Le 30 janvier 1945, le Wilhelm Gustloff est torpillé dans la mer Baltique par un sous-marin soviétique. 7 000 à 9 000 passagers périssent, essentiellement des civils allemands fuyant l'avance de l'Armée rouge. Il s'agit de l'une des plus grandes catastrophes maritimes de tous les temps, sinon la plus grande par le nombre estimé de victimes...
Les premiers naufrages très meurtriers remontent au XXe siècle, avec l'apparition de navires géants et les guerres mondiales. À quasi-égalité avec le Wilhelm Gustloff se situe le paquebot Lancastria, lui aussi victime de la guerre, au large de Saint-Nazaire, le 17 juin 1940 (environ 5200 victimes).
Le Titanic, qui sombre au large de Terre-Neuve, le 14 avril 1912, fait pâle figure avec « seulement » 1502 victimes. Deux ans après le Titanic, l'actualité est secouée par le naufrage d'un autre paquebot, l'Empress of Ireland, dans l'estuaire du Saint-Laurent (1012 victimes).
Pendant la Grande Guerre, voici qu'est torpillé le Lusitania, un paquebot mixte britannique qui transportait des passagers mais aussi des munitions à destination de l'Angleterre. Il sombre en dix-huit minutes seulement. À bord, c'est le sauve-qui-peut général et la ruée des hommes vers les chaloupes sans égard pour les femmes et les enfants. On dénombre 1198 victimes.
Plus près de nous, les drames majeurs se rapportent aux traversiers des pays pauvres, tel le Joola qui fait la navette entre Dakar et la Casamance (Sénégal) et sombre le 26 septembre 2002 (près de 2000 victimes).
Un baptême nazi
En Suisse, un Allemand dénommé Wilhelm Gustloff avait été porté à la tête du parti nazi local. Son zèle antisémite était particulièrement vif. Aussi un jeune activiste juif, David Frankfurter, l'assassina-t-il à Davos en 1936. Hitler décida de baptiser de son nom un paquebot en cours de finition.
Le Wilhelm Gustloff fut lancé à Hambourg le 5 mai 1937 en présence de la veuve du « héros » et du chancelier Hitler.
Il s'agit d'un vaisseau de croisière de grandes dimensions : 208 mètres sur 24, conçu pour transporter un total de 1865 personnes. Il n'a pas de classe de luxe contrairement aux usages du temps.
Le navire, qui fait la fierté de l'Allemagne nazie, accomplit quelques croisières à la fin des années 30. Après la déclaration de guerre de 1939, il est transformé en navire-hôpital et sert à rapatrier des blessés de la campagne de Norvège en 1940. Puis il est mis à quai dans le port de Gothenhafen (Prusse orientale), où on l'utilise dès lors comme caserne flottante.
Nuit sans lune
Au tournant de l'année 1945, rares sont ceux qui nourrissent encore des illusions sur l'issue de la guerre. En Allemagne orientale, une multitude de réfugiés civils et militaires fuit l'avance des armées soviétiques. Beaucoup ont pris place à bord du Wilhelm Gustloff, lequel lève l'ancre du port de Gotenhafen au matin du 30 janvier 1945. Leur espoir est d'atteindre Hambourg, qui est encore libre de toute occupation.
La liste officielle fait état de 6 050 personnes à bord : membres d'équipage, soldats et réfugiés. Dans les faits, ce nombre est très supérieur. Il dépasse les 8 000 personnes et de récentes recherches (Heinz Schon) avancent le chiffre de 10 050 personnes !
Dès la première nuit, des sous-marins russes sont signalés. Trois d'entre eux sont repérés et considérés comme sans risque. Un quatrième, le S13, est resté en rade à Turku (Finlande) sans rejoindre son escadre. Son commandant Alexandre Marinesko (32 ans) passe pour difficile à contrôler, porté sur la vodka et les femmes. Après quelques jours de patrouille, il câble à Léningrad : « Nous avons sillonné les eaux près de la tanière fasciste, mais aucun de ces chiens n'a osé se montrer ».
Il ne sait pas encore qu'un concours de circonstances malheureux va lui offrir la « chance » de sa vie !
Sur le Wilhelm Gustloff, ce 30 janvier au soir, un matelot fait irruption sur la passerelle avec un message radio. Une formation de dragueurs de mines fait route vers le paquebot. Le commandant du paquebot ordonne d'allumer les feux de position pour éviter une collision - en réalité les obstacles signalés n'existent pas.
Mais par malheur, le sous-marin S13 se trouve alors en patrouille de surface à quelques miles de là, le long de la côte basse de Poméranie antérieure. Son officier de quart repère le navire à ses feux de position et signale aussitôt cette proie inespérée.
Alexandre Marinesko tient sa victime et fait armer quatre torpilles dénommées « Pour la mère-patrie », « Pour Staline », « Pour le peuple soviétique » et « pour Léningrad ». Tirées à 700 mètres sur une cible aussi massive, elles n'offrent guère d'échappatoire et le navire dépourvu de blindage est aussitôt transpercé. Au moins deux des torpilles atteignent la salle des machines.
En moins d'une heure, l'orgueilleux paquebot est coulé. La panique devient générale, les canots de sauvetage pris d'assaut sont couverts de glace par une température de -15°C.
Les matelots, pistolet au poing, réservent l'accès des échelles de coupée aux femmes et aux enfants. Mais, selon le témoignage d'Ursula Resas, des femmes prises de panique n'hésitent pas à abandonner leurs propres enfants pour s'échapper plus vite.
Le mécanicien Johann Smrczek rejoint le pont supérieur aménagé pour les blessés du front oriental. « C'est là que j'ai pris conscience du drame qui se déroulait en bas. À travers les vitres blindées, je ne pouvais les entendre crier. Mais les gens étaient serrés comme des sardines et le pont inférieur était déjà à moitié couvert d'eau. Et j'ai vu des éclairs, des coups de feu. Les officiers tuaient leur propre famille ».
996 rescapés sont recueillis par des navires accourus à la rescousse. Cette catastrophe d'une ampleur inégalée est restée quasi-ignorée depuis, enfouie au milieu de tant d'autres drames vécus par les réfugiés allemands d'Europe centrale et orientale à cette époque. En outre, l'extermination des Juifs, rendue publique à la même époque, n'a cessé de rendre dérisoire par comparaison toute référence aux souffrances des Allemands, y compris dans leur propre pays.
Le naufrage du Wilhelm Gustloff a permis à Alexandre Marinesko de devenir le commandant soviétique de sous-marins avec le plus important tonnage de navires coulés à son actif...
Le romancier Günther Grass (prix Nobel de littérature 1999) évoque le naufrage du Wilhelm Gustloff dans un ouvrage paru en 2002 sous le titre Im Krebsgang (Steidl Verlag, Gengen 2002). Il a été publié en français par le Seuil en octobre 2002 sous le titre En crabe.
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Voir les 12 commentaires sur cet article
Orsoni (31-01-2024 17:07:50)
Depuis Nankin dit on, les guerres sont totale puisque les civile y participent activement comme victime mais aussi comme boureaux en construisant les armes Les civils comme les soldats pas plus pas m... Lire la suite
djambo (31-01-2024 14:10:57)
Le livre de Ghunter Grass evoque les centaines de bébés morts flottants sur les flots pieds en l'air apres le torpillage de ce bateau.
Terrible !
Xav520 (14-04-2022 11:53:21)
Une des (trop) nombreuses tragédies du 20ème siècle... Ce qui est surtout intéressant est son utilisation (je n'ai pas dit manipulation) historiographique par les uns et les autres aujourd'hui.... Lire la suite