Pendant un demi-siècle, le monde a vécu sous la menace d'une guerre majeure entre les États-Unis et l'URSS. Cette « guerre froide » a été théorisée publiquement le 5 mars 1946 par Winston Churchill dans un discours prononcé à Fulton, dans le Missouri.
Dès le 12 mai 1945, dans l'euphorie de la victoire, le Premier ministre britannique avait écrit au président américain Truman : « un rideau de fer est tombé sur le front russe »...
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Après la capitulation de l'Allemagne hitlérienne, la conférence de Potsdam (17 juillet - 2 août 1945) organise le sort du pays et de l'Europe : réparations en nature, établissement de la frontière orientale de l'Allemagne sur l'Oder-Neisse, indépendance de l'Autriche, annexion par l'URSS des États baltes, de la Prusse orientale, de la Pologne orientale.
Mais très vite émerge la rivalité entre l'Union soviétique et les Occidentaux. C'est le début de la guerre froide. Un « rideau de fer » sépare l'Europe en deux : d'un côté les pays occidentaux sous la protection de l'Amérique et de l'OTAN, qui bénéficient du plan Marshall, de l'autre l'URSS et ses « satellites ». L'Allemagne elle-même est séparée en deux États hostiles l'un à l'autre...
De la lutte contre Hitler...
Premier ministre de Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale, le vieux lion a permis la défaite de l'Allemagne grâce à sa détermination et à sa force de caractère.
Mais, le 26 juillet 1945, moins de trois mois après la capitulation de l'Allemagne, il a dû quitter le pouvoir, les électeurs ayant manifesté leur désir de tourner la page et reporté leurs suffrages sur le travailliste Clement Attlee, riche de ses promesses de nationalisations et de réformes sociales.
... à la lutte contre Staline
Le 10 octobre 1944, alors qu'il était encore Premier ministre, Winston Churchill avait concédé à Staline, son allié dans la guerre contre Hitler, le droit de mettre la main sur la Pologne, la Yougoslavie et même la Grèce.
Quatre mois plus tard, à la conférence de Yalta, il mesure sa légèreté dans l'affaire et prend conscience de ce qu'un nouveau conflit est en germe.
Le 12 mai 1945, un mois après la mort du président américain Franklin Roosevelt et quelques jours après la capitulation de l'Allemagne, Churchill écrit donc à son successeur à la Maison Blanche, Harry S. Truman : « un rideau de fer est tombé sur le front russe ».
L'avertissement passe inaperçu car le monde baigne encore dans l'allégresse de la victoire. Les vainqueurs du nazisme jettent ensemble à San Francisco les bases de l'ONU (Organisation des Nations Unies) en juin 1945.
Harry Truman veut néanmoins montrer ses muscles à son allié de circonstance et le dissuader d'intervenir sur le front oriental, où la guerre contre le Japon traîne en longueur. Pour cela, il prend la décision de larguer deux bombes atomiques sur le Japon en août 1945.
Staline se sent menacé et n'entend pas perdre le bénéfice de sa victoire sur le nazisme, au prix de vingt millions de morts soviétiques (à comparer aux quatre cent mille morts américains). Il ne veut pas laisser aux États-Unis le monopole de l'arme atomique, autrement dit une absolue hégémonie sur le monde.
Aux États-Unis, les industriels de l'armement ont tout lieu de se réjouir. Ils craignaient, avec le retour de la paix, de perdre les juteux contrats des années de guerre. Ils n'ont pas de mal à convaincre le président Truman de ne pas relâcher l'effort contre la nouvelle menace venue de l'Est !
Scepticisme de l'opinion publique
Se remémorant l'avertissement de Churchill, le président invite l'ex-Premier ministre britannique à prononcer un discours au collège de Westminster, à Fulton. Winston Churchill n'est que trop heureux d'accepter. Il s'y prépare consciencieusement, malgré l'âge (72 ans) et la maladie.
À Fulton, en présence du président Truman, le retraité retrouve sa verve d'orateur pour ce discours qu'il intitule : « Le nerf de la paix » (allusion renversée à l'adage : « L'argent est le nerf de la guerre »). Cette expression inédite n'est évidemment pas un appel à reprendre les armes contre Staline ; c'est une nouvelle mouture du précepte latin : Si vis pacem para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »).
Dans cette optique, le Vieux Lion s'exclame à la tribune : « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l'Adriatique, un rideau de fer s'est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens États de l'Europe centrale et orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia, toutes ces villes célèbres et les populations qui les entourent se trouvent dans ce que je dois appeler la sphère soviétique (...).
Quelles que soient les conclusions que l'on tire de ces faits, ce n'est certainement pas là l'Europe libérée pour laquelle nous avons combattu ; et ce n'est pas non plus celle qui porte en elle les ferments d'une paix durable ». Et il invite « les peuples de langue anglaise à s'unir d'urgence pour ôter toute tentation à l'ambition ou à l'aventure ».
Churchill engage donc les Occidentaux et en premier lieu les Anglo-Saxons à ne pas relâcher leur effort de guerre afin de dissuader Staline de pousser son avantage. Son discours est toutefois mal accueilli par la presse et l'opinion qui ne comprennent pas qu'il dénonce l'allié soviétique après en avoir dit tant de bien ! Au demeurant, si l'Armée rouge occupe toute l'Europe centrale, les gouvernements de cette région sont loin d'être encore tombés sous la coupe du Kremlin et de Staline : la Yougoslavie de Tito et la Tchécoslovaquie de Benès résistent à Moscou de même que la Grèce, en pleine guerre civile...
