8 mai 1945

Répression sanglante à Sétif

Le 8 mai 1945, le jour même de la victoire alliée sur le nazisme, de violentes émeutes éclatent à Sétif, en Algérie. C'est un lointain prélude à la guerre d'indépendance.

Les manifestants sont des Algériens de confession musulmane, dont certains se sont battus en Italie, dans les troupes françaises qui ont contribué à abattre le fascisme. Ils souhaitent profiter de la victoire des forces alliées pour obtenir l'indépendance. Impensable pour la classe politique française, droite et gauche confondues, qui ne conçoit pas de se défaire de ses trois départements d'Algérie !...

André Larané
Origines du drame

Le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d'Alger a publié en signe d'ouverture une ordonnance qui permet aux musulmans qui le souhaitent d'obtenir la citoyenneté française pleine et entière. Seulement 70 000 vont la demander et l'obtenir, renonçant de la sorte à  « rester soumis aux règles du droit musulman et des coutumes berbères en matière de statut personnel » (l'Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d'un million de citoyens d'origine européenne ou israélite).

Messali Hadj (Tlemcen, 16 mai 1898 ; Gouvieux, Oise, 3 juin 1974)Mécontents de ce geste qu'ils jugent très insuffisant, le PPA (Parti Populaire Algérien) de Messali Hadj et l'UDMA de Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance de l'Algérie. Ferhat Abbas fonde dès mars 1944 une vitrine légale : les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).

L'année suivante, les deux grands leaders algériens, Messali Hadj et Ferhat Abbas, se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'Algérie indépendante. Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et déporté dans le sud du pays puis au Gabon. Cette riposte des autorités françaises sème la consternation chez les musulmans.

Le 1er mai, une manifestation du PPA clandestin réunit 20 000 personnes à Alger, dans la rue d'Isly. Pour la première fois est arboré en public le drapeau des indépendantistes. La manifestation se solde par 11 morts, des arrestations, des tortures... et un afflux d'adhésions au PPA !

Fatal drapeau

Le matin du 8 mai, jour de la capitulation de l'Allemagne nazie, une manifestation se reproduit à Sétif aux cris de « Istiqlal , libérez Messali ». Les militants du PPA ont reçu la consigne de ne pas porter d'armes ni d'arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n'en tient pas compte et brandit le drapeau au coeur des quartiers européens. La police se précipite.

Manifestation à Sétif (8 mai 1945)Le maire socialiste de la ville, un Européen, supplie les policiers de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout.

La foule, évaluée à 8 000 personnes se déchaîne et 27 Européens sont tués dans d'atroces conditions. De nature apparemment spontanée, l'insurrection s'étend à des villes voisines du Constantinois : Guelma, Batna, Biskra et Kherrata.

Des renforts arrivent aussitôt de Philippeville et Constantine. Au total 3.700 hommes, y compris des tirailleurs indigènes, sont déployés dans la région de Sétif.

Dès le 9 mai, à Guelma, le sous-préfet André Achiary prend la décision imprudente de créer une milice avec les Européens et de l'associer à la répression menée par les forces régulières. Cette répression est d'une extrême brutalité. « Certains des miliciens se sont vantés d'avoir fait des hécatombes comme à l'ouverture de la chasse. L'un d'eux aurait tué à lui seul quatre-vingt-trois merles... », notera plus tard le commissaire Berger, dans son rapport sur les événements (note).

L'aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées. Officiellement, le drame aura fait un total de 103 morts chez les Européens, y compris les soldats et... les tirailleurs, dont certains horriblement mutilés, ainsi qu'environ 1 500 morts parmi les musulmans. La réalité est plus proche de 2 500 à 6 000 (le gouvernement algérien actuel avance le chiffre de 45 000 victimes mais la propagande n'est pas loin). Après la bataille, les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations (note).

Lucide malgré tout, le général Duval, responsable de la répression, aurait déclaré le 9 août 1945 dans un rapport aux Français d'Algérie : « Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable » (note).

Témoin

Parmi les témoins et acteurs du drame se trouve un élève du lycée de Sétif. Il a nom Kateb Yacine, il a 16 ans et sera le plus grand poète et écrivain algérien de sa génération...
Kateb Yacine participe aux manifestations, ce qui lui vaut d'être arrêté trois jours plus tard et détenu durant deux mois. Exclu du lycée, il se plonge corps et âme dans la poésie désespérée de Baudelaire et Lautréamont puis se rend à Paris et milite dans le PPA puis le parti communiste algérien. Il mourra à Grenoble en 1989.

