L'Inde indépendante naît officiellement dans la nuit du 14 au 15 août 1947, à minuit. Sa naissance est annoncée à Delhi par le chef du gouvernement, Jawaharlal Nehru. Quelques heures plus tôt, à Karachi, le rival de ce dernier, Ali Jinnah, avait proclamé la création du Pakistan.
Cette double naissance est l'aboutissement de longues et douloureuses tractations entre le colonisateur britannique et les Indiens mais plus encore entre les Indiens eux-mêmes (les Anglais s'étaient pour la plupart résignés à quitter les Indes dès 1930)...
Les explosions de haine entre majorité hindoue et minorité musulmane ont conduit à la division du sous-continent indien que les Anglais avaient réussi à unifier pour la première fois de son Histoire.
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À la veille de sa dissolution, l'empire britannique des Indes comptait 410 millions d'habitants dont 281 millions d'hindous, 115 millions de musulmans, 7 millions de chrétiens et 6 millions de Sikhs, cela sur 4 millions de km2. La scission a laissé33 millions de musulmans en Inde (10% de la population), les autres se retrouvant au Pakistan.
L'État principal issu du British Raj s'appelle officiellement Union indienne ou République de l'Inde. C'est aujourd'hui une république fédérale de 28 États et 7 territoires, associée au Commonwealth, dernier vestige de l'empire britannique.
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Les Indiens eux-mêmes appellent volontiers leur pays Bharat en référence à un roi mythique qui a inspiré l'épopée en vers Mahâbhârata. D'un point de vue religieux, le pays est aussi appelé Hindoustan parce qu'il est le berceau de l'hindouisme (-stan est un suffixe d'origine persane qui signifie pays).
Aujourd’hui, l’article premier de la Constitution de l’Union indienne déclare que « L’Inde, c’est-à-dire Bharat, est une union d’États ». Ainsi, Inde et Bharat sont les deux noms courts officiels du pays.
Le Pakistan est une invention du XXe siècle. Son nom, conçu par un jeune universitaire en 1933, signifie le « pays des purs » et comporte les initiales de trois provinces revendiquées par ses promoteurs : P pour Pendjab, A pour Afghanistan, K pour Cachemire. Devenu une République islamique, il est comme l'Inde resté fidèle au Commonwealth britannique.
L'indépendance de tous les dangers
Le parti du Congrès, qui regroupe les élites hindoues, réclame dès le début du XXe siècle l'autonomie, voire l'indépendance. La Ligue musulmane, toute aussi désireuse de voir partir les Anglais, exige la création d'un État proprement musulman, le Pakistan.
Son chef, Mohamed Ali Jinnah, récuse tout idée de confédération entre cet État et la future Union indienne. Il entretient ses coreligionnaires dans la conviction qu'ils ne pourront jamais vivre en paix s'ils sont en minorité face aux hindous. Après la conférence de Simla, conclue sur un échec le 14 juillet 1946, il les appelle à une journée d'action directe, le 16 août 1946. Il s'ensuit plusieurs milliers de morts rien qu'à Calcutta. C'est la première explosion de haine entre les deux communautés.
Les Britanniques n'en confient pas moins la direction du British Raj à un gouvernement intérimaire dirigé par le pandit Jawaharlal Nehru, compagnon de route de Gandhi. Ils convoquent par ailleurs une assemblée constituante en décembre 1946 mais celle-ci est boycottée par la Ligue musulmane. Les affrontements sanglants entre les deux communautés commencent à se multiplier.
En février 1947, Londres dépêche Louis Mountbatten (46 ans) en qualité de vice-roi en remplacement de Lord Wawell. Il a mission de mener à bien l'indépendance des Indes britanniques.
