Trois ans jour pour jour après l’opération allemande Barbarossa, Staline tient sa revanche. Tandis que les Alliés sont en Normandie, il défait la Wehrmacht en Biélorussie.
Cette offensive soviétique, baptisée Bagration, dure jusqu’au 29 août 1944 et incarne le tournant de la guerre. Elle pulvérise en deux mois les derniers points d’ancrage de la Wehrmacht sur le front de l’Est. C'est, après Stalingrad et Koursk, l'une des plus importantes victoires de l'URSS.
Elle est pourtant encore oubliée car on lui préfère le débarquement de Normandie, qu’elle a considérablement aidé. Coup de projecteur sur la dernière grande bataille de la Seconde Guerre mondiale...
Les Alliés élaborent une stratégie d’encerclement
Lorsqu’ils se rencontrent pour la première fois à Téhéran en novembre 1943, Staline, Roosevelt et Churchill se mettent d’accord sur la nécessité de prendre en étau l’Allemagne.
Roosevelt et Churchill proposent un débarquement en Europe de l’Ouest mais, pour ce faire, ils ont besoin que Staline attaque de son côté par l’Est.
Évidemment, les intérêts de chacun entrent en jeu. Staline craint que les Alliés ne signent une paix séparée avec l'Allemagne, dès lors qu'elle aurait écarté le Führer, tandis que les Alliés veulent arriver le plus vite possible à Berlin pour éviter une percée soviétique à travers l’Europe. C’est dire si l’ambiance est déjà « froide » en 1943.
Hitler pense, lui, que la stratégie de Staline consiste à frapper les fronts périphériques. C'est d'ailleurs ce qu'a fait le chef de l’Union soviétique en attaquant les Finlandais sur le front de Carélie. Le Führer ne se doute donc à aucun moment que c’est la Biélorussie, front principal menant tout droit vers la Pologne et l'Allemagne, qui va être prise pour cible.
L’Armée Rouge utilise des opérations de diversions (« maskirovka » en russe), faisant aussi croire à l'ennemi qu’elle concentre ses forces en Ukraine. Quant aux Allemands, ils s'accrochent en Biélorussie où se trouve le Groupe d’armées Centre commandé par le maréchal Ernst Busch. Ce sont ces troupes qui avaient défait les Soviétiques lors de l'opération Barbarossa, en 1941.
Cette opération tient son nom d’un prince géorgien, Piotr Ivanovitch Bagration (1765-1812), héros des guerres napoléoniennes immortalisé par Tolstoï dans Guerre et Paix et originaire de Géorgie, comme Staline. Il est l'un des généraux les plus distingués de l'Empire russe. Napoléon lui-même vantait ses mérites : « Il n'y a pas de bons généraux russes, à l'exception de Bagration ! ».
En faisant le choix de son nom pour la dernière grande offensive de la guerre, le dirigeant soviétique rappelle ses propres origines géorgiennes et salue aussi la dimension multiethnique de l’Empire russe puis de l’URSS.
L’offensive soviétique
C’est donc un 22 juin qu’est lancée l’opération Bagration en 1944. Staline et la Stavka, l’état-major de l’Armée rouge, élaborent une stratégie de revanche sur Hitler. Supervisée par le maréchal Joukov, l’opération se profile bien car l’URSS dispose d’un avantage militaire considérable sur l’Allemagne nazie : 2,3 millions d’hommes contre 800 000 du côté ennemi, 4000 blindés contre 500, 6 500 avions contre 800 et 24 000 canons contre 8 500.
En face, Busch comprend que la défaite est difficilement évitable mais n’ose pas s’opposer à Hitler qui refuse tout recul de l’armée allemande. L’étau se resserre vite sur les Allemands, encerclés, à Vitebsk et Bobruisk puis à Minsk.
Alors que les Alliés anglo-américains vont mettre deux mois à percer le front normand, les Soviétiques tuent et capturent environ 200 000 Allemands (l’effectif de 25 divisions) en à peine quinze jours ! Fin juillet, 100 000 Allemands de plus sont mis hors de combat.
Ernst Busch est alors remplacé par Walter Model, surnommé le « pompier d’Hitler », qui parvient à ralentir l’avancée soviétique. Sauf qu’en faisant monter des divisions de Panzer sur le territoire biélorusse, il dégarnit le front Sud et permet à la Stavka de lancer le 13 juillet l’opération Lvov-Sandomir et l'opération Kovel-Lublin quatre jours plus tard.
Le 24 juillet 1944, les Soviétiques occupent Lublin, en Pologne. Le 1er août, Sandomir tombe à son tour. Staline souhaite faire de Lublin le siège du gouvernement polonais pro-soviétique pour la Pologne libérée.
À la mi-août, l’Armée rouge atteint les bords de la Vistule et la Biélorussie est totalement libérée. Notons tout de même que 628 villages de la seule Biélorussie ont subi le sort d’Oradour-sur-Glane au cours des trois années d’occupation. Preuve que la Wehrmacht a accompli avec zèle les ordres de destructions systématiques des populations.
Mais épuisées par ces 600 kilomètres parcourus en si peu de temps, les troupes soviétiques ne parviennent pas à prendre Varsovie... À moins que Staline n'ait choisi de laisser les nazis écraser la résistance polonaise dans la ville, avant d'y faire pénétrer ses troupes et imposer des gouvernants communistes à sa dévotion.
La Wehrmacht reprend donc la capitale polonaise mais cette petite victoire ne changera pas le cours de la guerre et la défaite allemande se rapproche.
Il est difficile d’évoquer l’opération Overlord sans parler de Bagration. Les deux opérations sont concomitantes et représentent, ensemble, un « cauchemar stratégique » pour l’Allemagne qui se retrouve encerclée de deux fronts, à l’Ouest et à l’Est.
Moment décisif de la Seconde Guerre mondiale, l’opération Bagration est aussi « la première passe d’armes de la guerre froide » comme le dit Jean Lopez, auteur de Opération Bagration, La revanche de Staline. Car le but des Alliés n’est pas seulement de vaincre Hitler, il est aussi de préparer la reconfiguration de l’Europe au lendemain de la guerre.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Michel J. (06-06-2024 17:42:40)
En ce 6 juin 2024 il me semble vraiment dommage que le rôle capital de l’Armée rouge dans la capitulation du Reich ne soit pas officiellement commémoré…
Hugues Franquet (05-06-2024 16:33:28)
Fin 1943, à Yalta, Staline demandait l'ouverture d'un second front en Europe de l'Ouest. Il aurait donc oublié qu'en 1939, en signant le pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne Nazie, i... Lire la suite
Liger (23-06-2021 19:13:06)
Merci de bon article qui rend justice au rôle majeur sur le plan terrestre joué par la Russie dans la défaite de l'Allemagne nazie. La manipulation des Anglo-Saxons par les généraux allem... Lire la suite