19 mars 1946

La République française prend des couleurs

Le 19 mars 1946, la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion deviennent des départements d'outre-mer sur un vote à l'unanimité de l'Assemblée nationale.

Ces « confettis de l'empire » (note) auraient pu, comme les îles à sucre britanniques, devenir indépendants. C'était en tout cas le souhait des propriétaires blancs, les békés, descendants des premiers planteurs, qui voulaient ainsi faciliter leurs relations avec les États-Unis et échapper aux lois sociales de la République française. Mais le projet de départementalisation a été défendu bec et ongles par le député martiniquais Aimé Césaire, poète de la « négritude ». Il a eu finalement gain de cause.

Alban Dignat

L'euphorie de la Libération

Les « quatre vieilles colonies » sont ainsi dénommées parce qu'elles sont à peu près tout ce qui reste du premier empire colonial français, constitué avant la Révolution. Leurs habitants de toutes origines ont obtenu la citoyenneté française et le droit de vote dès avril 1848, dans le droit fil de l'abolition de l'esclavage

Dans l'euphorie de la Libération, ces colonies obtiennent d'être promues au statut départemental grâce à l'effort conjoint de leurs députés noirs ou métis, Léon Lepervanche et Raymond Vergès (La Réunion), Gaston Monnerville (Guyane), Eugénie Éboué-Tell (Guadeloupe), Léopold Bissol et Aimé Césaire (Martinique). Aimé Césaire, apparenté communiste, est le rapporteur de la loi.

Quelques mois plus tard, le 24 septembre 1946, les autres colonies, en Afrique, en Asie et dans le Pacifique, sont transformées en collectivités  ou territoires d'outre-mer (TOM). Leurs habitants bénéfient d'un statut particulier de citoyens-sujets avec un droit de vote local. Le statut de l'indigénat est aboli. 

Du fait que ces collectivités ont conservé le souvenir d'une histoire antérieure à la colonisation, elles ont vocation à accéder à une autonomie de plus en plus large puis à l'indépendance.

C'est ainsi que la plupart des colonies françaises d'Afrique vont accéder à l'indépendance en 1960. Les dernières à l'obtenir seront les Nouvelles-Hébrides en 1980 (aujourd'hui le Vanuatu), la Côte française des Somalis en 1977 (aujourd'hui Djibouti) et les Comores en 1974 (à l'exception de Mayotte).

Quatre anciennes colonies conservent leur statut de collectivité d'outre-mer : la Polynésie française (ou Établissements français du Pacifique), la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon.

L'archipel de Wallis-et-Futuna, détaché de la Polynésie en 1961, constitue une cinquième collectivité d'outre-mer. L'île de Saint-Barthélemy et la moitié nord de Saint-Martin ont été dissociées de la Guadeloupe et également érigées en collectivités d'outre-mer en 2007.

Notons que les anciens protectorats (Tunisie, Maroc, Cambodge) sont devenus en 1946 des États associés à l'Union française avant d'accéder à l'indépendance.

Rapport de l'Assemblée Nationale sur la départementalisation des Outre-mer, 1946

La France d'Outre-Mer au début du XXIe siècle
Départements
océan Atlantique
Guadeloupe
Martinique
Guyane
océan Indien
La Réunion
Mayotte

Collectivités
océan Pacifique
Polynésie
Nouvelle-Calédonie
Wallis-et-Futuna
océan Atlantique
St-P-et-Miquelon
Saint-Barthélemy
Saint-Martin
Chef-lieu

Basse-Terre
Fort-de-France
Cayenne

Saint-Denis
Mamoudzou



Papeete
Nouméa
Mata-Utu

St-Pierre
Gustavia
Marigot
Population (hab.)

400 000
430 000
200 000

770 000
200 000



265 000
225 000
13 500

6 300
8 500
35 000
Superficie (km2)

1 700
1 100
84 000

2 500
274



4 200
19 000
374

242
25
53

Amères désillusions

Après la décolonisation de l'Indochine, de l'Afrique et de l'Algérie, la République française va consentir de gros efforts financiers en faveur du développement des DOM-TOM (départements et territoires d'outre-mer). Mais les espoirs de la Libération se heurtent très vite à l'atavisme colonial et aux combines électorales et politiciennes.

Dans les Antilles et dans une moindre mesure à la Réunion, le pouvoir économique reste concentré entre les mains des descendants des planteurs, quelques milliers de personnes et quelques dizaines de familles tout au plus (les békés).

La classe politique locale, bien qu'issue majoritairement des descendants d'esclaves, s'accommode de la situation et en tire profit. C'est ainsi qu'elle défend bec et ongles le maintien de taxes locales archaïques, comme l'« octroi de mer » qui pèse sur les importations, y compris celles provenant de la métropole et des autres DOM-TOM.

Ces taxes, qui contribuent à l'enchérissement des prix, conduisent le gouvernement à offrir des primes substantielles aux fonctionnaires appelés à travailler outre-mer. En augmentant de moitié ou du double les revenus des fonctionnaires, les primes contribuent à leur tour à faire monter les prix de détail pour le plus grand profit des patrons locaux mais au détriment des gens ordinaires qui doivent se satisfaire des aides sociales et de salaires nettement inférieurs à ceux de la métropole...