Arrière-petit-fils de la reine Victoria, cousin de la future reine Elizabeth II, oncle et tuteur de son époux Philippe d'Édimbourg, Lord Louis est un homme remarquable et brillantissime, doté de tous les dons et en premier lieu de celui de la persuasion. Il a combattu dans la Royal Navy et notamment organisé des raids contre les ports de Saint-Nazaire et Dieppe, avant d'assumer en 1943 le commandement suprême des forces interalliées en Asie du Sud-Est (c'était déjà en remplacement de Lord Wawell) et de chasser les Japonais de Birmanie. Ce dernier exploit lui a valu la reconnaissance des Indiens. Mais quand le Premier ministe Clement Attlee lui demande de relayer Lord Wawell à Delhi en vue d'organiser au mieux l'indépendance, il manifeste les plus vives réticences. Il faudra un ordre express de son ami le roi George VI pour qu'il accepte la mission.
Le combat des chefs
D'emblée, le nouveau vice-roi, accompagné de son épouse Edwina et de sa fille Pamela, s'applique à séduire ses interlocuteurs. Il rencontre successivement tous les leaders indiens dans son somptueux palais des Mille et Une Nuits.
La préférence de Nehru va à un État centralisé afin de prévenir aussi bien la création du Pakistan que la sécession de tel ou tel État princier. Il doit aussi contenir les extrémistes de son propre camp qui réclament la création d'un État purement hindou, l'Hindoustan, pour faire pendant au futur Pakistan.
Mountbatten cultive d'excellentes relations avec Nehru mais il désespère de préserver l'unité du British Raj et, en désespoir de cause, choisit d'accélérer le processus d'indépendance, quoiqu'il en coûte.
Le 3 juin 1947, le vice-roi officialise la future partition de l'empire des Indes et, sur le vif, annonce que la transmission des pouvoirs aura lieu le vendredi 15 août 1947, sans doute parce que deux ans plus tôt, c'est aussi un 15 août qu'il a reçu la reddition de l'armée japonaise de Birmanie. Les astrologues hindous s'indignent de n'avoir pas été consultés et affirment que le 15 août est le plus mauvais choix possible... Par contre, le 14 août serait très acceptable. Conciliants, Mountbatten et Nehru conviennent que l'indépendance sera officialisée le 14 août à minuit !
Dans la hâte, Sir Cyril Radcliffe, un juriste anglais de qualité mais sans expérience des Indes, se voit confier la tâche de délimiter la future frontière entre Pakistan et Inde, au Pendjab et au Bengale. Pour éviter de ternir la joie de l'indépendance, Lord Mounbatten gardera son rapport sous le coude et ne le remettra officiellement que le 16 août 1947 à ses successeurs, Nehru et Ali Jinnah. À Westminster, les députés anglais examinent en un temps record le projet Mountbatten et votent le 4 juillet l'Independence Bill.
Les indépendances débutent le 14 août 1947 à Karachi, où Mountbatten proclame la création du dominion du Pakistan. Le lendemain, le 15 août 1947, la passation des pouvoirs a lieu comme prévu à Delhi, au fort Rouge, l'ancien palais des empereurs moghols. La fête est réussie, malgré l'absence de Gandhi, plongé dans un nouveau jeûne en guise de protestation contre la partition, qu'il qualifie à juste titre de « vivisection ».
Nehru devient Premier ministre de l'Union indienne, mais il demande à Lord Louis de devenir le premier gouverneur général de l'Inde indépendante, le temps que se mettent en place la nouvelle administration ! À Karachi, Ali Jinnah se montre de son côté beaucoup moins accommodant et s'attribue d'emblée le titre de gouverneur général avec tous les pouvoirs.
Mountbatten va conserver son titre jusqu'au 21 juin 1948 et ce qu'il pensait être une sinécure sans véritable autorité va devenir la charge la plus lourde d'une existence déjà bien remplie : à l'heure des troubles, Nehru et son ministre de l'Intérieur Sardar Patel vont faire appel à son expérience et à son énergie pour mobiliser les forces de l'ordre au service des réfugiés de toutes confessions.
