-ci qui a le dernier mot. Selon la première mouture du texte, le président de la République est élu pour 7 ans par un collège électoral, selon la formule qui avait cours sous la IIIe République. Mais les nouvelles dispositions confèrent au Président des pouvoirs beaucoup plus étendus que précédemment :
• Le président nomme le Premier ministre et, sur proposition de celui-ci, les autres membres du gouvernement. Le Premier ministre doit engager sa responsabilité devant l'Assemblée nationale. Lorsque celle-ci la lui refuse par une motion de censure ou en d'autres circonstances qui le justifient, le président est en droit de dissoudre l'Assemblée nationale (il ne peut renouveler la dissolution dans l'année qui suit).
• Le président peut prendre l'initiative d'un référendum concernant l'organisation des pouvoirs publics.
• En vertu de l'article 16, il peut même exercer tous les pouvoirs « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité du territoire » sont menacés.
Un Conseil constitutionnel de 9 membres, sorte de Cour suprême à l'américaine, est garant de la constitutionnalité des lois.
Notons que la Constitution ne dit rien du mode d'élection des députés. Le général de Gaulle avait ouvertement rejeté la proposition de Michel Debré de graver dans le texte le principe de l'élection au suffrage uninominal majoritaire à deux tours. Il avait considéré que le mode d'élection (scrutin majoritaire uninominal ou scrutin de liste à la proportionnelle) devait pouvoir être adapté aux circonstances.
Élection au suffrage universel direct
Le 21 décembre 1958, conformément à la nouvelle Constitution entrée en application le 8 octobre précédent, les 81 000 « grands électeurs » françaisélisent à la présidence de la République le général Charles de Gaulle. Il obtient une confortable majorité de 78% des voix (500 abstentions seulement).
Dès 1962, il soumet aux Français par référendum une révision majeure avec le projet d'élire le président au suffrage universel direct... Cette formule n'a connu qu'un précédent en France : l'élection du premier président de la République en 1851 : le prince Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier et futur Napoléon III.
Pour contourner l'opposition de tous les partis à l'exception du sien, le président n'hésite pas à trahir l'esprit de sa Constitution : il recourt à la procédure du référendum selon l’article 11 alors qu’une révision de la Constitution relève normalement du seul article 89.
Mais celui-ci requiert au préalable un vote conforme de l'Assemblée nationale et du Sénat, ce que de Gaulle n’aurait pas obtenu. Le président du Sénat Gaston Monnerville s'en indigne à juste titre et parle de « forfaiture » !
Le référendum intervient le 28 octobre 1962, peu après l'attentat raté du Petit-Clamart contre le général de Gaulle (28 août 1962). Dans l'émotion du moment, la révision est approuvée à une assez large majorité (61,7% de oui contre 38,2% de non).
La première élection présidentielle au suffrage universel direct a lieu en 1965. Elle reconduit le général de Gaulle à l'Élysée pour un deuxième mandat qui sera interrompu en 1969 par une démission inopinée.
Avec la révision de 1962, la Constitution de la Ve République donne au président de la République la primauté sur le Parlement... C'est un fait nouveau en France depuis le Second Empire. Mais l'équilibre des pouvoirs est peu ou prou rétabli par une révision a priori anodine obtenue par le président Valéry Giscard d'Estaing, le 29 octobre 1974. Elle permet à 60 députés ou 60 sénateurs de déférer un projet de loi devant le Conseil constitutionnel avant sa promulgation par le Président. Abondamment utilisée dans les années suivantes, cette disposition conduit les parlementaires à mieux encadrer le pouvoir législatif du Président.
En 1986, l'élection d'une courte majorité de droite aux élections législatives conduisit le Président François Mitterrand à choisir une « cohabitation » de deux ans avec un Premier ministre du camp opposé, Jacques Chirac, plutôt que de remettre en jeu son mandat présidentiel. Beaucoup d'observateurs y virent un premier accroc à l'esprit de la Constitution mais d'autres convinrent que cette possibilité avait été prévue par son fondateur (C'était de Gaulle, Alain Peyrefitte, tome 3, page 89).
L'esprit des institutions fut plus sûrement dénaturé par une dissolution de circonstance à l'initiative du président Jacques Chirac en 1997, qui aboutit à une défaite suivie d'une très longue cohabitation de cinq ans, ainsi que par des révisions constitutionnelles à la chaîne, de la fin du deuxième mandat du président Mitterrand aux présidences Chirac puis Sarkozy (une douzaine en quinze ans ; à comparer aux 17 amendements de la Constitution américaine... en deux siècles).
La réduction du mandat présidentiel à cinq ans et le renouvellement de l'Assemblée nationale dans la foulée de l'élection présidentielle déplacèrent au profit du président de la République le délicat équilibre des pouvoirs, indispensable au bon fonctionnement d'un État de droit. Les élections législatives venant désormais dans la foulée de la présidentielle, les électeurs sont portés à accorder leurs faveurs au parti du président, par souci légitimiste. Il s'ensuit une « chambre introuvable » et une majorité de confort qui permet au président de gouverner sans opposition pendant toute la durée de son mandat, tel un roi absolu en CDD (contrat à durée déterminée) !
La Constitution, sur laquelle repose tout le dispositif juridique français, est désormais révisée à tout va, plus aisément qu'une directive européenne sur l'heure d'été ! En 2008, sous la présidence Sarkozy, ce texte « gravé dans le marbre » est devenu si peu respectable que l'Élysée en a même fait modifier avec une majorité étriquée plus de trente articles, parmi lesquels un amendement vieux d'à peine trois ans : « l'adhésion d'un État à l'Union européenne est soumis au référendum... » (par cet amendement, Jacques Chirac voulait rassurer les citoyens qui craignaient une adhésion en catimini de la Turquie).
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Christian (27-01-2023 14:47:51)
Bien que la révision constitutionnelle de 2008 ait théoriquement élargi les possibilités de recourir au référendum en instaurant le "référendum d'initiative partagée", on peut remarquer que c... Lire la suite
Marie (25-09-2018 16:37:31)
Et c'est le moment où "l'essor social" et la "libération du système" ont raté la marche.....
Michel BATREAU (04-10-2007 00:12:47)
Autant l'approbation traité par referendum, comme la constitution européenne, semble inopportune (combien de nos compatriotes l'ont lue avant de voter) puisque nous sommes dans une démocratie reprÃ... Lire la suite