Le 13 mai 1958, les Algérois d'origine européenne en appellent au général de Gaulle pour maintenir la souveraineté de la France sur l'Algérie. L'insurrection va avoir raison de la IVe République... Elle va aussi prolonger la guerre d'Algérie de quatre longues années en mettant fin aux espoirs de paix nés quelques mois plus tôt.
La crise a débuté le 8 février 1958. Ce jour-là, l'aviation française, lancée à la poursuite de fellaghas algériens, bombarde le village tunisien de Sakhiet. L'attaque fait 70 morts dans la population civile. En guise de représailles, le président tunisien Habib Bourguiba bloque la base française de Bizerte et en appelle à l'ONU.
Le gouvernement de Félix Gaillard suggère de faire appel à une mission de bons offices anglo-américaine. L'Assemblée désavoue son initiative et le renverse le 15 avril.
Pierre Pflimlin, député MRP (chrétien-démocrate) de Strasbourg, est pressenti pour remplacer Félix Gaillard à la présidence du Conseil. Mais il est soupçonné de vouloir négocier un cessez-le-feu avec les rebelles du FLN qui luttent pour l'indépendance de l'Algérie. L'armée française d'Algérie a mauvaise presse. Une campagne d'opinion dénonce les tortures exercées par les parachutistes du général Jacques Massu dans la région d'Alger.
Dans ce contexte troublé, les cercles politiques algérois sont remués les militants gaullistes, en particulier le sénateur et polémiste Michel Debré, qui publie Le Courrier de la colère pour défendre l'Algérie française, et surtout du député et anthropologue Jacques Soustelle, ancien gouverneur général de l'Algérie. Ce dernier, partisan d'octroyer aux musulmans les mêmes droits qu'aux autres habitants du pays, est resté très populaire en Algérie où il préside l'Union pour le salut et le renouveau de l'Algérie française (URSAF). Ils s'efforcent de convaincre l'opinion que le général de Gaulle est la personnalité la mieux placée pour maintenir les trois départements algériens au sein de la République.
Les gaullistes reçoivent le soutien occulte de Léon Delbecque, un ancien officier de 39 ans, missionné en secret par le ministre de la Défense Jacques Chaban-Delmas. Léon Delbecque met en place des réseaux de pieds-noirs pour préparer son retour au pouvoir. Dès février 1958, il rencontre le général Raoul Salan, qui commande les troupes en Algérie, et tente de le convaincre du bien-fondé de la solution gaullienne.
Le 26 avril 1958, prenant prétexte de la crise ministérielle, Delbecque, à la tête d'un Comité de vigilance, organise à Alger une grande manifestation qui réclame rien moins que la formation d'un « gouvernement de Salut public », terme emprunté à la phraséologie révolutionnaire. La manifestation se déroule sans anicroche, sans aucun appel public à de Gaulle.
Le 10 mai 1958, Alain de Sérigny, directeur de l'Écho d'Alger, publie un éditorial où il en appelle à de Gaulle pour sauver l'Algérie française que les partis traditionnels et le prochain gouvernement s'apprêtent à lâcher : « Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général... »
Le 13 mai 1958 est le jour de l'investiture de Pierre Pflimlin. À Alger, Léon Delbecque et son Comité de vigilance organisent une manifestation d'anciens combattants devant le monument aux morts, à la mémoire de trois militaires du contingent faits prisonniers par les fellaghas et qui viennent d'être fusillés en Tunisie.
En fin d'après-midi, tandis que la manifestation se termine, les partisans de l'Algérie française donnent l'assaut au bâtiment du Gouvernement général (le ministère de l'Algérie) sous la conduite de Pierre Lagaillarde, un leader étudiant. Ils le mettent à sac.
En début de soirée, le général Jacques Massu entre à son tour dans le bâtiment. « Nettoyez-moi ce bordel ! » lance-t-il à ses hommes. Puis il se fait octroyer par les manifestants la présidence d'un Comité de Salut public. L'un des vice-présidents est Léon Delbecque.
Fort de sa nouvelle légitimité, Massu envoie à Paris un télégramme : « ... exigeons création à Paris d'un gouvernement de salut public, seul capable de conserver l'Algérie partie intégrante de la métropole ». Les députés, qui n'apprécient pas cette intrusion, investissent comme prévu Pierre Pflimlin. C'est la rupture avec Alger.
En attendant la prise de fonctions du nouveau président du Conseil, Félix Gaillard confie les pleins pouvoirs civils et militaires en Algérie au général Raoul Salan, qui commande l'armée sur place.
Le 14 mai, à 5 heures du matin, Massu lance un nouvel appel : « Le Comité de Salut Public supplie le général de Gaulle de bien vouloir rompre le silence en vue de la constitution d'un gouvernement de salut public qui seul peut sauver l'Algérie de l'abandon ».
Le lendemain, 15 mai 1958, le général Raoul Salan prononce une allocution devant le Comité de Salut public, à l'intérieur du Gouvernement général d'Alger : « Vive la France, vive l'Algérie française, vive le général de Gaulle ! »
Il se rend sur le balcon et s'adresse à la foule rassemblée sur le Forum : « Nous gagnerons parce que nous l'avons mérité et que là est la voie sacrée pour la grandeur de la France. Mes amis, je crie : « Vive la France ! Vive l'Algérie française ! » Puis il se retourne vers l'intérieur mais se heurte à la haute silhouette de Léon Delbecque qui lui souffle : « Vive de Gaulle, mon général ! » Revenant vers le micro, Salan reprend la phrase : « Vive de Gaulle ! »
Les dés sont jetés avec cet appel public au Général, éjecté de l'activité politique en 1947 mais toujours très désireux de donner à la France des institutions plus stables que la IVe République.