Dès le 16 août éclatent des affrontements à Calcutta entre musulmans et hindous. C'est le slaughter day (« jour des abattoirs »). Il va faire plus de 3000 morts et donne le signal des massacres au Pendjab et au Bengale, les deux États où passe la frontière entre Inde et Pakistan.
Lord Mountbatten doit aussi gérer le sort des 562 États princiers qui, au fil de l'Histoire, ont noué des traités avec Westminster en échange de leur autonomie interne. Ils rassemblent le quart de la population, les autres Indiens étant soumis à l'administration directe des Britanniques.
Le vice-roi arrive à convaincre tous les souverains de renoncer à reprendre leur indépendance et de rejoindre la future Union en échange de généreuses compensations. L'exception la plus notable est le nizam (souverain musulman) d'Hyderabad, au coeur du pays. Celui-là ne se ralliera qu'en 1948, sous la contrainte.
Plus gravement, le maharadjah (souverain hindou) du Cachemire, province à majorité musulmane, a cru pouvoir reprendre son indépendance. Quand il se rallie enfin à l'Inde, l'armée pakistanaise envahit son territoire. C'est le début d'une guerre sans fin. En ce début du XXIe siècle, une ligne de cessez-le-feu indo-pakistanaise coupe toujours cette province autrefois belle et prospère.
Le documentaire ci-après (British Pathe) montre les festivités officielles à Karachi et Delhi, les 14 et 15 août 1947...
Visions d'enfer
Sitôt proclamée la partition du British Raj, la plupart des hindous et sikhs du nouveau Pakistan plient bagage dans l'affolement et rejoignent vaille que vaille l'Union indienne ; ils sont imités en sens inverse par de nombreux musulmans. De 1947 à 1950, dix à quinze millions de personnes se croisent ainsi par-dessus les frontières des deux nouveaux États, occasionnant au passage d'innombrables incidents meurtriers.
Dans les villages où cohabitent les communautés (hindous, musulmans, sikhs) ont lieu des scènes d'épouvante, pires qu'en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale aux dires des témoins britanniques : massacres à l'arme blanche, viols, mutilations, etc. On compte 400 000 à un million de morts rien que dans l'été 1947.
C'est au Pendjab, entre Delhi, Amritsar et Lahore, que se produisent la plupart des atrocités. Les hindous mais aussi les Sikhs qui dominaient précédemment cette riche province se voient chassés de sa capitale Lahore, attribuée au Pakistan. Les Sikhs, pour leur part, chassent les musulmans de leur ville sainte, Amritsar.
À Calcutta, capitale du Bengale, Gandhi arrive par sa présence à apaiser les tensions. S'étant établi au coeur de la métropole, il menace de jeûner à mort s'il advenait du mal à l'une ou l'autre des communautés. Ce « miracle de Calcutta » va épargner au Bengale les horreurs du Pendjab, à quelques exceptions près.
La mansuétude du Mahatma à l'égard de toutes les confessions, y compris des musulmans, lui vaudra d'être assassiné le 30 janvier 1948, six mois seulement après l'indépendance, par un jeune extrémiste hindou.
Heureusement, le reste de l'Inde va se tenir calme de sorte qu'à la fin des troubles, l'Inde va conserver en son sein trente millions de musulmans, soit un dixième de sa population.
Sans vouloir refaire l'Histoire, on peut se demander ce qu'il serait advenu si les négociations de l'indépendance avaient traîné et laissé aux haines religieuses le temps de se diffuser à l'ensemble du sous-continent, au-delà du Pendjab et du Bengale !...
Malgré ces funestes débuts, la démocratie indienne va lentement mûrir et croître sous la direction de dirigeants remarquables, au premier rang desquels Jawaharlal Nehru et sa fille, Indira Gandhi (sans lien de parenté avec le Mahatma, son patronyme lui venant de son mari).