Ces conditions sociales font fuir les investisseurs, y compris dans le tourisme, en dépit d'atouts naturels importants. Autant de frustrations et d'incohérences qui nourrissent les  rancœurs et réveillent les vieux antagonismes du passé esclavagiste.

La Guadeloupe, qui a cruellement souffert de la Terreur révolutionnaire, y est plus sensible que ses consœurs. Suite à la fuite ou à l'exécution de la plupart des planteurs, sa population compte aujourd'hui à peine 5% d'Européens dont une moitié de métropolitains. S'y ajoutent environ 15% de descendants des travailleurs tamouls amenés des Indes après l'abolition de l'esclavage (1848). La population restante est noire ou métisse.

Cette situation contraste avec la Martinique, qui a conservé une assez forte proportion d'habitants de souche européenne, y compris ses békés, lesquels, après la Révolution, ont mis la main sur les ressources de la Guadeloupe. Elle n'a rien à voir avec la Réunion dont la population est très bariolée : Africains et Malgaches, métis, Européens, Tamouls hindous et Indiens musulmans, Chinois, « petits Blancs » des Hauts et métropolitains, appelés « z'oreilles » dans l'argot local. Elle n'a rien à voir non plus avec la Guyane, seule dépendance d'outre-mer avec des frontières terrestres (à part l'île antillaise de Saint-Martin, partagée entre la France et les Pays-Bas) et une population très mélangée : Amérindiens, noirs, métis et mulâtres, blancs et métropolitains...

L'outre-mer en panne

Depuis 1946, les départements et territoires français d'outre-mer cumulent les inconvénients du système colonial et de l'assistanat, avec pour résultat une société empêchée de se développer et rétive au travail productif. Il n'y a guère que la Nouvelle-Calédonie qui bénéficie d'une véritable activité productive grâce à son sous-sol riche en nickel. Pour le reste, les activités productives se limitent à quelques cultures (canne à sucre, bananes, ananas...) lourdement subventionnées. En Guyane, le centre spatial de Kourou, qui vit en circuit fermé, ne profite nullement à la population locale.

L'État étouffe les initiatives privées à coup d'aides, de taxes et de réglementations ; en retour, il supplée à ses propres nuisances en multipliant les emplois publics. Il s'ensuit que l'outre-mer affiche de loin le plus fort taux d'administration en France avec 90 agents pour mille habitants dans les trois fonctions publiques (État, hospitalière et territoriale).

La comparaison de La Réunion et de Maurice est édifiante. Ces deux îles de l'archipel des Mascareignes, dans l'océan Indien, sont similaires par leur peuplement comme par leur histoire ; la première étant mieux dotée par la nature. Mais l'île Maurice est indépendante depuis un demi-siècle tandis que La Réunion est département français.

Résultat, la Réunion bénéficie de routes asphaltées et les statistiques lui attribuent un PIB/habitant supérieur à celui de sa voisine mais ces avantages sont le résultat de la manne étatique. Comme le reste de l'outre-mer français, l'île compte près d'un tiers de fonctionnaires, près d'un tiers de personnes qui vivent des aides sociales et près d'un tiers de commerçants qui recyclent l'argent des premiers. À la marge, quelques activités traditionnelles (rhum, canne à sucre...) survivent à coup de subventions avec une main-d'œuvre de clandestins des pays voisins.

Rien de tel et pour cause sur l'île Maurice, qui a su attirer les capitaux et bénéficie d'une très importante activité exportatrice (textile, tourisme...). Sa population s'en montre d'autant plus épanouie. Les indicateurs de santé témoignent plus justement de cette réalité. Les taux de mortalité infantile et l'espérance de vie sont du même ordre dans les deux îles en dépit des moyens colossaux déployés par l'État français dans son outre-mer.

Mayotte, le petit dernier

En 2011, l'île de Mayotte a rejoint la cohorte des départements d'outre-mer au terme d'un processus politique hasardeux. En effet, cette île, qui a une forte identité pré-coloniale - à la différence des autres départements d'outre-mer -, avait vocation à devenir indépendante ou se rattacher à la République des Comores. Dans cette perspective, elle aurait dû bénéficier du statut de territoire d'outre-mer.
Très pauvre et surpeuplée, aux antipodes de la culture française et qui plus est en tension permanente avec le reste de l'archipel des Comores, elle n'a guère de perspective de développement.

Publié ou mis à jour le : 2021-12-23 10:06:44
Anonyme (13-04-2016 15:19:42)

Entièrement d'accord avec le commentaire précédent, sans compter que l'auteur n'étaye ses affirmations par aucune donnée chiffrée et confond les Seychelles avec les Mascareignes...

Dominique Lejeune (21-03-2012 15:04:53)

Des milliers de Mauriciens sont installés à la Réunion fuyant l'Eden que constitue l'île Maurice.Dans la mauvaise foi comparaison Maurice-Réunion,Joseph Savès est imbattable. Ce qui doit le chi... Lire la suite

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