Staline s'éteint le 5 mars 1953, à 73 ou 74 ans (note), dans sa datcha de Kountsevo, dans les environs de Moscou.
Quelques jours plus tôt, le samedi 28 février, assistant à une représentation du Lac des Cygnes au Bolchoï, le dictateur avait dû se retirer avant la fin de la représentation.
Selon le récit de Nikita Khrouchtchev, il avait invité à dîner ses subordonnés Malenkov, Beria, Khrouchtchev et Boulganine, puis, après une soirée bien arrosée, s'était retiré dans sa chambre.
Ses gardes, ne le voyant pas ressortir de tout le dimanche, s'étaient finalement enhardis à fracturer sa porte et l'avaient trouvé gisant sur le tapis, frappé d'une congestion cérébrale. On ne se hâta pas de le sortir du coma et il finit par expirer après une agonie de quatre jours...
Beria, dans un memorandum publié après sa mort, avance toutefois une autre version : Staline aurait eu une attaque pendant une réunion de travail consacrée au « complot des blouses blanches » ; l'éphémère héritier du dictateur attribue l'attaque à un empoisonnement par l'un de ses rivaux, Molotov.
Staline s'honorait du titre de Vojd, mot russe qui signifie « Guide », équivalent de l'allemand Führer, de l'italien Duce ou de l'espagnol Caudillo. Mais la propagande communiste le surnommait aussi le « petit père des peuples ».
L'annonce de sa mort, le lendemain matin, fige le monde entier dans la stupeur, la désolation et un vague soulagement.
En URSS comme dans les pays inféodés et dans toutes les organisations communistes ou « progressistes » du monde entier, elle donne lieu à des manifestations de deuil ostentatoires de la part des officiels.
Ses obsèques, le 9 mars suivant à Moscou, entraînent des scènes d'hystérie collective qui causent la mort de plusieurs centaines de badauds, piétinés ou étouffés.
À Paris, le siège du parti communiste est entièrement drapé de noir. Mais l'admiration pour le dictateur n'est pas cantonnée aux militants. Elle s'étend à la quasi-totalité de l'opinion publique ! Au Palais-Bourbon, Édouard Herriot, président de la Chambre des députés, réclame une minute de silence en mémoire du vainqueur de Hitler et du modernisateur de l'URSS.
Voici un extrait du compte-rendu de la séance du vendredi 6 mars 1953, à la Chambre des députés :
M. le Président. Mes chers collègues, le maréchal Staline est mort. (Mesdames et Messieurs les députés se lèvent.) Nous respectons la douleur du peuple soviétique et nous nous y associons profondément. Il n'est pas opportun, aujourd'hui et dans cette enceinte, de juger le puissant chef de parti dont les doctrines ont si largement agi au-dedans et au-dehors de son pays. Mais il est un souvenir dont nous ne pouvons nous affranchir, celui du rôle joué par le maréchal Staline dans la fin de la guerre et la préparation de la victoire. On s'en rend compte dans les ruines de Stalingrad ou en étudiant cette bataille de Moscou, où le génie militaire de Staline éclate de façon si évidente.
Ce souvenir me fait un devoir d'adresser, au jour où il disparaît, un salut et un hommage à celui qui, avec l'héroïque armée soviétique, a contribué à notre libération et renforcé le lien que crée entre nos deux peuples la communauté de sang répandu.
L'historien Léon Poliakov rapporte que deux députés ont refusé de se lever (le premier, Jean Le Bail, a été député SFIO de la Haute-Vienne jusqu'en 1958 ; nous n'avons pas le nom du second).
Cependant, les Soviétiques ordinaires cachent mal leur appréhension après une longue période d'oppression comme jamais l'ancienne Russie n'en avait connue.
À peine le « Vojd » est-il mort que ses subordonnés se partagent le pouvoir.
Malenkov, Beria et Molotov constituent un triumvirat informel. Le premier devient président du Conseil des ministres et du présidium, ainsi que secrétaire général du parti ; le second, maître de la police, s'attribue la vice-présidence du Conseil des ministres et surtout le ministère des Affaires intérieures et de la Sécurité d'État ; le dernier conserve les Affaires étrangères.
