Le 3 février 1954 commence le siège du camp retranché de Diên Biên Phu, dans la région montagneuse du haut Tonkin, près de la frontière avec le Laos.
Un siècle de présence française en Indochine va se terminer dans cette cuvette où le général Henri Navarre a concentré 15 000 hommes, avec l'objectif de desserrer l'étau des communistes vietnamiens sur le riche delta du Tonkin.
Embarras politique
Chassés du Viêt-nam (on écrit aussi Vietnam) par les Japonais en 1945, les Français ont tenté d'y revenir par la force dans les mois suivants en affrontant les indépendantistes vietnamiens, regroupés au sein du Viêt-minh (ou Vietminh), le parti communiste de Hô Chi Minh.
Au début de cette première guerre d'Indochine, les Français pacifient le sud du Viêt-nam et le delta du Fleuve rouge, au nord, autour de Hanoi. Mais cela ne suffit pas et il leur reste à sécuriser les montagnes de l'arrière-pays par lesquelles le Viêt-minh reçoit armes et munitions en provenance de la Chine.
À Paris, les dirigeants politiques estiment que la guerre, officiellement qualifiée d'« opérations de pacification », n'a que trop traîné. Ils souhaitent simplement un succès militaire sur le terrain qui leur permettrait de se présenter en position de force à la conférence de Genève qui doit régler en mai 1954 le sort de l'Indochine.
Le 20 mai 1953, dans le souci d'imposer le changement de politique, le président du Conseil René Mayer nomme le général d'état-major Henri Navarre à la tête du corps expéditionnaire, à la place du général Raoul Salan, un homme de terrain qui connaît très bien l'Indochine.
Après quelques opérations réussies qui écartent la menace que le Viêt-minh fait peser sur le delta, le général Navarre entend protéger le Laos voisin, dont le gouvernement est resté fidèle à la France.
Il décide d'attirer les troupes ennemies sur un terrain de son choix en vue de les détruire de toute la force de son artillerie et de son aviation. Il choisit pour cela la cuvette de Diên Biên Phu, située près de la frontière laotienne (16 kilomètres de long sur 9 de large).
Cette plaine de 65 km2 encaissée entre de hautes montagnes ne fait pas l'unanimité et un officier français aurait lancé à son propos : « Mais c'est un pot de chambre ! On va nous pisser de partout ! ».
Le 20 novembre 1953, deux bataillons de parachutistes sous les ordres du commandant Marcel Bigeard sautent sur ce morceau de jungle et en chassent le régiment du Viêt-minh qui l'occupait.
Sous le commandement en chef du colonel de Castries, les troupes terrestres commencent immédiatement à défricher le terrain. Ils le transforment en camp retranché avec barbelés, tranchées et fortins aux noms langoureux de Gabrielle, Béatrice, Isabelle...
Ils aménagent surtout un terrain d'aviation à une dizaine de kilomètres des crêtes, hors de portée de l'ennemi (du moins l'espèrent-ils). Le général Navarre compte sur ce terrain pour ravitailler ses troupes (uniquement des militaires de carrière et parmi eux beaucoup de soldats de la Légion étrangère, y compris de jeunes Allemands, orphelins de la Wehrmacht).
Comme prévu, les communistes vietnamiens commencent à regrouper leurs forces autour du camp retranché...
Le piège se retourne contre son auteur
Hô Chi Minh mobilise d'une magistrale façon ses troupes. En poussant des bicyclettes la nuit à travers la jungle, ses coolies ou hommes de main amènent autour du camp, en quelques semaine, de l'artillerie lourde et du ravitaillement pour des milliers de combattants. Pas moins de 260 000 coolieset 20 000 bicyclettes sont ainsi mis à contribution.
Le général Vo Nguyen Giap, qui commande l'Armée Populaire du Viêt-nam, arrive dans le secteur le 12 janvier 1954. Dès le 25 janvier, il se dispose à donner l'ordre d'attaquer le camp avec cinq divisions, soit 35 000 combattants.
Au dernier moment, dans une géniale intuition, il se ravise. L'attaque est prématurée et pourrait déboucher sur un échec fatal pour son camp. Il annule l'ordre d'attaque et s'offre même le luxe de se défaire d'une partie de ses troupes d'élite. Il les envoie combattre au Laos voisin.
Le général Navarre peut croire au succès de sa stratégie. Mais l'ennemi ne se retire pas et au contraire entame un siège méthodique, ceinturant la base avec 350 kilomètres de tranchées, au plus près des postes français.
Le 13 mars 1954, quand Giap envoie enfin ses troupes à l'attaque de Diên Biên Phu, la surprise est totale dans le camp français. Celui-ci compte à cette date 10 813 hommes (il s'agit d'engagés et non de conscrits, dont 40% de la Légion étrangère), sous le commandement du colonel de Castries.
Les « bo doï » (nom donné aux soldats communistes) concentrent leurs tirs sur la piste d'aviation, seul lien entre la base aéroterrestre et les arrières. Dès le 28 mars, elle est inutilisable et les Français ne sont plus ravitaillés que par des parachutages. Après de rudes combats et la chute successive des différents fortins, l'assaut final a lieu le 7 mai et le cessez-le-feu est déclaré à 17h30. Le colonel de Castries, qui n'a plus de munitions, n'a d'autre choix que de se rendre.
La bataille aura fait 3 000 morts et disparus dans le camp français ainsi que 4 000 blessés. 10 000 hommes sont faits prisonniers et vont subir un long calvaire dans la jungle, humiliés de toutes les façons possibles par les vainqueurs. Seuls 3.300 seront libérés, épuisés, en septembre 1954. Du côté vietnamien, les chiffres sont plus incertains. Il y aurait eu 20 000 à 30 000 tués et blessés.
