22 juin 1944

L'offensive Bagration brise la Wehrmacht

Trois ans jour pour jour après l’opération allemande Barbarossa, Staline tient sa revanche. Tandis que les Alliés sont en Normandie, il défait la Wehrmacht en Biélorussie.

Cette offensive soviétique, baptisée Bagration, dure jusqu’au 29 août 1944 et incarne le tournant de la guerre. Elle pulvérise en deux mois les derniers points d’ancrage de la Wehrmacht sur le front de l’Est. C'est, après Stalingrad et Koursk, l'une des plus importantes victoires de l'URSS. 

Elle est pourtant encore oubliée car on lui préfère le débarquement de Normandie, qu’elle a considérablement aidé. Coup de projecteur sur la dernière grande bataille de la Seconde Guerre mondiale...

Charlotte Chaulin

Soldats soviétiques à Polotsk (Biélorussie) le 4 juillet 1944. L'affiche de propagande célèbre la reconquête de la ville.

Les Alliés élaborent une stratégie d’encerclement

Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois à Téhéran en novembre 1943, Staline, Roosevelt et Churchill se mettent d’accord sur la nécessité de prendre en étau l’Allemagne.

Roosevelt et Churchill proposent un débarquement en Europe de l’Ouest mais, pour ce faire, ils ont besoin que Staline attaque de son côté par l’Est.

Évidemment, les intérêts de chacun entrent en jeu. Staline craint que les Alliés ne signent une paix séparée avec l'Allemagne, dès lors qu'elle aurait écarté le Führer, tandis que les Alliés veulent arriver le plus vite possible à Berlin pour éviter une percée soviétique à travers l’Europe. C’est dire si l’ambiance est déjà « froide » en 1943.

Hitler pense, lui, que la stratégie de Staline consiste à frapper les fronts périphériques. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le chef de l’Union soviétique en attaquant les Finlandais sur le front de Carélie. Le Führer ne se doute donc à aucun moment que c’est la Biélorussie, front principal menant tout droit vers la Pologne et l'Allemagne, qui va être prise pour cible.

L’Armée Rouge utilise des opérations de diversions (« maskirovka » en russe), faisant aussi croire à l'ennemi qu’elle concentre ses forces en Ukraine. Quant aux Allemands, ils s'accrochent en Biélorussie où se trouve le Groupe d’armées Centre commandé par le maréchal Ernst Busch. Ce sont ces troupes qui avaient défait les Soviétiques lors de l'opération Barbarossa, en 1941.

Pourquoi « Bagration » ?

Portrait de Piotr Ivanovitch Bagration de George Dawe, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.Cette opération tient son nom d’un prince géorgien, Piotr Ivanovitch Bagration (1765-1812), héros des guerres napoléoniennes immortalisé par Tolstoï dans Guerre et Paix et originaire de Géorgie, comme Staline. Il est l'un des généraux les plus distingués de l'Empire russe. Napoléon lui-même vantait ses mérites : « Il n'y a pas de bons généraux russes, à l'exception de Bagration ! ».

En faisant le choix de son nom pour la dernière grande offensive de la guerre, le dirigeant soviétique rappelle ses propres origines géorgiennes et salue aussi la dimension multiethnique de l’Empire russe puis de l’URSS.

L’offensive soviétique

C’est donc un 22 juin qu’est lancée l’opération Bagration en 1944. Staline et la Stavka, l’état-major de l’Armée rouge, élaborent une stratégie de revanche sur Hitler. Supervisée par le maréchal Joukov, l’opération se profile bien car l’URSS dispose d’un avantage militaire considérable sur l’Allemagne nazie : 2,3 millions d’hommes contre 800 000 du côté ennemi, 4000 blindés contre 500, 6 500 avions contre 800 et 24 000 canons contre 8 500.

En face, Busch comprend que la défaite est difficilement évitable mais n’ose pas s’opposer à Hitler qui refuse tout recul de l’armée allemande. L’étau se resserre vite sur les Allemands, encerclés, à Vitebsk et Bobruisk puis à Minsk.

Alors que les Alliés anglo-américains vont mettre deux mois à percer le front normand, les Soviétiques tuent et capturent environ 200 000 Allemands (l’effectif de 25 divisions) en à peine quinze jours ! Fin juillet, 100 000 Allemands de plus sont mis hors de combat.

Carte de l'opération Bagration. Source : secondeguerre.net

Ernst Busch est alors remplacé par Walter Model, surnommé le « pompier d’Hitler », qui parvient à ralentir l’avancée soviétique. Sauf qu’en faisant monter des divisions de Panzer sur le territoire biélorusse, il dégarnit le front Sud et permet à la Stavka de lancer le 13 juillet l’opération Lvov-Sandomir et l'opération Kovel-Lublin quatre jours plus tard.

Le 24 juillet 1944, les Soviétiques occupent Lublin, en Pologne. Le 1er août, Sandomir tombe à son tour. Staline souhaite faire de Lublin le siège du gouvernement polonais pro-soviétique pour la Pologne libérée.

À la mi-août, l’Armée rouge atteint les bords de la Vistule et la Biélorussie est totalement libérée. Notons tout de même que 628 villages de la seule Biélorussie ont subi le sort d’Oradour-sur-Glane au cours des trois années d’occupation. Preuve que la Wehrmacht a accompli avec zèle les ordres de destructions systématiques des populations.

Mais épuisées par ces 600 kilomètres parcourus en si peu de temps, les troupes soviétiques ne parviennent pas à prendre Varsovie... À moins que Staline n'ait choisi de laisser les nazis écraser la résistance polonaise dans la ville, avant d'y faire pénétrer ses troupes et imposer des gouvernants communistes à sa dévotion.