L'autorité réelle revient à Beria qui, de façon surprenante, engage une timide démocratisation.
Dès le 10 mars, au lendemain des funérailles, il annonce une amnistie pour tous les condamnés à moins de cinq ans de prison, soit un million de personnes !
Qui plus est, le 4 avril, la police révèle le « complot des blouses blanches ». Beria fait libérer les médecins et admet que les médecins avaient avoué sous la torture...
Pour les croyants communistes, c'est la stupeur. Si les aveux des médecins avaient été extorqués, quid des aveux des accusés antérieurs ? Le doute s'installe... Au fil des rumeurs et des révélations, on pourrait croire que le régime est en voie de s'adoucir.
L'écrivain Ilya Ehrenbourg qualifie de « dégel » les mois d'effervescence qui suivent la mort de Staline. Le mot fait florès. Il évoque un phénomène propre à la grande plaine russe : à la fin de l'hiver, toute la nature est encore immobile, ensevelie d'un voile blanc de glace et de neige. Et puis, la glace qui fige les fleuves et la neige qui recouvre les champs se mettent à fondre. Les fleuves charrient des blocs en désordre et les chemins charrient de la boue.
On croirait à la fin du monde mais, passés ces quelques jours d'effroi, divine surprise : les fleuves reprennent un cours paisible et les champs revêtent un tapis de fleurs... Ainsi l'écrivain voulait-il voir dans les troubles de l'après-Staline la promesse d'un nouveau printemps.
L'agitation gagne les camps de Sibérie et surtout les pays soumis au joug soviétique. Le 17 juin 1953, profitant de ce début d'accalmie, les ouvriers allemands manifestent en masse à Berlin-Est. Leur manifestation est sauvagement réprimée par le pouvoir aux ordres des Soviétiques.
Pour l'entourage de Beria, c'en est trop. Craignant les effets délétères d'une démocratisation trop rapide, les membres du présidium de l'URSS se réunissent en urgence le 26 juin et demandent à Beria de s'expliquer.
Celui-ci, privé de parole, est arrêté brutalement par le maréchal Joukov et ses hommes qui pénètrent dans la pièce sur ordre de Malenkov. Il est exécuté dans la même journée (la chronique officielle assure qu'il a été jugé et exécuté seulement en décembre 1953).
Le complot contre Beria est mené par un apparatchik (homme d'appareil), le premier secrétaire du Parti Nikita Khrouchtchev. Celui-ci organise sans tarder la mainmise de la nomenklatura communiste sur l'appareil d'État.
L'objectif de cette nomenklatura est de jouir enfin en paix de ses privilèges. Elle y parviendra jusque dans les années 1980, après avoir dénoncé les crimes de Staline au XXe Congrès du PCUS pour en exonérer l'idéologie marxiste-léniniste.
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casaalta (07-03-2013 08:57:50)
C'est un peu court !... On aimerait mieux comprendre ce mouvement de "dégel", cette attitude que semblent avoir les Russes d'osciller brutalement entre absolutisme et libéralisation soudaine et désordonnée, ce goût pour à la fois la glaciation et le "dégel"! N'y a-t-il eu dans l'histoire russe jamais un "entre deux" plus calme, plus intelligent?
Serait-ce une tare de ce peuple et peut-être de tous, que de naviguer dans l'excès? Nos "gaulois" sont râleurs, ingouvernables, jamais contents et royalistes nostalgiques. Hollande est passé de justesse (15 jours de campagne de plus et c'était cuit!) et beaucoup doivent le regretter ! Notre petit père du petit peuple le maréchal sarkösi se frotte déjà les mains! Parions que ça ne sera pas le dégel en 2017!
José Cláudio (05-03-2013 18:44:13)
C'est très bien cet article sur Staline.
Mais, ça m'étonne... Il n'y a pas ne ligne pour le grand musicien Prokofiev qui est mort precisement au même jour?