Le 27 janvier 1945, tout en repoussant devant elles la Wehrmacht, les troupes soviétiques découvrent le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, à l'ouest de Cracovie (Pologne), aujourd'hui le plus emblématique des camps nazis. Accueillies par 7000 détenus survivants, elles ont la révélation de la Shoah.
Camp de concentration classique devenu plus tard camp de travail forcé puis camp d'extermination immédiate, destination principale des juifs de France, Auschwitz a pris une place centrale dans l'histoire de la Shoah, au point de fausser la vision que l'on peut en avoir.
Il a fait oublier que la majorité des cinq à six millions de victime juives ont été exterminées par d'autres moyens que le gaz (famine, mauvais traitements et surtout fusillades de masse).
C'est en novembre 2005 que l’Assemblée générale de l’ONU a décidé que « les Nations Unies proclameront tous les ans le 27 janvier Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste ». Jusque-là, le choix de la journée du souvenir était laissé à l'initiative de chaque État.
Le choix du 27 janvier ne coulait pas de source. D'une part parce que la libération du camp par les Soviétiques a été fortuite et que Moscou a dans un premier temps occulté la judéité des victimes. D'autre part parce que le génocide ne s'est pas arrêté, loin de là, à cette date. À Auschwitz même, dix jours auparavant, quelques dizaines de milliers de survivants ont été jetés sur les chemins par les SS dans un froid polaire. Leur « marche de la mort » les a conduits jusqu'au centre de l'Allemagne, à Buchenwald, où les plus chanceux ont été délivrés par les Américains le 11 avril 1945...
Un camp de concentration devenu camp d'extermination
Auschwitz (Oświęcim en polonais) se situe dans le gau de Haute-Silésie, dans le « Nouveau Reich », autrement dit dans une région polonaise annexée à l'Allemagne et non pas dans le « Gouvernement Général de Pologne » destiné à recevoir les Juifs et autres Polonais. C'est une petite ville au confluent de la Sola et de la Vistule.
Le camp est aménagé le 30 avril 1940 dans une ancienne caserne pour incarcérer les résistants polonais, sur les bords de la Sola. Son commandement en revient à Rudolf Höss, officier SS de 39 ans. Il a fait ses classes à Dachau, dans la banlieue de Munich, un camp ouvert dès 1933 pour recevoir les opposants politiques, selon des modalités qui, à l'époque, ne paraissaient pas spécialement horrifiques (les premiers camps n'avaient-ils pas été créés par les Anglais à l'occasion de la guerre des Boers ?).
C'est cependant à Dachau qu'est instauré le système des « kapos », des détenus de droit commun sélectionnés pour leur brutalité et chargés de surveiller les autres prisonniers et de les faire travailler. S'ils ne se montrent pas assez efficaces et donc brutaux, les SS qui dirigent le camp les déchoient de leur statut et les renvoient parmi les détenus ordinaires, ce qui équivaut pour eux à une mise à mort généralement horrible dans la nuit qui suit.
À Dachau, Höss découvre l'effet palliatif du travail sur les détenus. Fort de cette expérience, il va reproduire au-dessus de la grille d'entrée d'Auschwitz la devise cynique de Dachau : Arbeit macht frei (« Le travail rend libre »).
En attendant, il accueille trente criminels allemands destinés à devenir des kapos. Les premiers détenus politiques, des Polonais, arrivent le 14 juin 1940. Ils doivent construire les baraquements dans lesquels ils seront amenés à s'héberger.
Auschwitz et le travail forcé
En septembre 1940, Oswald Pohl, chef de l'Office économique et administratif central SS, visite le camp d'Auschwitz. Il observe qu'il est situé en Haute-Silésie au coeur d'une région très industrialisée.Il a l'idée de louer les détenus aux industriels qui exploitent les usines et les carrières voisines. Il s'agit, dans son esprit comme dans celui de Himmler, que la SS, chargée de l'administration des camps, « entre dans les affaires » ! On en viendra ainsi à compter une trentaine de camps de concentration autour d'Auschwitz, dans ce que les nazis appellent « la zone d'intérêt ».
Pour l'heure, en 1940, à Auschwitz comme dans les autres camps de concentration, les détenus peuvent encore avoir l'espoir d'être relâchés suivant le bon vouloir du régime. Il n'empêche que les conditions de détention sont très rudes.
À la fin de l'année est construit à Auschwitz le Bloc 13, plus tard rebaptisé Bloc 11 : ce bâtiment de briques rouges semblable aux autres est voué à la torture des détenus récalcitrants ou malchanceux.
Pour réprimer les tentatives d'évasion, Höss procède de manière brutale : chaque évasion donne lieu à la sélection d'une dizaine de détenus dans le bloc de l'évadé et les malheureux sont enfermés dans le Bloc 11 pour y mourir de faim.
Parmi eux le prêtre polonais Maximilien Kolbe qui s'est porté volontaire à la place d'un père de famille ; assassiné le 14 août 1941 d'une piqure de phénol après avoir vu mourir de faim ses compagnons de misère, il sera canonisé en 1982.
