10 juin 1944

Le martyre d'Oradour-sur-Glane

Le samedi 10 juin 1944, à 8 heures du matin, c'est sans méfiance particulière que les habitants d'Oradour-sur-Glane voient des chenillettes chargées de soldats allemands pénétrer dans le village et s'y arrêter.

Oradour-sur-Glane est reliée par un tramway à Limoges, distante de 17 km. C'est une bourgade de 300 à 400 habitants. Avec les hameaux et fermes des environs, la commune en compte au total 1 200 dont quelques centaines de réfugiés du village de Charly, en Moselle.

En ce mois de juin, les fenaisons viennent d'être faites et les granges sont pleines à craquer de foin. Les habitants vaquent paisiblement à leurs activités. Ils ne savent pas que la veille, les Allemands ont pendu 99 malheureux otages aux balcons de Tulle, à une centaine de kilomètres au sud de Limoges...

La rue principale d'Oradour avant le massacre et l'incendie (photo: centre de la Mémoire, Oradour)

Représailles

Trois jours plus tôt, les maquisards de la région ont fait sauter un pont pour freiner la remontée des troupes allemandes vers la Normandie où les Alliés viennent de débarquer. L'attaque a causé la mort de deux soldats allemands de la 2ème division SS Panzer Das Reich.

Cette division a pratiqué la terreur en URSS avant d'être repliée à Montauban, dans le Sud-Ouest de la France. En bons connaisseurs, ses soldats surnomment leur nouvelle région d'affectation la « petite Russie », par allusion à l'action importante de la Résistance... Le général Lammerding, qui commande la division, se fixe comme en URSS des ratios en représailles des attaques de maquisards : 3 otages exécutés par Allemand blessé, 10 par Allemand tué !

Après avoir organisé les brutales représailles de Tulle, le général ordonne à la 3ème compagnie du régiment Der Führer de détruire aussi Oradour-sur-Glane. Puis il part pour la Normandie.

Le commandant de la compagnie, Dickman, planifie l'opération avec ses adjoints, le capitaine Kahn et le sous-lieutenant Barth. Les trois hommes ont sous leurs ordres environ 120 SS, pour la plupart très jeunes. Il s'agit de forces spéciales qui pratiquent plus volontiers la répression que la guerre et se sont déjà illustrées en Russie dans l'extermination des populations civiles.

À Oradour, nul ne devine encore le drame qui va se dérouler dans les heures suivantes.

L'horreur

Tandis que les premières chenillettes pénètrent dans le village, d'autres soldats allemands, aux ordres du sous-lieutenant Barth, ratissent les champs des environs et poussent les habitants vers le village.

En début d'après-midi, le bourg est cerné et toute la population est rassemblée sur le champ de foire sous le prétexte d'une vérification d'identité, sans oublier les enfants des écoles, sous la surveillance de leur maître. Les SS agissent dans le calme et la population s'exécute sans broncher.

Les hommes sont séparés des femmes et des enfants et alignés contre les murs, dos à la place. Les SS les interrogent sur une supposée cache d'armes mais ils se tiennent muets. Le maire Paul Desourteaux  se voit alors sommé de remettre des otages, ce qu'il refuse. 

Au nombre d'environ deux cents, les hommes sont alors divisés en six groupes de quelques dizaines de personnes et enfermés dans des granges bourrées de foin et de paille, sous la menace de mitraillettes. Vers 16 heures, les SS tirent des rafales et tuent les malheureux en quelques secondes. Ils achèvent leur besogne en lançant des grenades et mettant le feu aux granges.

La rue principale après le massacre et l'incendie (photo: centre de la Mémoire, Oradour)

Pendant l'interrogatoire des hommes, les femmes et les enfants ont quant à eux été enfermés dans la vénérable église gothique d'Oradour. Des SS déposent une caisse d'explosifs et de la paille dans la nef. Le feu ravage bientôt l'édifice comme il a ravagé les granges. De l'extérieur, les SS mitraillent les malheureuses et leurs enfants qui tentent de sortir, en visant les membres inférieurs.

Quelques fuyards sont pourchassés dans les rues et les champs. Un groupe est jeté dans un puits. Au total, seuls cinq hommes et une femme survivront par miracle.

Leur forfait accompli, les SS pillent le village et achèvent de l'incendier. Ils se réservent cependant une maison pour y passer la nuit.

Le lendemain, un groupe de soldats revient dans le village en vue d'enfouir les corps dans des fosses communes mais, ne pouvant venir à bout de leur travail, ils quittent à leur tour Oradour, laissant 642 victimes derrière eux. Parmi elles 246 femmes et 207 enfants, dont 6 de moins de 6 mois, qui ont été brûlés dans l'église.

Ces victimes sont des habitants du bourg ainsi que des réfugiés lorrains, des promeneurs qui se sont trouvés là par hasard et des habitants des environs amenés par les SS.

Un procès douloureux

Après la Libération de la France, le 12 janvier 1953, un procès s'ouvre devant le tribunal militaire de Bordeaux, pour juger les meurtriers d'Oradour-sur-Glane.

