Le 16 juin 1946, le général Charles de Gaulle (55 ans), figure charismatique de la France Libre pendant la Seconde Guerre mondiale, quitte sa retraite de Colombey-les-deux-Églises (Haute-Marne) et rentre brutalement dans l'arène politique.
À Bayeux, en Normandie, devant une foule nombreuse de sympathisants, il formule une critique en règle des institutions de la IVe République.
Le vieux résistant, qui ne supporte pas l'inaction, exprime sa vision d'une stricte séparation du pouvoir législatif (Parlement) et du pouvoir exécutif (chef de l'État et gouvernement) : « Du Parlement, composé de deux chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d'aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le gouvernement ne serait bientôt plus rien qu'un assemblage de délégations (...). Mais il ne peut y avoir là qu'une disposition du moment. En vérité, l'unité, la cohésion, la discipline intérieure du gouvernement de la France doivent être des choses sacrées, sous peine de voir rapidement la direction même du pays impuissante et disqualifiée. Or, comment cette unité, cette cohésion, cette discipline seraient-elles maintenues à la longue si le pouvoir exécutif émanait de l'autre pouvoir auquel il doit faire équilibre et si chacun des membres du gouvernement, lequel est collectivement responsable devant la représentation nationale tout entière, n'était, à son poste, que le mandataire d'un parti ? C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement, mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. ».
Mais sa critique laisse la classe politique indifférente et son espoir d'être rappelé par le peuple reste vain...
La traversée du désert
L'année d'après, le général fonde son propre parti, le Rassemblement du Peuple Français (RPF). De nature protestataire, celui-ci joint les voix de ses élus à celles des communistes pour entraver un peu plus l'action du gouvernement. Il s'oppose à l'abandon de l'Indochine et des autres colonies ainsi qu'au projet de Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) ; il fait capoter le projet de Communauté Européenne de Défense (CED)...
En 1953, délaissé par ses propres députés et prenant acte de l'inanité de son action, le Général se met en retrait du RPF et se retire dans sa résidence de Colombey-les-deux-Églises.
Vieilli et quelque peu aigri, il se met à l'écriture de ses Mémoires de guerre et daube avec ses visiteurs et ses rares fidèles (Jacques Chaban-Delmas, Jacques Soustelle, Michel Debré, Olivier Guichard, Georges Pompidou, André Malraux....), sur les aléas de la IVe République. Il a aussi la douleur d'enterrer sa fille Anne (20 ans), handicapée mentale. C'est la «traversée du désert».
Une opportunité quelque peu inattendue s'ouvre en 1958. La IVe République, confrontée à un soulèvement indépendantiste en Algérie, réprime brutalement celui-ci et, désormais en position de force, se dispose à négocier avec ses meneurs, les chefs du FLN. C'est plus que n'en peut supporter la frange extrémiste des colons d'Algérie. Habilement manipulés par les hommes du général de Gaulle, ils se laissent convaincre de faire appel à celui-ci pour sauver l'«Algérie française».
À la suite du vrai-faux coup d'État du 13 mai 1958, le général Raoul Salan, commandant en chef des armées en Algérie, prononce publiquement le nom de De Gaulle. Celui-ci, à 68 ans, n'était déjà plus, pour la plupart des Français, qu'une figure du passé. Son retour est spectaculaire. Il répond immédiatement à l'appel venu d'Alger en se disant «prêt à assumer les pouvoirs de la République».
Par crainte d'une subversion militaire, la classe politique lui fait presque aussitôt allégeance et le président René Coty demande le 29 juin au «plus illustre des Français» de former le gouvernement. Aussitôt après, le général de Gaulle obtient les pouvoirs spéciaux en Algérie, les pleins pouvoirs en métropole et le droit de procéder à une révision constitutionnelle. Il peut enfin mettre en place des institutions selon ses voeux. Ce sera la Ve République...
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