Le 1er mars 1941, Himmler en personne visite le site d'Auschwitz et annonce un triplement prochain de sa capacité, de 10 000 à 30 000 détenus.
À l'été 1941, la Wehrmacht envahit l'URSS et son avance fulgurante lui vaut de capturer un très grand nombre de Soviétiques, combattants, commissaires politiques ou autres.
Le 25 septembre 1941, le Haut commandement de l'armée de terre allemande (OKW) décide donc de transférer au Reichsführer SS (Himmler) 100 000 prisonniers de guerre soviétiques. Le lendemain est prise la décision de construire à Brzezinka (Birkenau), sur un terrain marécageux de 170 hectares, à trois kilomètres au nord-ouest d'Auschwitz, un gigantesque camp destiné à les accueillir. Ce sera Auschwitz II.
Un contingent de dix mille prisonniers arrive aussitôt et se voit assigné la construction des baraquements dans des conditions de vie épouvantables, au point qu'il ne reste que quelques centaines de survivants au bout de quelques semaines.
Ces prisonniers sont les premiers à avoir le matricule tatoué sur la poitrine puis sur le bras au lieu de le porter sur une plaque accrochée au cou. Ce tatouage, seule identité officielle des détenus, va demeurer une spécificité d'Auschwitz.
En dépit de sa forte mortalité, le camp attire l'attention du conglomérat chimique I.G. Farben. Il décide de construire une gigantesque usine de caoutchouc de synthèse à Monowitz, un faubourg d’Auschwitz. À proximité immédiate, à Buna, est ouvert en 1942 un nouveau camp connu sous le nom d’Auschwitz III.
Auschwitz au bout de l'horreur
Dans les premiers temps, les détenus malades ou inaptes au travail étaient, comme dans les autres camps d'extermination, « euthanasiés » au monoxyde de carbone par les gaz d'échappement d'un camion, dans les bois jouxtant le camp, selon une méthode déjà employée contre les handicapés mentaux. Leurs cadavres étaient ensuite jetés dans des fosses communes.
En août ou septembre 1941, Fritzsch, adjoint de Höss, a assisté à une opération de désinsectisation près du camp, avec des cristaux d'acide prussique ou cyanhydrique (cyanure) dénommés Zyklon (« cyclone ») Blausaüre (« bleu de Prusse »). Il s'agit de cristaux verts qui se gazéifient spontanément au contact de l'air !
Il suggère d'utiliser ce même Zyklon B contre les « indésirables », à commencer par les malades, les inaptes au travail et les commissaires soviétiques). Des essais sont entrepris dans le Bloc 11, que Fritzsch et Höss jugent concluants.
Vers la fin du mois de mai 1942, dans les bois jouxtant l’emplacement du camp de Birkenau, une première ferme (la maison rouge) est convertie en « bunker » destiné à des opérations de gazage. Un deuxième « bunker » de ce type est aménagé quelques semaines plus tard. Ces deux lieux improvisés sont utilisés pour l’assassinat des Juifs en attendant la mise en route des quatre grands crématoires-chambres à gaz de Birkenau.
À l'automne 1942, Höss décide de généraliser la méthode et fait construire pour cela quatre chambres à gaz capables de contenir chacune 2 000 victimes. Elles sont équipées de douches factices destinées à donner le change aux victimes, sommées de se déshabiller et d'entrer dans ces chambres en vue d'une « désinfection » en prévention du typhus !
Un industriel lui fournit par ailleurs autant de fours crématoires. Ces quatre crématoires, érigés au-dessus des chambres à gaz, ont été à vrai dire programmés à la fin du printemps 42 parce qu'une épidémie de typhus très sévère touchait alors le camp principal. Il importait d'éliminer les corps pour éviter sa propagation tant auprès des détenus que des gardiens.
Les crématoires entrent en fonction dans la nuit du 13 au 14 mars 1943 avec 1492 Juifs en provenance de Cracovie. La combustion de leur corps prendra deux jours. L'épidémie de typhus ayant été à cette date jugulée, le complexe d'Auschwitz se retrouve surdimensionné avec des équipements (chambres à gaz et crématoires) prévus pour plus de cent mille déportés.
Alors se fait jour chez Himmler et ses sbires l’idée de l'affecter à l'extermination des Juifs, plus particulièrement des Juifs français et occidentaux. Les Juifs soviétiques ont déjà en exterminés par la « Shoah par balles » en 1941 et les Juifs polonais ont péri dans les quatre camps de l'Opération Reinhard en 1942.
Sous la férule de Rudolf Höss, expert en management, Auschwitz-Birkenau passe ainsi à une phase industrielle.
À leur arrivée dans des wagons à bestiaux, les déportés font l'objet d'une sélection sur la « rampe juive », située entre le camp principal et Auschwitz-Birkenau : les enfants et les moins valides sont immédiatement gazés et leurs cadavres brûlés ; les autres sont envoyés aux travaux forcés dans les chantiers ou les usines du complexe, après avoir été tatoués.
