Le 29 mars 1947 éclate une insurrection dans la colonie française de Madagascar. La répression va provoquer plusieurs milliers ou dizaines de milliers de victimes. Son souvenir confus donne encore lieu à des interprétations plus fantaisistes les unes que les autres.
La réalisatrice malgache Marie-Clémence Andriamonta-Paes a recueilli les témoignages des derniers survivants de l'insurrection de 1947 dans un film touchant : Fahavalo (« ennemi » en malgache).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'administration de la Grande Île s'est mise aux ordres du gouvernement collaborationniste de Vichy avant de rendre les armes aux Anglais qui occupent Madagascar en 1942.
Les Anglais remettent l'île aux représentants du général de Gaulle. Maladroits, ces derniers multiplient les réquisitions sous prétexte d'accélérer le développement de l'économie. Ils humilient les habitants en leur appliquant de façon rigoureuse le statut de l'« indigénat ». Et en mars 1946, quand un bateau ramène à Tamatave 6000 tirailleurs revenus du front, on n'a rien de plus pressé que de leur retirer leurs chaussures militaires !
Mais dès la fin de la guerre, à Tananarive, la capitale, les élites malgaches se prennent à rêver aux principes de liberté édictés par les Anglo-Saxons dans la Charte de l'Atlantique. Beaucoup revendiquent une intégration complète de l'île dans la République française.
Trois députés malgaches à l'Assemblée constituante française fondent dès 1946 à Paris le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM) avec l'objectif d'une pleine participation des Malgaches à la vie politique. L'un d'eux, cependant, Joseph Raseta, ne s'en tient pas là. Il crée la même année une société secrète, la Jina (Jeunesse nationaliste), et prépare un soulèvement violent en vue de conquérir l'indépendance. Son message est bien reçu dans les villages et plantations de la côte orientale.
En 1947, la Grande Île compte 4 millions d'habitants sur une surface grande comme la France. Parmi eux 35 000 Européens.
La côté orientale, au climat tropical, compte beaucoup de plantations coloniales où l'on cultive le clou de girofle et la vanille, principale richesse de l'île. Les habitants de cette région ont souffert plus que les autres du travail forcé. Donnant lieu à de nombreux abus, il est remplacé en 1924 par des « travaux d'intérêt général », guère plus réjouissants. C'est de cette région que va jaillir l'insurrection.
Les dirigeants de la IVe République ignorent le projet d'insurrection bien que les services de la Sûreté dirigés par le commissaire Marcel Baron en aient été informés grâce à des agents infiltrés dans la Jina et d'autres sociétés secrètes.
Le MDRM, également informé, diffuse dans les villages un télégramme demandant à chacun d'éviter les violences. Mais l'appel est sans effet. Selon certains commentateurs, les autorités françaises auraient, en certains lieux, arraché les affiches, comme si elles souhaitaient en découdre avec les opposants cachés.
C'est ainsi que le 29 mars, quelques centaines d'hommes simplement armés de sagaies et de coupe-coupe attaquent des petites villes côtières et des plantations. Ils s'en prennent aux Européens mais aussi aux Malgaches qui vivent et travaillent avec eux. Les colons sont pris au dépourvu et ne peuvent réagir faute de moyens militaires sur place.
Le gouvernement de Paul Ramadier, désemparé, va faire porter la responsabilité des troubles sur les trois parlementaires du MDRM. Les députés, y compris l'extrême-gauche communiste, lèvent sans rechigner leur immunité parlementaire. Ils sont arrêtés. Deux seront condamnés à mort mais leur peine heureusement commuée en exil.
Malgré cela, la jacquerie s'étend. Elle embrase rapidement toute la partie orientale de l'île, où la misère et les frustrations sont les plus grandes. Les rumeurs les plus folles courent sur le compte des insurgés, soupçonnés des pires atrocités.
Le gouvernement envoie à Madagascar des renforts. Ce sont d'abord pour l'essentiel des troupes coloniales (tirailleurs sénégalais). La répression donne lieu à de nombreux débordements et crimes de guerre : tortures, exécutions sommaires, regroupements forcés, mises à feu de villages.
Parmi les crimes les plus médiatisés figure celui du 6 mai 1947, quand une douzaine de Sénégalais se livrent à une expédition punitive sur le village de Moramanga pour venger leurs camarades tués la nuit précédente. Ont-ils mitraillé une centaine de militants du MDRM emprisonnés dans des wagons ? Le doute subsiste, les habitants ayant évacué le village avant l'attaque.