Une opinion indifférente

Le drame de Sétif et Guelma passe inaperçu de l'opinion métropolitaine. Celle-ci a la tête ailleurs du fait de la censure et surtout des événements qui se déroulent le même jour à Berlin (capitulation de l'Allemagne).

Les communistes, qui participent avec Maurice Thorez au gouvernement provisoire du général de Gaulle, assurent dans le quotidien L'Humanité que les émeutiers musulmans seraient des sympathisants de Hitler et des nazis ! Ils diffusent en Algérie le 12 mai un tract appelant à « passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute » (note).

Le général de Gaulle, dont le gouvernement n'a donné aucune directive à ses représentants sur place, consacre en tout et pour tout une ligne au drame dans ses volumineuses Mémoires de guerre en trois tomes.

Exception remarquable : Albert Camus, jeune directeur de Combat, en Algérie du 18 avril au 7 mai 1945, adjure le 15 mai la presse française de « refuser les appels inconsidérés à une répression aveugle » et dénonce le « sauvage massacre » du Constantinois, qui enténèbre les fêtes de la victoire (d'après le témoignage du journaliste Jean Daniel (Le Nouvel Observateur, jeudi 18 mai 2005)).

Les émeutes de Sétif consacrent la rupture définitive entre les musulmans et les colons d'Algérie et annoncent la guerre d'indépendance.

Réformes trop tardives

Il faut attendre 1947 pour qu'un statut soit accordé à l'Algérie. Celle-ci devient « un groupe de départements dotés de la personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière ».

Cédant aux injonctions des grands propriétaires pieds-noirs, le gouvernement français institue une Assemblée algérienne avec un double collège qui reproduit la division de la société :
• Le premier collège représente les 950 000 Français du pays et quelque 45 000 musulmans. Les Français sont les colons originaires de la métropole et de différents pays de l'Europe méditerranéenne ainsi que les israélites algériens naturalisés par le décret Crémieux.
• Le second collège, de même poids politique, représente les 8,5 millions d'autres musulmans, dont le taux de natalité très élevé conduit à penser qu'ils occuperont une place de plus en plus grande dans leur pays.

Comme si ces distorsions ne suffisaient pas, le travail de l'Assemblée algérienne est compromis dès le départ par le trucage du scrutin. Le responsable en est le gouverneur général Marcel-Edmond Naegelen, socialiste et grand résistant... Autant d'injustices flagrantes qui portent en germe le conflit futur.

Publié ou mis à jour le : 2023-08-25 10:11:27
khaled (30-04-2017 18:01:23)

Les quelques "témoignages" dans certains commentaires donnant des détails de terreur et d'horreur relèvent plus du présent avec les atrocités vues en vidéo ou rapportées par les Media que de la réalité de 1945.
Plus sérieusement, 2 remarques me semblent importantes.
1 - L'article signale qu'après les "évènements" du 8 Mai 1945 la justice était passé et "Après la bataille, les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations (*)."
Toutes les ordonnances ont porté sur des Musulmans alors que, rapporte l'article "« Certains des miliciens se sont vantés d'avoir fait des hécatombes comme à l'ouverture de la chasse. L'un d'eux aurait tué à lui seul quatre-vingt-trois merles... », notera plus tard le commissaire Berger, dans son rapport sur les événements (*)."
2 - L'article signale " Officiellement, le drame aura fait un total de 103 morts chez les Européens, y compris les soldats et... les tirailleurs"
Tout de même bizarre que soient compris dans ce nombre les...Tirailleurs qui eux n'étaient ni Européens, ni même français à part entière, mais des français Musulmans.
ET comment, si ce nombre était exact, la France et surtout les pieds noirs auraient laissé passé sous silence de telles pertes dues à des ....indigènes.
Peut être qu'il n'est pas encore venu le temps de parler ou d'écrire sur le sujet avec le calme et la sérénité indispensables.

Mazers (08-05-2015 14:57:52)

ERRATUM : pour exprimer plus exactement mon appréciation sur cet article, il y a lieu d'ajouter au début de mon commentaire, les mots suivants "en raison de cette lacune", soit : cet article est insuffisant dans l'exposé des faits et en raison de cette lacune ne fait pas preuve etc.. Sorry.