Moins chanceux est le Pakistan. État artificiel fondé sur l'identité musulmane, il perd le 11 septembre 1948 son père fondateur Mohammed Ali Jinnah, victime de la tuberculose. En 1971, sa partie orientale fait sécession sous le nom de Bangladesh. En ce début du XXIe siècle, le « Pays des Purs » est une dictature dotée de l'arme atomique, soumise à la charia et confrontée à de nouveaux défis du fait de la montée de l'intégrisme islamique, aux antipodes de l'empire moghol érigé en modèle par les musulmans du sous-continent.
Les Indes britanniques constituaient au début du XXe siècle la principale région sous tutelle européenne. Leur indépendance va donner le signal de la décolonisation. Après les Indes néerlandaises (Indonésie), Ceylan (Sri Lanka) et la Birmanie en 1948, les Européens vont se résigner à lâcher leurs autres possessions, essentiellement en Indochine et en Afrique.
Les images ci-après sont empruntées à un très beau documentaire de la BBC. Elles témoignent de l'élégance de Lord Mountbatten et de son art de la persuasion face aux leaders hindous et musulmans. Elles offrent aussi un éclairage des horreurs dont s'est accompagnée la partition du sous-continent...
Bibliographie
L'indépendance tumultueuse des Indes a inspiré un chef d'oeuvre aux journalistes Dominique Lapierre et Larry Collins : Cette nuit la liberté (1975). C'est assurément le meilleur récit de cette tranche d'Histoire. Notons que le livre a inspiré le film indien Le dernier vice-roi des Indes (2017). Sur la personnalité extraordinaire du dernier vice-roi, on peut aussi lire avec plaisir la biographie de François Kersaudy : Mountbatten (Perrin, 2004).
En Inde comme au Pakistan ou au Bangladesh, nul n'aurait l'idée aujourd'hui de rendre l'ancien colonisateur responsable des difficultés du moment.
Acccoutumés à traiter avec des envahisseurs extérieurs (Turcs, Mongols...), les Indiens sont reconnaissants aux derniers venus, les Britanniques, d'avoir réalisé l'unité de leur aire culturelle et permis à l'hindouisme et aux traditions védiques de renaître au grand jour. Ils leur sont reconnaissants aussi de leur avoir donné une langue véhiculaire, l'anglais, acceptable par toutes les composantes du pays, et surtout de leur avoir transmis les principes de l'État de droit, sans lesquels il n'est pas de démocratie ni de paix civile. Grâce à quoi l'Union indienne peut se flatter d'être aujourd'hui la plus grande démocratie du monde, en dépit de toutes ses imperfections.
Au passif de la colonisation britannique, il faut inscrire sans nul doute la ruine de l'artisanat qui faisait encore au début du XIXe siècle la prospérité des Indes et la renommée de ses tissus dans le monde entier (indiennes, cachemire, madras...). C'est en inondant le marché indien de leurs textiles produits à Manchester et Liverpool que les Britanniques ont en bonne partie bâti leur puissance industrielle, sans égard pour le savoir-faire local, irrémédiablement détruit (la Chine, notons-le, utilise en ce début du XXIe siècle la même stratégie à l'égard de l'Occident). Les Anglais ont aussi considérablement appauvri la paysannerie indienne et livré celle-ci à d'épouvantables famines (la dernière a frappé le Bengale en 1943).
Si les Indiens se gardent de réclamer des comptes au colonisateurs, c'est aussi parce que ces violences ont été commises avec la complicité active des castes dirigeantes du pays. Condamner la domination anglaise reviendrait à condamner aussi la société indienne...
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Anonyme (23-08-2017 12:30:52)
Bonjour, Très-bel hommage au dévouement de £ord Mounbatten, un rare CONCILIATEUR (avec Nelson Mandela) à ne pas avoir payé de sa vie sa bonne volonté, comme Henri IV, Gandhi, Jaurès, Anouar El... Lire la suite
Philippe TCHAIDJIAN (15-08-2017 14:00:11)
Article instructif, sans conteste. Les deux dernières phrases - et tout particulièrement la dernière - du commentaire final n'étaient peut être pas indispensables dans le contexte de la thématiq... Lire la suite