Le 25 avril 1953, un ensemble d'articles de la célèbre revue scientifique Nature décrit pour la première fois la structure de la molécule d'ADN (acide désoxyribonucléique), support du patrimoine génétique de tous les êtres vivants.
C'est une étape-clé - assurément la plus médiatisée - dans le très long processus de recherche sur la transmission de la vie. C'est aussi le début d'une nouvelle révolution scientifique, avec le décollage du génie génétique et de la biologie moléculaire.
Simple comme bonjour
Nature publie en premier lieu une lettre de deux pages, accompagnée d'une unique figure et simplement intitulée « A Structure for Deoxyribose Nucleic Acid ». Ses auteurs sont le biologiste américain James Dewey Watson (24 ans) et le physicien britannique Francis Crick (36 ans).
Ils ont synthétisé les travaux de leurs collègues scientifiques et ont pu expliquer avec un art remarquable de la déduction comment se dupliquait la molécule d'ADN contenue dans le noyau des cellules de tous les êtres vivants.
« C'était simple ; on pouvait exposer cette idée à n'importe qui - il n'était pas nécessaire d'être un génie pour comprendre le mode de réplication du matériel génétique », écrira plus tard James Dewey Watson, avec le souci de démystifier la recherche scientifique (La double hélice, 1968).
La transmission de la vie
La question de la reproduction des êtres vivants est aussi vieille que le monde. Le naturaliste Aristote, au IVe siècle av. J.-C., est sans doute le premier à l'avoir abordée de façon scientifique.
L'observation de moisissure sur les aliments en décomposition a longtemps laissé croire à la génération spontanée des êtres vivants.
Mais cette idée a été réfutée par Louis Pasteur, qui a mis en évidence expérimentalement l'existence de microbes à l'origine de la pourriture des aliments - malgré cela, à la fin du XIXe siècle, des hommes aussi affûtés que Georges Clemenceau, médecin de formation, étaient encore adeptes de la génération spontané !
Peu avant Pasteur, en 1839, le physiologiste allemand Theodor Schwann avait déjà montré que « la cellule est l'unité de base du règne végétal et du règne animal », la cellule étant définie comme la plus petite structure capable de se reproduire de façon autonome. On estime aujourd'hui par exemple que le corps humain est constitué d'environ 30 000 milliards de cellules.
En 1866, le moine Gregor Mendel jette les bases de la génétique après une série d'expériences sur l'hybridation du pois dans son couvent de Brunnen (Brno), en Moravie. Mais ses travaux ne seront appréciés à leur juste valeur qu'une génération plus tard, suite à la redécouverte de ses expériences et de leur portée universelle.
Le généticien américain Thomas Morgan (Prix Nobel de médecine 1933) démontre expérimentalement, en étudiant la drosophile - ou mouche du vinaigre -, que le siège de l'hérédité des cellules à noyau se situe dans les chromosomes. Ces formations constituées de protéines et d'ADN (acide désoxyribonucléique) et présentes dans le noyau sont visibles lors de la mitose, autrement dit quand la cellule se reproduit par division.
En 1943, lors d'une expérience sur les pneumocoques (bactéries pathogènes), le médecin américain Oswald Avery et ses collaborateurs MacLeod et McCarthy identifient la molécule d'ADN comme étant le support des caractères héréditaires. Cette découverte est accueillie avec incrédulité. La structure tri-dimensionnelle de l'ADN, molécule extrêmement longue et fragile, et plus encore sa fonction, semblent hors de portée des ressources scientifiques du temps.
Le rôle de l'ADN
Mais dans le même temps, un livre du savant autrichien Erwin Schrödinger, Qu'est-ce que la vie ? (1944) excite l'imagination des jeunes chercheurs de tous bords en les conduisant sur la piste de l'hérédité.
Parmi eux, James Dewey Watson qui, ses études terminées, entre en 1951 au laboratoire Cavendish de l'Université de Cambridge, spécialisé en cristallographie, et fait équipe avec Francis Crick.
Ensemble, ils simplifient l'hypothèse d'une triple hélice avancée par Pauling et Corey et envisagent une structure à double hélice de l'ADN qui pourrait expliquer son doublement à l'identique lors de la division cellulaire.
Maurice Wilkins et Rosalind Franklin, chercheurs en cristallographie au King's College de Londres, s'efforcent de pénétrer la structure de l'ADN en analysant la diffraction des rayons X projetés sur la molécule. Ils identifient formellement une structure hélicoïdale en double hélice.
Passant par le King's College, Watson consulte les clichés que lui présente Wilkins - à l'insu de Rosalind Franklin et contre son avis -.
Ces clichés lui confirment l'existence d'une double hélice (une échelle en vrille), avec une structure de l'ADN conforme aux hypothèses ébauchées par Crick et lui-même.
Les bases azotées de l'ADN (A pour adénine, T pour thymine, G pour guanine, et C pour cytosine) sont empilées au centre et appariées deux à deux (A avec T, G avec C) tout au long des barreaux de l'échelle.
Ces hypothèses peuvent dès lors être publiées... avec une introduction remplie d'humilité : « We wish to suggest a structure for... » (« Nous suggérons une structure... »).
Elles sont suivies dans le même numéro de Nature par les travaux expérimentaux de Wilkins et Franklin. Ils viennent à l'appui des travaux théoriques précédents.
Crick, Watson et Wilkins ont reçu pour leur découverte le prix Nobel de physiologie-médecine en 1962. Rosalind Franklin, morte quatre ans plus tôt, à 38 ans, d'un cancer de l'ovaire, n'a pu partager leur gloire.
L'aventure se poursuit
Watson ayant pris du champ après cela, Crick a poursuivi les travaux de recherche avec d'autres équipiers en vue de comprendre l'unité d'information de l'ADN (le codon) et de pouvoir décrypter le code génétique. L'équipe du Français François Jacob a pris le relais en vue d'identifier l'ARN messager (acide ribonucléique) qui exprime au niveau de chaque cellule l'information contenue dans l'ADN...
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Bernard (03-05-2013 21:53:49)
Mes remarques vont porter sur la partie consacrée à Watson et Crick de l'Université de Cambridge. En fait, bien qu'ils soient les seuls à passer à la postérité, il convient de préciser qu'ils n'ont pas eux-mêmes expérimenté sur les fibres d'ADN. Ils ont tiré profit d'informations provenant des cristallographes du King's College de Londres tels que Wilkins et Rosalind Franklin. Ces derniers ayant utilisé de l'ADN purifié par le Suisse Signer à partir de la laitance de saumon. Lors de l'attribution du prix Nobel en 1963, Wilkins a été associé à Watson et Crick. Ce ne fut hélas pas le cas pour Rosalind Franklin décédée auparavant. L'Histoire ne doit cependant pas l'oublier.
Gilbert Orsini (23-04-2013 07:59:56)
votre présentation du travail de Rosalind Franklin est très correcte bien que passant sous silence l'effraction commise par Watson et qu'il a racontée lui même dans "The double helix"
igor (22-04-2013 23:57:19)
Le prénom de Schrödinger est Erwin (Erwin Rudolf Josef Alexander) et non pas Werner qui est le prénom d'Heisenberg entre autres.