De sa retraite de Colombey-les-deux-Églises, de Gaulle fait répondre le jour même qu'il se tient prêt à « assumer les pouvoirs de la République ».
Le 19 mai, il donne une conférence de presse pour dire qu'il refuse de recevoir le pouvoir des factieux d'Alger. Aux journalistes qui s'inquiètent de l'éventualité d'une dictature, il lance : « Croit-on qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? ». Plus que jamais, les parlementaires rejettent la perspective de confier la République à de Gaulle.
Mais c'est sans compter avec les rebelles d'Alger et les manoeuvriers gaullistes. Le 24 mai, le bruit se répand que des parachutistes venus d'Algérie ont sauté sur la Corse.
Dans les faits, un député corse, Pascal Arrighi, a fait dans la nuit le voyage d'Alger à Ajaccio pour rallier l'île aux gaullistes. À son instigation, quelques poignées d'hommes du 1er bataillon de parachutistes de choc basé à Corte et Calvi se sont rendus à Ajaccio où ils ont désarmé les gendarmes et occupé la préfecture. Les rebelles utilisent habilement la radio pour faire planer sur la métropole la menace d'un débarquement militaire et d'une guerre civile (n'est-ce pas en Corse qu'a débuté la Libération du territoire en 1943 ?).
Le 27 mai, à midi, de Gaulle affirme dans un communiqué qu'il entame le processus régulier pour « l'établissement d'un gouvernement républicain ». Stupeur dans la classe politique. Serait-ce un coup d'État ?
Pour dénouer la situation, René Coty, le président de la République, se résout le 1er juin, dans un message au Parlement, à en appeler au « plus illustre des Français... Celui qui, aux heures les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l'unanimité nationale, refusa la dictature pour établir la République ».
Le général forme sans attendre un gouvernement de rassemblement avec Guy Mollet, chef de la SFIO (parti socialiste), Antoine Pinay (Centre National des Indépendants, droite), Pierre Pflimlin, MRP (chrétien démocrate), Michel Debré (Premier ministre, gaulliste)...
Le 4 juin, devant la foule rassemblée sur le Forum d'Alger, il proclame une formule fameuse : « Je vous ai compris. Je sais ce qui s'est passé ici. Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie, c'est celle de la rénovation... » Formule savamment dosée qui lui vaut l'adhésion des foules algéroises sans le moindre engagement à leur égard !
Il évoque dans le même discours les dix millions de Français d'Algérie : « des Français à part entière dont les droits, quelle que soit leur communauté d'origine, sont égaux ». Il s'ensuit des flottements chez les membres du Comité de salut public qui se demandent si le Général ne veut pas saborder leur projet en promettant une intégration impossible de tous les musulmans (Paul Marie de la Gorce, De Gaulle, Perrin, 1999). Mais le 6 juin, l'enthousiasme des pieds-noirs est à son comble quand ils entendent à Mostaganem le général de Gaulle : « Vive Mostaganem ! Vive l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la France ! ».
Investi de la présidence du Conseil, le général Charles de Gaulle s'attelle à la mise sur pied d'une nouvelle Constitution. Elle est approuvée par référendum le 28 septembre 1958 avec 79,2% de Oui et toujours en vigueur.
Les dimanches 23 et 30 novembre ont lieu les premières élections législatives du nouveau régime. Elles se soldent par une victoire écrasante de la droite, avec la résurrection du parti gaulliste sous le nom d'UNR (Union pour la Nouvelle République), qui recueille 17,6% des voix. Le parti communiste connaît quant à lui un recul brutal, le premier depuis la Libération, et le mode de scrutin (uninominal majoritaire à deux tours) ne lui accorde que 10 députés sur 465 pour 20% des voix !
Le 21 décembre 1958, Charles de Gaulle est élu président de la République et de la Communauté française par un collège électoral. Il succède à l'Élysée à René Coty, devenant le premier président élu de la Ve République.
Sur le coup d'État du 13 mai 1958, on peut retenir la conclusion du sociologue Raymond Aron : « J'écris au mois de mars 1962. Il y a trois ans et demi une République était abattue parce qu'elle était incapable de garder l'Algérie à la France. Les fondateurs de la République suivante ont obstinément poursuivi la politique dont ils accusaient les hommes d'hier de nourrir la velléité. Mais s'il fallait crier "Algérie française" pour ramener le général de Gaulle au pouvoir et si ce retour à l'Élysée du solitaire de Colombey était indispensable au bien public, ceux qui ont abusé leurs fidèles et trompé le peuple sur leurs objectifs, n'ont-ils pas finalement déshonoré leur nom et servi l'État ? » (Le Prince (Machiavel), préface, Le Livre de Poche, 1972).
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Bonne-maman (13-05-2020 16:12:13)
"J'étais jeune en ce temps là , autant qu'il m'en souvienne ... " Et ce qu'il m'en souvient, ce sont les conséquences de cette forfaiture gaullienne ("je vous ai compris, vive l'Algérie française... Lire la suite
Pascuito (07-06-2018 07:36:43)
Je me souviens comme si c'était hier de cette journée. J'étais en faction sur le parcours menant au Forum le Général De Gaulle et je revois ce dernier se dressant à ma hauteur dans la DS. L' un ... Lire la suite
claudeperche (15-05-2018 18:12:10)
Etonnant. Votre papier, pour une fois, est semée de plusieurs inexactitudes ou même erreurs. C'est à partir du § "Pour dénouer la situation..." que se trouvent les erreurs. Merci si vous pouvez y... Lire la suite