La Wehrmacht reprend donc la capitale polonaise mais cette petite victoire ne changera pas le cours de la guerre et la défaite allemande se rapproche.

Il est difficile d’évoquer l’opération Overlord sans parler de Bagration. Les deux opérations sont concomitantes et représentent, ensemble, un « cauchemar stratégique » pour l’Allemagne qui se retrouve encerclée de deux fronts, à l’Ouest et à l’Est.

Moment décisif de la Seconde Guerre mondiale, l’opération Bagration est aussi « la première passe d’armes de la guerre froide » comme le dit Jean Lopez, auteur de Opération Bagration, La revanche de Staline. Car le but des Alliés n’est pas seulement de vaincre Hitler, il est aussi de préparer la reconfiguration de l’Europe au lendemain de la guerre.

Publié ou mis à jour le : 2019-06-28 08:35:17
Liger (23-06-2021 19:13:06)

Merci de bon article qui rend justice au rôle majeur sur le plan terrestre joué par la Russie dans la défaite de l'Allemagne nazie.
La manipulation des Anglo-Saxons par les généraux allemands après la guerre et la volonté délibérée des États-Unis de minorer le rôle joué par la Russie dans la défaire de l’Allemagne nazie, le tout porté par le quasi-monopole audiovisuel (cinéma et télévision) des États-Unis contribuèrent à installer cette image déformée de l’Histoire : le fait que la propagande soviétique relayée par les partis communistes, les compagnons de route et autres idiots utiles ait fait cent fois pire en matière de désinformation ne doit pas faire oublier cela…

2 remarques.

1 - Qualité de la pensée militaire russe et de sa mise en œuvre

Sans donner dans un cours d'Histoire militaire, il aurait fallu signaler en 1 ou 2 phrases la qualité de la pensée militaire russe - probablement la meilleure du monde à cette époque - laquelle commença dans les années 1930 à concevoir le niveau opératif, intermédiaire entre le stratégique et le tactique, et en fit une application foudroyante lors de l'opération Bagration.
Dans la lignée du renouvellement de l'historiographie de la guerre germano-russe depuis le début du XXIe siècle, il faut continuer de lutter contre l'image fausse et persistante de la horde de moujiks dopée par la propagande stalinienne engloutissant l'adversaire sous un déferlement comparable à celui d'insectes. Encore une fois, la qualité intellectuelle de la doctrine militaire et des dirigeants militaires russes de cette époque reste malheureusement très largement sous-estimée même chez les amateurs d'Histoire et il faut donc encore « insister lourdement » sur ce point.
En fait, entre 1941 et 1944, les Russes passèrent de concepts souvent dépassés ou aberrants à la meilleure doctrine militaire du monde, d’un commandement souvent inexpérimenté ou incompétent à la meilleure direction militaire et de matériels assez souvent dépassés ou mal conçus aux meilleurs blindés (T34, JS, etc.) du monde. Cela rappelle la formidable mutation de l’armée française entre 1914 et 1918 remarquablement exposée par Michel Goya dans « Les vainqueurs » (2018), laquelle est aussi scandaleusement méconnue, y compris en France...

2 - La prise de Varsovie par les Russes

Erreur à corriger vers la fin de l'article : « La Wehrmacht reprend donc la capitale polonaise ».
Non : dans le cadre de l'opération Bagration, les troupes russes arrivèrent fin juillet-début août 1944 à Praga, important faubourg ouvrier de Varsovie situé à l'EST de la Vistule (alors que la plus grande partie de Varsovie, y compris le centre, est à l'OUEST de la Vistule). Cinq à six semaines après le lancement de l'opération Bagration, l'élan des troupes russes était logiquement fortement ralenti (logistique parfois à bout de souffle, fortes pertes en hommes et en matériel, etc.) ; sur ces entrefaites, comme l'expose justement l'article, les Allemands montèrent une énergique contre-attaque qui délogea les Russes de Praga. Il faudrait donc écrire « La Wehrmacht éloigne donc les Russes des abords de la capitale de la Pologne »
[NB : comme « ambassade américaine », « capitale polonaise » est un étasunisme sournois, le premier étant déjà dénoncé par Étiemble dans « Parlez-vous franglais ? » (1964) : il faut dire « l’ambassade des États-Unis », « la capitale de la Pologne », etc.]
De ce fait, il devenait objectivement plus difficile aux Russes de soutenir l'insurrection de la résistance polonaise à Varsovie, laquelle avait commencé le 1er août 1944 ; et surtout, comme l'article le rappelle justement, Staline fit tout pour que cette insurrection non-communiste soit écrasée par les brutes nazies, y compris en refusant de mettre des terrains d'aviation à la disposition des Anglo-étasuniens qui le demandèrent plusieurs fois, ce qui aurait permis d'y envoyer des bombardiers et des avions pouvant larguer des armes aux résistants.
Finalement, Varsovie tomba (parler de libération serait une insulte à la nation polonaise) aux mains des Russes le 17 janvier 1945 : à cette date, il restait quelques dizaines de milliers d'habitants - de survivants, plutôt - sur les 1,5 millions de 1939 : les autres étaient morts, avaient été déportés ou avaient fui…

mambor (30-06-2019 09:33:21)

Merci à Hérodote de maintenir notre mémoire aussi vivante. Je ne m'intéresse vraiment à l'histoire que depuis que je suis en retraite et grâce à vos articles je me replonge dans mes racines. M... Lire la suite

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