Les biens enlevés aux déportés à leur arrivée font l'objet d'un tri scrupuleux dans les zones de tri connues sous le nom de « Canada ». Dents en or et cheveux sont aussi enlevés aux cadavres avant leur crémation. Ces misérables richesses nourrissent un réseau de trafics au sein du camp dans lequel sont impliqués la plupart des trois mille SS du camp.
Ces malversations allaient être mises à jour à l'automne 1943, suite à l'arrivée au camp de l'Obersturmführer SS (lieutenant) Konrad Morgen. Cette corruption scandalise au plus haut point le Reichsführer Himmler, qui ne voit pas d'inconvénient à ce que ses SS multiplient les crimes mais n'admet pas qu'ils salissent leur « honneur » de cette façon. Plus fort encore, Morgen met à jour des frasques sexuelles qui auraient même impliqué le commandant du camp, lequel n'a pourtant rien d'un joyeux luron.
Sans doute ces enquêtes restées discrètes furent-elles à l'origine de la décision d'Himmler d'écarter Höss de la direction du camp à l'automne 1943. Rudolf Höss sera envoyé à Oranienburg, dans la banlieue de Berlin, avec une promotion et la mission de superviser l'ensemble des camps.
Il sera rappelé en catastrophe à Auschwitz-Birkenau, le 8 mai 1944, où ses redoutables compétences seront requises pour organiser l'extermination de 400 000 Juifs de Hongrie, ces malheureux étant gazés et brûlés au rythme de 6 000 par jour.
L'indicible vérité
Auschwitz apparaît comme le seul camp où l'extermination a été pratiquée de façon industrielle, ce qui n'était pas sa vocation initiale mais l'est devenue sous la pression des circonstances et du fait de l'esprit d'initiative de son commandant. Un médecin diabolique, Josef Mengele, s'y est rendu par ailleurs célèbre en pratiquant des expériences insoutenables sur les déportés, et en particulier les jumeaux, à des fins scientifiques.
Environ un million cent mille Juifs sont ainsi morts à Auschwitz-Birkenau, auxquels s'ajoutent environ 300 000 non-Juifs.
Les journaux du lendemain de la libération du camp par les Soviétiques sont restés néanmoins muets sur cet événement et les services de propagande soviétiques ont présenté les pitoyables survivants du camp comme des victimes du fascisme sans faire allusion à leur judéité. L'opinion publique mondiale n'a pris la mesure de la tragédie que bien après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
À la suite des procès de Nuremberg, Rudolf Höss, le metteur en scène d'Auschwitz-Birkenau, a été jugé à Nuremberg, transféré en Pologne et pendu sur les lieux de ses forfaits sans un instant émettre un quelconque regret.
Oświęcim est aujourd'hui une ville polonaise presque ordinaire de 40 000 habitants.
« Cessez enfin de répéter qu'Auschwitz ne s'explique pas, qu'Auschwitz est le fruit de forces irrationnelles, inconcevables pour la raison, parce que le mal a toujours une explication rationnelle. Écoutez-moi bien, ce qui est réellement irrationnel et qui n'a pas vraiment d'explication, ce n'est pas le mal, au contraire : c'est le bien. »
Imre Kertész, écrivain hongrois, déporté à Auschwitz en 1944, prix Nobel de Littérature 2002, Kaddis a meg nem született gyermekért (Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas)
Bibliographie
Dans la vaste bibliographie qui se rapporte à la Shoah, je recommande tout particulièrement le livre remarquable de l'historien britannique Laurence Rees : Auschwitz, les nazis et la "Solution finale" (Albin Michel, 2005) qui m'a beaucoup servi pour cet exposé. À lire aussi les mémoires imaginaires de Rudolf Höss, le commandant du camp, par le romancier Robert Merle : La mort est mon métier (1952).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Pierre Brivot (31-01-2018 12:28:54)
Oui, et on a ‘pardonné’ ! Je réside dans une enclave allemande située dans le Lot : domaine de Gayfié, 46260 Saint-Jean-de-Laur. En hiver nous ne sommes que quatre maisons française ; dès le... Lire la suite
Michel Edmond (30-01-2015 10:41:29)
au cours d'un voyage en Pologne, j'ai visité Auschwitz. La guide polonaise était très bien. Tout le groupe était plus qu'ému et je n'ai pas vu de conduite indécente d'autres visiteurs. J'ai étÃ... Lire la suite
Michel Pesneau (27-01-2015 12:36:45)
Le judaïsme n'est pas une race mais une religion : l'antisémitisme et la racisme sont deux choses différentes (aussi exécrables l'une que l'autre)même si les nazis prétendaient identifier les ca... Lire la suite
Adelya22 (27-01-2015 11:33:02)
J'ai vu Auschwitz en 1997. Ce fut une journée terrible pour moi mais aussi formidable de voir tous ces gens juifs ou non qui venaient se recueillir dans ce lieu de mémoire. J'ai souvenir de notre gu... Lire la suite
Epicure (27-01-2015 02:09:35)
Notez que les Juifs, hommes et femme, de cette photo, faite par un officier nazi sur la Rampe, sont aussi "Germaniques" de "Race" sic- que le soldat qui les examine........ L'antisémitisme nazi n'Ã... Lire la suite