L'armée française expérimente aussi une nouvelle technique de guerre psychologique : des suspects sont jetés vivants d'un avion pour terroriser les villageois de leur région.
Enfin, en juillet 1947, l'arrivée de cinq bataillons nord-africains porte à 18 000 hommes les effectifs de l'armée et permet au pouvoir colonial de redevenir maître du terrain.
La reconquête se fait par cercles concentriques, à partir de postes militaires, selon la technique de la « tâche d'huile » inaugurée par le premier gouverneur de l'île, Joseph Gallieni. Le dernier bastion tombe en novembre 1948.
En vingt mois, la « pacification » aurait fait 89 000 victimes chez les Malgaches selon les comptes officiels de l'État français. Mais ces comptes auraient été exagérés par méconnaissance du terrain et pour alourdir le dossier d'accusation du MDRM.
Jean Fremigacci, maître de conférences à Paris-I et enseignant à l'université de Tananarive, établit le nombre des morts entre 30 000 et 40 000, dont 10 000 de mort violente et le reste de faim ou de maladie (« morts physiologiques » selon la terminologie de l'époque). C'est déjà beaucoup si on le rapporte aux 700 000 habitants de la région concernée (note).
Les forces coloniales perdent quant à elles 1 900 hommes (essentiellement des supplétifs malgaches). On relève aussi la mort de 550 Européens, dont 350 militaires. La disproportion des pertes tient à ce que les rebelles ne disposaient en tout et pour tout que de 250 fusils.
En métropole, Le Figaro et L'Humanité parlent du soulèvement mais le gouvernement et l'ensemble des organes de presse minimisent son importance et ne disent rien de la répression. L'opinion publique, il est vrai, est davantage préoccupée par le rationnement, les grèves et la guerre froide.
L'insurrection de 1947 a été gommée de la mémoire collective des Français mais aussi des Malgaches qui admettent mal que les leurs aient pu très durement s'affronter.
Le professeur Jean Fremigacci, qui a enseigné de 1969 à 1988 à l'université de Tananarive, a publié un article sur le sujet : « La vérité sur la grande révolte de Madagascar », in L'Histoire, N°318, mars 2007.
Citons aussi un ouvrage de référence : L'insurrection malgache de 1947 (Jacques Tronchon, éditions Karthala, 1974).
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Gramoune (29-03-2020 10:37:54)
Bien sûr que cet épisode est douloureux pour les Malgaches. Mais depuis l'Indépendance, l'île n'a cessé de s'appauvrir et les vieux Malgaches regrettent le départ des Français. Car dans le temps, les routes, les chemins de fer, l'approvisionnement en nourriture était assuré, sans parler des hôpitaux qui sont dans l'état de 1975....
Françis Vignéras (05-01-2017 19:57:09)
Je suggère d'enrichir son information sur les événements de 1947 à Madagascar par la lecture du livre "La révolte des Sagaies" de Eugène Jean Duval, édition L'Harmattan.Le lecteur y trouvera une description toute militaire des événements en même temps qu'il pourra y découvrir les prémices du chemin parcouru depuis cette époque.
FERRANT (04-09-2006 10:46:31)
Les passions restent vives à Madagascar sur la rébellion. De nombreux malgaches reconnaissent que l’histoire du soulèvement de 1947 reste importante; c’est le mythe fondateur …Il ne peut être soumis à discussion ; il y a une certaine police de la pensée qui veille et protège ce mythe … Le livre du Frère Tronchon , sans doute en toute bonne foi, en fait partie.
Mais de nombreux jeunes malgaches , et moins jeunes savent qu’il faut rechercher la vérité ailleurs .En fait , la réalité est aussi autre…Vous en trouverez une partie dans deux autres livres intitulé « Madagascar : les missionnaires acteurs du développement » (L’Harmattan), préfacé par Ramialiharisoa-Hjra, et « Des sagaies aux ombrelles – Madagascar 1947-2002 » écrits par le père Tiersonnier, s.j. qui a vécu ces événements .L’histoire reste affreuse, le nombre de tués , même ramené au nombre indiqué , est incroyable ; l’attitude du gouvernement reste lamentable ; Mais reprenez les critiques des journaux malgaches sur ce livre ; elles sont presque plus instructives que le livre lui-même ; les lecteurs pressentent que le mythe cache un mensonge .
Il y a enfin un groupe universitaire de travail franco-malgache, mené entre autres par M. J. Fremigacci qui travaille en historiens sur ce sujet.