Le général Lammerding, condamné à mort par contumace deux ans plus tôt pour le massacre de Tulle, ne se présente pas au procès et la France ne fait rien pour obtenir son extradition. Il finira ses jours en 1971 à Düsseldorf en chef d'entreprise prospère. Cinq-cents anciens SS suivront son cortège funèbre.

Dans le box des accusés figurent seulement vingt et un SS sur les 65 accusés. Parmi eux 14 Alsaciens, dont deux engagés volontaires et 12 qui disent avoir été enrôlés de force dans le corps des SS.

Cette présence d'Alsaciens rend le forfait doublement douloureux pour la conscience nationale. Elle ravive en Alsace et en Moselle la plaie laissée ouverte par l'incorporation de 130 000 « malgré-nous » dans la Wehrmacht en 1942. Beaucoup étaient des jeunes gens, très jeunes, incapables de résister à la pression de l'occupant.

À Bordeaux, les « malgré-nous » sont condamnés comme les autres à différentes peines d'emprisonnement. Mais ils sont amnistiés huit jours après par une loi d'exception votée par l'Assemblée nationale au nom de la réconciliation nationale. Cette loi modifie opportunément la loi du 15 septembre 1948 sur la responsabilité collective.

Il s'ensuit dans le Limousin un profond ressentiment. L'association des familles des martyrs et le maire d'Oradour-sur-Glane renvoient la Légion d'Honneur au représentant de l'État. La ville attendra octobre 2000 pour accepter enfin cette décoration et se réconcilier avec l'Alsace.

Une tragédie ordinaire

Oradour-sur-Glane est devenu en Europe occidentale le symbole de la barbarie nazie, à l'égal du village tchèque de Lidice, pour l'Europe centrale, détruit le 10 juin 1942 en représailles de l'assassinat de Reinhard Heydrich, Reichsprotektor de Bohême-Moravie.

En Italie, du 8 septembre au 5 octobre 1944, le village de Marzabotto a perdu 1836 des siens du fait des nazis. Distomon, en Grèce en a perdu 239 le 10 juin 1944. En France même, enfin, le village de Maillé en a aussi perdu 126 le 25 août 1944. Mais dans les plaines de Pologne et de Russie, c'est par centaines que se comptent les villages martyrisés par les nazis.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-01-02 18:51:47
BPP (12-02-2023 15:45:41)

Est-il vrai qu'une partie importante des SS ayant participé au massacre d'Oradour était composée d'ukrainiens dont les unités, l'année précédente s'étaient rendues coupables d'exactions simila... Lire la suite

Leroux (12-02-2023 13:02:21)

C'est vrai qu'à l'Est l'armée allemande (et pas seulement les SS a commis des milliers d'Oradour et sans "l'excuse "d'attentas contre les troupes allemandes. Il faut rappeler des faits moins connus... Lire la suite

Emile (12-06-2022 11:30:25)

« Les malgré Eux « sont encore parmi nous si on voit les comportements de certains Medecins salariés et même se disant libéraux ,pendant le Sars Cov 2 ! Mais je remarque que la culture histor... Lire la suite

Boutté (11-06-2017 18:03:05)

Affaire horrible, et pourtant il s'est passé à Oradour ce qui se passe lorsqu'une armée est attaquée par des civils dans un pays avec lequel elle n'est pas en guerre. C'est du reste ce que voulait... Lire la suite

Jean-Pierre Serin (11-06-2017 13:47:51)

Etudiant en Allemagne de 1967 à 1972, j'ai assisté un jour à une réunion de l'assemblée des étudiants de l'école d'Ingénieurs où j'étudiais. L'un des collègue, qui venait de faire un voyag... Lire la suite

xava (14-06-2014 11:28:29)

Je suis bien d'accord pour dire que c'est atroce mais n'oublions pas qu'en Algérie certains militaires français ont commis à peu près les mêmes massacres. C'est en agissant pour la paix que l'on... Lire la suite

Jean Louis Taxil (10-09-2013 14:27:16)

Hérodote a certainement des abonnés allemands. Pourrions-avoir une idée de leurs réactions à cet article? Mon seul témoignage sera de dire, qu'ayant visité ce lieu dramatique en 1954, l'horreur... Lire la suite

JEAN MUNIER (09-09-2013 09:54:30)

NUANCE : il y avait des alsaciens parmi les bourreaux et il y avait des mosellans de Charly et Montoy Flanville parmi les victimes. Ils avaient été expulsés parce que francophones en aout 1940.Ce p... Lire la suite

Michel Pesneau (05-09-2013 22:34:27)

Je n'ai pas eu l'occasion de visiter Oradour et je le regrette mais pour moi qui ait connu cette guerre (j'ai plus de 80 ans) c'est quelque chose d'important ; sans doute y a-t-il eu bien d'autres dr... Lire la suite

Thierry (05-09-2013 16:32:06)

Si l'on sait que l'Histoire ne fait que se répéter, ce n'est certes pas une raison pour ne pas essayer d'en tirer leçon. Il faut combattre la fatalité que tout à chacun accepte sans doute top fac... Lire la suite

Diogene (05-09-2013 12:09:50)