Mazers (08-05-2015 01:52:43)

Cet article est insuffisant dans son exposé des faits et ne fait pas preuve d'objectivité, on croirait lire Le Monde et ce n'est pas un compliment. L'attitude du PCF, les termes cités sont exacts, n'est pas étonnante lorqu'on sait qu'une des premières victimes, un instituteur responsable local de ce parti a eu les mains sciés, vivant, par les musulmans en djihad. Il faudrait dire aussi que les musulmans qui voulaient protéger les français, étaient aussi massacrės. Il n'y a eu que 70000 algériens devenus français de statut coranique, parce que seuls 70000 l'ont demandé, avant-guerre une offre de naturalisation similaire n'avait eu que 16000 candidats, d'où la création du statut coranique qui maintenait des dispositions civiles du droit local sur l'état des personnes, dans l'espoir d'être plus attractif. (mon épouse, alors gamine, habitait à Sétif le 8 mai 1945 ).

engel (15-11-2013 00:36:44)

complément d'information. les sirènes annonçant la fin du conflit, ont sonné après la sortie des classes le 7 mai 45.
Les bals aux coins des rues, ont été vite interrompus par l'attitude hostile des Algériens Déçus. Le lendemain après la fusillade de la manifestation algérienne, il y a eu plusieurs meurtres à Sétif. les musulmans ont égorgé et mis les organes génitaux dans la bouche de leurs vidctimes. d'autres attentats ont étés perpétrés en dehors de la Ville. La répression démesurée à suivie.

engel (12-11-2013 19:38:08)

Bonjour,
des précisions sur la fin de la guerre 39/45 en Algérie, particulièrement 0 Sétif.
la fin de la guerre a été annoncée par les cloches après la sortie des classes le sept Mai 45. Muni d'un bon de charbon je faisais la chaîne quand la sonnerie a retenti.
Le soir les habitants voulaient fêter la victoire en dansant au coin des rues. cette Fête s'est interrompue rapidement, les français de religion musulmane encadraient les danseurs et manifestaient leur hostilité.
Le lendemain , le meurtre d'un jeune manifestant Algérien a précipité la révolte prévue pour l’Après-midi et a entrainé la mort par égorgement et émasculation de plusieurs français.
la répression a été démesurée et a laissé de tristes souvenirs.
Voilà les vécus sur place.

legne (12-11-2013 19:23:12)

Bonjour
une précision, la fin de la guerre 1945 a été signalé pas des sons de cloche, vers 17 heures le 7 mai en Algérie. J'étais à Sétif, après la sortie des classes , au bout d'une file d'attente pour avoir une ration de Charbon et les cloches ont retentis.
Le soir nous nous sommes réunis au coin des rues pour fêter la victoire en dansant.la foule autochtone nous encerclait et ne participait pas à la fête. Par peur tout c'est arrêté. vous décrivez l'histoire du lendemain, la mort du jeune manifestant a précipité la révolte , des crimes atroces ont été commis , égorgement , émasculation et mise des organes en bouche. Il est dit que ce soulèvement était prévu pour l’après midi quand la foule heureuse se serait retrouvée dans le stade.
La répression a été démesurée
Voilà les faits et leur chronologie

Paule Bruneau (27-09-2010 07:57:53)

Je viens d'aller voir "Hors la loi" et compte y emmener mes élèves, merci de parler de Sétif, trop longtemps oublié des manuels d'histoire.

don jacques (25-05-2010 03:14:14)

Avant l'invasion musulmane le Maghreb est longtemps resté chrétien, avec de nombreux évêchés. Puis les musulmans, profitant de la déstabilisation par les Vandales, ont colonisé cette région: ce sont eux aussi des "colons". Par ailleurs tout le monde sait ou devrait savoir que l'"invasion" française en 1830 avait pour objet de mettre fin aux exactions des pirates en Méditerranée(notamment capture d'esclaves). (auparavant la marine américaine avait déjà bombardé Alger). Cette "conquête" a créé de toutes pièces un pays qui n'existait pas jusqu'alors: l'Algérie. On peut trouver sur le site Gallica de la BNF des ouvrages relatant les souffrances et outrages subis par les esclaves européens capturés en Méditerranée et emmenés au Maghreb en captivité, vendus notamment sur les marchés du Maroc. C'est fort intructif et relativise beaucoup les demandes insistantes de "repentance"…

Paule Bruneau (24-05-2010 11:38:42)

Merci de publier cet évènement, cela fait des années que j'en parle à mes élèves !

david burot (07-07-2007 18:12:56)

n'oubliez pas que la principale revendication des algériens était d'obtenir simplement les mêmes droits que les Français d'Algérie... comme d'habitude, les autorités"compétentes" de France métropolitaine ont interprété cette demande avec la lucidité légendaire qui caractérise le haut fonctionariat de notre belle démocratie... Soyez donc gentils, laissez les israélites en-dehors de ce trés intéressant compte-rendu...

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