Colliers de nouilles, dessins maladroits, poèmes, chansonnettes et mots d’amour, les enfants (petits et grands) célèbrent leur maman au moins une fois par an le dernier dimanche du mois de mai, lors de la « fête des Mères ».
Inspirée de cultes païens et reprise par les natalistes du XIXème siècle, elle fut promue en France dès les débuts de la Grande Guerre mais c’est la IVème République qui en fit une fête nationale.
Retour sur l’origine de cette tradition, à mi-chemin entre la propagande et l’argument commercial, mais dont le message d’amour reste essentiel de nos jours...
L’humanité a toujours honorée la maternité, garante de sa perpétuation. Les cultes de la Fécondité et de la Déesse Mère sont ainsi parmi les plus anciens cultes connus et les Grecs de l'Antiquité glorifient eux-mêmes la maternité en célébrant tout au long de l’année, et particulièrement au printemps, la mère de tous leurs dieux, Rhéa.
Au Vème siècle av. J.-C., les Romains rendent hommage aux femmes et aux mères lors des Matraliae. Cette fête se déroule le 11 juin, au moment où l’on se rapproche du solstice d’été, et célèbre Mater Matuta, la déesse de l’aube et de l’enfantement.
Le Moyen Âge voit disparaître en Europe cette célébration au profit du culte d’une mère d'exception, celle du Christ, le Fils de Dieu. Mais honorer la Vierge Marie ne peut être associé à une « fête des Mères » en raison des questions théologiques sur sa virginité.
La tradition réapparaît en Angleterre au XVIème siècle. Le « mothering Sunday », dimanche des mères, est institué pour donner le droit aux domestiques des grandes familles anglaises d’avoir un jour de repos par semaine afin de se retrouver en famille.
Au début du XIXème siècle, en France, Napoléon Bonaparte évoque la création d’une fête des Mères officielle, célébrée au printemps. Il aurait confié l’idée à son premier chambellan, M. de Rémusat : « Une fête des mères, des enfants, de la famille, voilà ce que j’aimerais voir en France chaque printemps quand renaît la nature, car c’est à ma mère que je dois tout. »
L’idée n’aboutit pas mais ressurgit à la fin du siècle alors que le déclin de la natalité entraîne la naissance de mouvements familiaux et natalistes.
En 1897, l’Alliance nationale contre la dépopulation, créée un an plus tôt par le médecin, démographe et statisticien Jacques Bertillon (1851-1922), lance l’idée d’une fête des enfants, afin de mettre en avant l’importance de la fécondité.
C'est dans cet esprit que Prosper Roche, instituteur à Artas, fonde en 1904 une société de secours mutuels « l'Union Fraternelle des Pères de Famille Méritants d'Artas ». Celle-ci prévoit l’organisation d'une journée annuelle pour remettre des « récompenses de haut mérite maternel ». Cette célébration a lieu pour la première fois le 10 juin 1906 dans la cour de l’école de garçons d'Artas et par cette célébration, les Artasiens déposent en quelque sort le brevet de la fête des mères.
Plus tard, en pleine guerre mondiale, le 16 juin 1918, le colonel de la Croix-Laval va instaurer la première « Journée des mères » officielle, à Lyon pour rendre hommage à toutes les femmes ayant perdu un fils dans les tranchées.
Le traumatisme des pertes humaines de la Grande Guerre amplifie la crainte de la dépopulation.
En 1920, la contraception et l’avortement sont interdits et sanctionnés par la loi. Soucieux de repeupler la France, les pouvoirs publics invitent les femmes à devenir mères et pour les y aider, instaurent des aides comme les primes d’allaitement.
Les municipalités sont invitées à organiser au mois de mai une journée pour célébrer les mamans. « Mais il ne s’agit pas de célébrer toutes les mères, » précise l’historienne des femmes Françoise Thébaud. « Seulement celles de familles nombreuses d’au moins trois ou quatre enfants. »
Dans le même esprit est fondé en 1920 le prix des Familles nombreuses ou « Prix de la première Fondation Cognacq-Jay ». C'est une dotation de 25 000 francs attribuée par l'Académie française tous les ans à une famille méritante dans chaque département. Le prix a été fondé par Ernest Cognacq et Marie-Louise Jaÿ, deux modestes vendeurs qui ont fait fortune en créant Le Bon Marché à Paris mais se désolent de n'avoir pas pu avoir d'enfants.
Ann Reeves Jarvis (1832-1905) consacra sa vie à soutenir les mères de famille et faire reconnaître leur travail. « J'espère et je prie pour que quelqu'un, un jour, trouve une journée commémorative des mères en sa mémoire pour le service inégalable qu'elle rend à l'humanité dans tous les domaines de la vie. Elle y a droit », déclare-t-elle.
Après sa mort, sa fille Anna Jarvis (1864-1948) reprend son projet d'une journée dédiée à la célébration des mères. La première fête des mères est célébrée en mai 1908 par l'église méthodiste Andrews de Grafton (Virginie occidentale). Anna Jarvis a voulu que cette fête intervienne le deuxième dimanche de mai pour qu’elle soit toujours proche de la date du 9 mai, jour du décès de sa mère.
En 1910, la fête des mères devient un jour férié en Virginie occidentale et son succès est tel que dès 1914, le président Wilson la déclare fête nationale.
À la suite des États-Unis, le Canada, la Belgique, l'Italie, la Suisse ou encore l'Allemagne, célèbrent la fête des Mères le deuxième dimanche de mai. La France se distingue en la célébrant le quatrième dimanche de ce mois. Quant aux Britanniques, toujours désireux d'afficher leur différence, ils célèbrent le Mothering Sunday le quatrième dimanche de Carême, soit le plus souvent en mars.