Oradour et Tulle = mille ou dix mille fois à l'Est...... Ne l'oublions pas. Les Lammerding et consorts non jugés... ou libérés après commuation de peine sont du ressort de NOS politiques qui l'... Lire la suite

Paul (05-09-2013 11:21:37)

L'horreur du crime n'est pas proportionnel au nombre.L'homicide volontaire d'une seule personne est horrible. Il y a en chacun l'ange et le démon.Un missionnaire qui avait assisté aux tueries du Rw... Lire la suite

Celine (05-11-2006 16:29:29)

je voulais visiter ce village il ya déja fort longtemps et là récemment j'en ai eu l'occasion et je peux pas vous dire ce que je ressens car c'est inadmissible de voir de telle horreur causé par d... Lire la suite

marlène (31-10-2006 12:04:17)

C'est vrai qu'il y'a un silence pesant, je ne dirais pas un silence de mort mais un silence qui force le respect. Avec mon ami, nous avons imaginé comment était l'ambiance du village avant!on arriva... Lire la suite

Benoit (28-10-2006 19:45:00)

je reviens de temps en temps sur les sites historiques, comme ceux traitant d'Oradour. J'ai une formation d'historien et la période de la Libération m'intéresse beaucoup. J'ai visité Oradour il y ... Lire la suite

tristesse et haine (30-08-2006 18:29:31)

j'ai 13 ans et je suis allé à oradour(je m'y etais deja informe de l'histoire et comment sa c'etait passé) en y allen je me demandais quel sera ma réaction et j'en savais frenchement rien je suis ... Lire la suite

abbes (23-08-2006 14:38:10)

Depuis mon enfance, j'ai entendu parler d'Oradour sur glane. Je m y suis rendu avec mon amie et ses enfants, le 14 août 2006. Je n arrive pas à trouver les mots pour décrire cette vision d'horreur ... Lire la suite

RAULT Alain (18-08-2006 23:21:53)

De longue date, je m'étais juré d'aller à Oradour sur Glane, non par voyeurisme, mais, les récits d'anciens et les écrits, et les trop brèves images à la télé, m'avaient incité à aller en s... Lire la suite

Toussaint Patrick (17-08-2006 12:42:16)

Lors de mes vacances près de la Rochelle, j'ai bien entendu visité Oradour avec mes enfants. Cela fait partie des sites incontournables pour le souvenir. C'est terrifiant! Cependant, une remarque n... Lire la suite

odile (07-08-2006 16:35:55)

là-bas, même un bébé qui pleure ça vous parait irrespectueux......... que dire? que disent les gens qui emmennent leurs enfants pour qu'ils supportent l'idée de cette folie chez les adultes? on... Lire la suite

Jeannette (30-07-2006 16:16:41)

Ma visite à Oradour est récente, j'y étais jeudi. C'est vrai que ce silence est bouleversant. On a du mal à imaginer jusqu'où peut aller la haine. Je vais inciter mes filles à y aller pour qu'el... Lire la suite

Flo (24-07-2006 16:28:16)

J’ai déjà laissé un commentaire la semaine dernière, avant ma visite du village martyr ; je me permets d’en déposer un autre, après mon passage ce week-end à Oradour. La première chose qu... Lire la suite

ERIC .F (24-07-2006 14:23:49)

Je suis allé à Oradour il y 23 ans avec mes parents, ils ont voulu que je sache, que je voie, que j'observe, que je respecte, mais aussi que j'écoute ce silence. Cette année j'y suis retourné le ... Lire la suite

Kévin (12-07-2006 13:45:17)

Bonjour, Je me permets de réagir à ce texte car je trouve qu'il oublie de soulever un point important. Oradour a été une double tragédie et cela n'est pas indiqué ! Il y eu effectivement les 6... Lire la suite

mathieu (30-06-2006 17:57:17)

Oradour représente pour moi qui suis Lorrain et aussi de cette belle région du Limousin un souvenir impérissable devant cette cruauté gratuite. Je suis agé de 78 ans et après nombreux passages d... Lire la suite

gaudun (11-06-2006 19:42:27)

cet article est excellent je suis a chaque fois anéanti lorsque je vois des images sur la deportation et sur les massacres du type de celui ci n'oublions jamais

Marie (30-05-2006 11:20:40)

Article fort bien résumé. Il nous apprend en peu de lignes ce qu'il faut savoir sur ce moment de l'histoire, sur cette barbarie inqualifiable

schweirtler (25-05-2006 15:50:06)

Je suis allé à oradour il y a une trentaine d'années. Comment trouver les mots pour dépeindre une telle barbarie. Picasso n'était pas là pour fixer sur la toile l'horreur comme il le fit pour guernica. Deux poids, deux mesures. En conversant avec un ami, ce matin, il m'est revenu en mémoire la vision de la cloche fondue et celle des familles décimées enterrées dans le petit cimetière.
J'habite une ville où au fil des rues on peut voir "ici, le 21 août 1944 est tombé X..., assassiné par les allemands".
J'ai 62 ans et je témoigne.

moreau (18-05-2006 13:30:21)

Je trouve que cet article est bien car il m'a appris beacoup de choses intéressantes

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