Mais le 12 mars 1947, le président Truman donne un contenu concret au discours churchillien en formulant devant le Congrès américain la doctrine d'endiguement (en anglais : containment) qui porte son nom : « Je crois que les États-Unis doivent soutenir les peuples libres qui résistent à des tentatives d'asservissement... ».
Au nom de cette « doctrine Truman », les États-Unis vont lancer dès l'été suivant un plan d'aide massif à l'Europe démocratique, le plan Marshall. Mais ils vont aussi apporter leur appui financier et militaire à des régimes dictatoriaux, à l'Espagne de Franco et au Portugal de Salazar, comme à la Corée de Syngman Rhee et au Vietnam de Ngô Dinh Diêm.
Pétrifiées par la peur d'une guerre atomique, les opinions publiques occidentales ne s'indignent guère de ces compromissions entre les démocrates et les dictateurs dès lors que ces derniers s'affichent résolument anticommunistes. Elles finissent par donner raison à Churchill et Truman en 1948. Cette année-là, l'URSS rejette le plan Marshall et l'assistance économique des États-Unis car elle n'entend pas perdre le contrôle des pays où ses troupes sont présentes, jusqu'au cœur de l'Allemagne. Dans le même but, elle organise aussi le blocus de Berlin. En Tchécoslovaquie, seul État d'Europe centrale encore démocratique, les communistes s'emparent du pouvoir par le « coup de Prague ».
Les vœux de Churchill sont comblés l'année suivante, en 1949, avec la création d'une alliance militaire occidentale : l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Dans la foulée, en Allemagne, les Occidentaux transforment leurs zones d'occupation en un État souverain et allié, la République Fédérale Allemande (RFA). Trois semaines plus tard, Staline riposte en formant la République Démocratique Allemande (RDA).
Le 22 septembre 1947, Andreï Alexandrovitch Jdanov (1896-1948), troisième secrétaire du Parti communiste de l'URSS après Staline et Malenkov, publie un Rapport sur la situation internationale dans lequel il écrit :
« Plus nous nous éloignons de la fin de la guerre et plus nettement apparaissent les deux directions principales de la politique internationale de l'après-guerre, correspondant à deux camps : le camp anti-impérialiste et démocratique et le camp impérialiste.
Les États-Unis sont la principale force dirigeante du camp impérialiste. L'Angleterre et la France sont unies aux États-Unis.
Les forces anti-impérialistes et antifascistes forment l'autre camp. L'URSS et les pays de la démocratie nouvelle en sont les fondements ».
C'est une confirmation tardive des thèses exposées par Churchill à Fulton.
Raidissement américain
La victoire des communistes de Mao en Chine en 1949, l'invasion de la Corée du Sud par les communistes du Nord en 1950 et la guerre menée en Indochine par les communistes de Hô Chi Minh relancent les craintes d'une nouvelle guerre mondiale.
Le 7 avril 1954, alors que s'ouvre à Genève une conférence sur le sort de l'Indochine et de la Corée, le nouveau président américain, le prestigieux général Dwight David Eisenhower, formule sa crainte qu'en tombant aux mains des communistes, un pays comme le Vietnam n'entraîne ses voisins (l'Indonésie, la Thaïlande...) dans sa chute. Plus tard connue sous le nom de « théorie des dominos », elle va conduire les États-Unis à intervenir au Vietnam après le départ des Français.
L'Union soviétique riposte au raidissement américain en concluant le Pacte de Varsovie avec sept pays satellites d'Europe centrale, le 14 mai 1955, peu après la mort de Staline et six ans après la formation de l'OTAN. L'équilibre de la terreur va écarter le risque de guerre nucléaire pendant 50 ans, mais au prix de nombreux et meurtriers conflits locaux. Le monde tremble pendant la guerre de Corée, la répression de Budapest et le blocus de Berlin. Mais en 1962, la reculade de Nikita Khrouchtchev face à John Fitzgerald Kennedy dans la crise des fusées ouvre une première faille dans la guerre froide en éloignant la perspective d'une guerre nucléaire.
À la fin du XXe siècle, le Pacte de Varsovie a été dissous et l'URSS a implosé en une quinzaine d'États démunis, dont la Russie. L'OTAN, quant à elle, a entamé avec le « succès » que l'on sait les premières interventions militaires de son histoire en Bosnie puis en Afghanistan et en Libye, avant de se confronter à la Russie. Aux États-Unis, le lobby militaro-industriel garde le sourire. Faut-il croire que la guerre froide est finie ?
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Voir les 7 commentaires sur cet article
Garamont (05-03-2023 12:55:01)
Selon les chiffres 2022 (Banque mondiale), la Russie n'est absolument pas la 6e ou 7e économie mondiale : elle est 11e, derrière le Brésil, l'Italie et le Canada, avec un PIB nominal de 1829,05 mil... Lire la suite
Olivier Z (06-03-2022 20:31:24)
Avant dernière phrase: supposée menace russe ? Et oui soyons realiste: les dictateurs menancent vraiment la paix en Europe. Et Poutine est bien un anti démocrate. Ne soyons pas naif: il hait la dé... Lire la suite
vasionensis (06-03-2019 19:43:15)
Si Jdanov confirme Churchill, il faut aussi constater - que la création de la RFA précède celle de la RDA, consacrant la division de l'Allemagne, - que celle de l'OTAN précède de loin celle du ... Lire la suite