C’est sous le régime de Vichy que la maternité donne lieu à une fête nationale, célébrée le dernier dimanche de mai sous la dénomination de « journée des Mères ».
Fort de sa devise : « Travail, Famille, Patrie », le régime de Vichy s’empare du thème défendu par les mouvements natalistes de l’entre-deux-guerres et apporte la touche finale à la tendance qui se développait depuis le XIXème siècle en officialisant la journée des mères le 25 mai 1941.
Le régime incite les enfants à la prendre en charge. Ce jour-là, une affiche propagandiste est placardée dans toutes les écoles de France. Le message suivant y est inscrit : « Ta maman a tout fait pour toi, le Maréchal te demande de l’en remercier gentiment… »
L’initiative est relayée par des membres du corps enseignant et du gouvernement. Le secrétaire d’État à l’Éducation Nationale, l'historien Jérôme Carcopino, envoie une lettre au corps enseignant : « L’enfant doit inventer et décider lui-même le geste qu’il accomplira. Il doit pouvoir l’entourer de tout le secret et de tout le mystère qu’il désire. »
Cette même année, le filleul du Maréchal Pétain, Jacques Chevalier, prononce un discours : « Par le don de sa personne et le rayonnement de son amour, la mère est l’âme de la famille. Elle transmet, avec la vie, les vertus qui font les peuples forts. »
La mère de famille acquiert une existence sociale à part entière. Les mairies d’arrondissement organisent la célébration de la journée des Mères le 31 mai 1942. Le peu de moyens mis en place fait dire à Jean Cocteau, ironique, « fête des Mères, fête de la Misère. »
« Depuis dix mois, je convie les Français à s’arracher aux mirages d’une civilisation matérialiste. Je leur ai montré les dangers de l’individualisme. Je les ai invités à prendre leur point d’appui sur les institutions naturelles et morales auxquelles est lié notre destin d’homme et de Français.
La famille, cellule initiale de la société, nous offre la meilleure garantie de relèvement. Un pays stérile est un pays mortellement atteint dans son existence. Pour que la France vive, il lui faut d’abord des foyers.
Le foyer, c’est la maison où l’on se réunit, c’est le refuge où les affections se fortifient. C’est cette communauté spirituelle qui sauve l’homme de l’égoïsme et lui apprend à s’oublier pour se donner à ceux qui l’entourent.
Maîtresse du foyer, la mère, par son affection, par son tact, par sa patience, confère à la vie de chaque jour sa quiétude et sa douceur. Par la générosité de son coeur, elle fait rayonner autour d’elle l’amour qui permet d’accepter les plus rudes épreuves avec un courage inébranlable.
Mères de notre pays de France, votre tâche est la plus rude. Elle est aussi la plus belle.
Vous êtes, avant l’État, les dispensatrices de l’éducation. Vous seules savez donner à tous ce goût du travail, ce sens de la discipline, de la modestie, du respect qui fait les hommes sains et les peuples forts. Vous êtes les inspiratrices de notre civilisation chrétienne.
Et voici qu’aujourd’hui dans nos deuils, dans nos misères, vous portez la plus lourde croix.
Mères de France, entendez ce long cri d’amour qui monte vers vous.
Mères de nos tués, mères de nos prisonniers, mères de nos cités qui donneriez votre vie pour arracher vos enfants à la faim, mères de nos campagnes, qui, seules à la ferme, faites germer les moissons, mères glorieuses, mères angoissées, je vous exprime aujourd’hui toute la reconnaissance de la France. »
Mais il faut attendre la IVème République pour que la « fête des Mères » soit inscrite en tant que loi, dans le calendrier républicain. Le président socialiste Vincent Auriol promulgue la loi du 24 mai 1950 qui stipule : « La République française rend officiellement hommage chaque année aux mères françaises au cours d’une journée consacrée à la célébration de la fête des Mères ». L’organisation des festivités est prise en charge par le ministère de la Santé, puis par celui de la Famille.
Cette politique est en symbiose avec l'esprit du temps. En effet, les démographes ont observé en France et dans une moindre mesure dans les autres pays européens une nette remontée de la fécondité dès 1942.
Au moment le plus noir de l'Occupation et de la guerre, les couples se sont repris à espérer et se sont remis à faire des enfants. De 1,5 enfant par femme environ dans les années 30, la fécondité des Européennes est remontée à plus de 2,5 dans les années 1950 (avant de diminuer à nouveau par la suite).
Dans les années 1960, dans l'euphorie de la « société de consommation », la fête des Mères est mise à profit pour stimuler les ventes d'appareils ménagers.
Toujours est-il que la tradition perdure et que les Français célèbrent leur mère chaque année le dernier dimanche du mois de mai, sauf exception, si la date coïncide avec celle de la Pentecôte, la fête des Mères a alors lieu le premier dimanche de juin.
Même si les enfants continuent de concevoir des cadeaux « faits main » à l’école, à l’initiative des enseignants, les marques et grands magasins se réjouissent encore, eux aussi, de l’arrivée de cette fête, qui constitue pour eux un excellent argument commercial.
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Voir les 7 commentaires sur cet article
Traboni (26-05-2024 13:50:53)
La mère rit de son arrondissement dans la mairie de son arrondissement. D'après Alfonse Allais.
JD46 (22-05-2023 18:05:41)
Peuvent recevoir la "Médaille de la famille" (4 enfants et plus): Art. D 215-7 du Code d'Action sociale et des Familles. Médaille devenue "Médaille de l'enfance et des Familles"
françois-stéphane (21-05-2023 16:24:22)
une petite correction: Si Marie-Louise a bien travaillé au Bon Marché créé en 1838, les Cognacq-Jay n'en sont pas les promoteurs (un peu jeunes 😄). par contre, ils ont créé la Samaritain... Lire la suite