Le 7 octobre 1953, le président de l'Union indienne, le docteur Rajendra Prasad, inaugure la cité futuriste de Chandigarh. Prévue pour devenir la capitale de l'État du Pendjab après le rattachement de l'ancienne capitale au Pakistan voisin, Chandigarh est une ville neuve dessinée par l'architecte français d'origine suisse Le Corbusier, avec des constructions basses et des voies séparées selon le type de circulation.
Conçue comme un symbole de modernité et de développement dans l’Inde post-coloniale, Chandigarh est depuis 1966 à la fois un territoire de l'Union indienne et la capitale des États du Pendjab et d'Haryana. En 2016, sa population a atteint le million d'habitants.
L'Inde indépendante : un nouvel État à bâtir
Le 15 août 1947 intervient la partition de l’ancien Empire des Indes entre la toute jeune Union indienne d’une part et les territoires du Pakistan oriental et du Pakistan occidental, future République du Pakistan, d’autre part.
Alors que la nouvelle Union indienne se structure sur un modèle fédéral selon la Constitution de 1950, le Premier ministre Jawaharlal Nehru entame un plan de modernisation du pays dans lequel l’urbanisation tient une place prépondérante. Ce ne sont pas moins de cinquante villes nouvelles qui sont créées pour répondre aux besoins de structuration des différentes provinces.
Chandigarh est l’une de ces villes. Elle se situe au cœur du territoire du Penjab qui a été coupé en deux lors de la partition de 1947. Cette partition a entraîné le déplacement brutal de près de 15 millions de personnes.
Cette crise douloureuse a engendré des besoins accrus en matière de logement et de services publics. À cela, s’ajoute un phénomène d’urbanisation rapide. En 1951, la population urbaine du pays est d'environ 62 millions d'habitants, ce qui représente 17,3 % de la population totale. En 1961, cette proportion augmente à 18,0 %, et les estimations suggèrent qu'elle pourrait atteindre 30 % d'ici 1981. Cette croissance met une pression énorme sur les infrastructures existantes.
Lahore, ancienne capitale de l’État du Pendjab, se retrouve au Pakistan. Le Penjab indien a donc besoin d’une nouvelle capitale. Deux villes sont tout d’abord envisagées comme solution possible mais elles sont vite écartées : Amritsar est à proximité immédiate de la frontière et Simla a un passé bien trop lourd qui ne correspond pas à la volonté politique de renouveau du gouvernement indien.
Le choix d’ériger une nouvelle ville permet de marquer les esprits après la perte de Lahore et de mettre en œuvre une nouvelle organisation spatiale du pays dans le contexte du déploiement de la politique de modernisation post-coloniale du gouvernement Nehru.
« L’architecture au sens large est le produit d’une époque. Elle ne peut être isolée des conditions sociales, des réflexions et des idéaux de la société à laquelle elle appartient » (discours de Nehru au Seminar and Exhibition of Architecture, 17 mars 1959).
L’urbanisme au cœur de la politique de modernisation du pays
La conception de Chandigarh est tout d’abord confiée à un architecte américain, Albert Mayer, en 1949. À la suite de l'abandon du projet par ce dernier, c’est Le Corbusier, figure emblématique du mouvement moderne en architecture et son équipe du Congrès international d’architecture qui reprennent le chantier en 1951. L’anecdote veut que l’architecte ait réalisé les plans en moins de huit jours en février 1951. Il a pour ambition d’inscrire dans l’espace les changements politiques, économiques et sociaux voulus par l’Inde.
La ville est pensée comme un damier à plusieurs échelles. Il définit une zone vierge de toute construction dans un rayon de 10 kilomètres autour de la ville. Les quartiers sont ensuite divisés en secteurs de taille égale, chacun mesurant environ 800 mètres sur 1200 mètres. Chaque secteur est conçu pour être autonome et intègre de manière harmonieuse des zones résidentielles, commerciales, éducatives et récréatives aux fonctions urbaines clairement définies.
Les quartiers sont structurés autour d’un maillage de routes hiérarchisées qui délimitent le damier et de bâtiments officiels à l’architecture forte qui en font des éléments emblématiques et distinctifs de la ville. C’est le cas du Capitole, du Palais de l’Assemblée ou du Secrétariat.
La végétation sert également d’élément structurant. Pour cela, Le Corbusier encourage la création du Landscape Advisory Committee avec à sa tête le docteur Randhawa. Toutes les décisions relatives aux essences et aux plantations d'arbres à entreprendre le long des routes et dans les espaces verts sont prises par ce comité pour s’assurer de leur cohérence avec la vision d’urbanisme voulue pour la ville.
Le Corbusier donne alors à cette ville nouvelle une nature anthropomorphique en comparant les espaces verts aux poumons, la voirie au réseau sanguin ou encore l’espace du Capitole comme la tête.
Les discours autour de la construction de ce nouvel ensemble urbain participent à la mystification de la ville et à la représentation d’une ville novatrice et exemplaire. Ainsi Le Corbusier écrit dans ses cahiers : « Mardi 27 : ce plan est terminé avec les trois autres, cultiver le corps et l’esprit, travailler, habiter. Le point final est mis au plan de ce qui va devenir une ville unique au monde, construite pour réaliser la joie de vivre dans la simplicité. Il fallait pour cela venir aux Indes… »
Construction de Chandigarh
La construction de la ville débute dès 1952. Elle est inaugurée l’année suivante, le 7 octobre 1953, par le premier président de l’Union Indienne, Dr Rajendra Prasad. Prévue pour accueillir 500 000 personnes, la ville compte 95 000 habitants en 1961.
Quarante ans plus tard, on dénombre 901 000 habitants lors du recensement de 2001 soit une population près de dix fois supérieure. Cette croissance exponentielle a nécessité une extension urbaine, mais en respectant les dispositions initiales du Corbusier.
La ville est classée au patrimoine mondial par l'UNESCO depuis 2016. Son exemple n’a toutefois pas été imité, si l’on met à part Brasilia, nouvelle capitale du Brésil, conçue par des disciples de Le Corbusier.
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