À Paris, le président du Conseil Joseph Laniel annonce officiellement aux députés la chute du camp. Le lendemain s'ouvre la conférence de Genève qui conduira au partage du Viêt-nam entre deux gouvernements antagonistes.
Bibliographie
Sur cette bataille mythique, on peut lire le livre de Pierre Péllissier : Diên Biên Phu (622 pages, 24 euros, Perrin, avril 2004). L'auteur a publié aussi les biographies de Jean de Lattre de Tassigny et Massu, ainsi que le récit de La Bataille d'Alger. Au fil d'un ouvrage très dense, il dresse un récit détaillé de la bataille de Diên Biên Phu et des circonstances qui ont mené à cette page de gloire inutile, « Verdun asiatique » par lequel s'est conclue la présence française en Indochine. Pour les inconditionnels de la guerre d'Indochine.
Mais nous recommandons par-dessus tout le film de Pierre Schoendoerffer, qui combattit lui-même en Indochine et fut prisonnier du Vietminh : La 317e Section (1965). C'est assurément le meilleur témoignage qui soit sur la réalité de la guerre d'Indochine. Il nous montre une section qui tente de rejoindre le camp de Diên Biên Phu, sous les ordres d'un jeune offier français (Bruno Cremer), avec trois sous-officiers français dont un Alsacien ancien de la Wehrmacht, un sous-officier laotien et une quarantaine de supplétifs laotiens.
Vos réactions à cet article
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testou (06-05-2024 10:27:51)
bien résumé , Salan ? ; peut etre aurait il retardé la fin ineluctable ; vietnam seul , peut etre mais comnien de temps ?; vietnam + chine ; pas possible .
l'independance n'etait pas bien comprise ; seul Mendès ....
Fraeh (05-05-2024 14:35:13)
L incompétence et l aveuglement des hommes politiques de cette époque a conduit au désastre.
Pourquoi avoir donné l indépendance au Cambodge et au Laos et Pas au Vietnam ?
Des milliers d 'hommes morts pour rien.
Danielle Toulet (05-05-2024 14:12:33)
"Le 20 mai 1953, dans le souci d'imposer le changement de politique, le président du Conseil René Mayer nomme le général d'état-major Henri Navarre à la tête du corps expéditionnaire, à la place du général Raoul Salan, un homme de terrain qui connaît très bien l'Indochine."
On ne réécrit pas l'histoire mais je me pose une question : l'issue aurait-elle été autre, si le général Salan, dont on souligne la connaissance du terrain et de l'Indochine, avait été laissé en poste ?
Quoiqu'il en soit, le processus de décolonisation, de toutes façons, était en marche !
Michel (05-05-2024 14:04:17)
Une plaque commémorative a été apposée voici quelques années à l’entrée de la maison de Pierre Schoendoerffer à Chamalières (Puy de Dôme), lequel a, en plus du film remarquable cité plus haut, réalisé le film non moins remarquable sur la guerre d’Indochine : La 317° Section…
jver (06-02-2024 11:41:10)
A Gilles Aerts. J'étais tout jeune, alors! Nous suivions Diên Biên Phu sur Paris-Match. Je e rappelle très bien de André Lalande, qui était une figure incontournable. Quelle drôle d'idée d'aller mourir pour René Mayer!!! Et qu'est devenu André Lalande, s'il s'en est tiré?
JDM (08-05-2014 18:21:53)
Il est hélas vrai que les hauts responsables militaires, tout comme les responsables civils, n'ont pas été à la hauteur de la tâche. Trop sûrs d'eux, sous-estimant leurs adversaires, ils ont fait là les erreurs déjà commises face à l'Allemagne quinze ans plus tôt, et réitérées en Algérie dans les années suivantes. Incontestablement, nous avons manqué de grands stratèges, mais aussi de cette détermination absolue que nécessite la guerre.
Quant au rôle des opposants à cette guerre en effet coloniale, on a bien vu qu'ils ont choisi, entre deux fidélités, celle qui était idéologique et non celle qui se présentait comme nationale. Cela peut choquer, et c'est choquant. A leur décharge, on pourrait dire aussi qu'en mai et juin 40, bien des officiers français - ils n'étaient pas communistes - ont saisi l'occasion de préférer leurs convictions réactionnaires et anti-républicaines à leur devoir de mener leurs hommes au combat pour défendre le sol national.
Gardons nous de juger les hommes. Ils sont si souvent l'objet de choix qui les dépassent, et inclinons nous devant le simple courage des soldats, des deux côtés, qui ont fait ce qu'ils pensaient être leur devoir - si souvent épouvantable.
Là comme ailleurs, le sort de la guerre ne s'est pas joué sur le terrain, ce qui prouve bien que la guerre n'est pas une solution en soi. Le fameux "si vis pacem" nous trompe: si tu veux la paix, construit la paix, car préparer la guerre mène toujours à la guerre.
Gilles Aerts (08-05-2014 06:01:15)
Un cousin germain de ma mère commandait le point d'appui Isabelle qui fut le dernier à se rendre (il tenta même une sortie dans la nuit du 6 au 7 mai). Son nom: André Lalande.
narbait (08-05-2014 03:41:39)
On aurait surtout du ne jamais y mettre les pieds (comme colons je veux dire)!
Régis (28-11-2006 15:19:16)
Le film "Diên-Biên-Phu" (1991) de Pierre Schoendoerffer présente fidèlement, à mon avis, l'ambiance de la bataille.
Ce réalisateur y participa lui-même (il était correspondant de guerre) et fut fait prisonnier. Son film dépeint la différence de mentalité entre les militaires du Corps Expéditionnaire et les politiciens, tant à Saïgon qu'à Paris.
Il tire ses exemples entre autre du roman "Là -Haut" qu'il avait écrit quelques années auparavant.