Le dimanche 20 février 1944, sur un lac norvégien, le ferry SF Hydro explose et sombre avec ses passagers et son chargement.
Ce fait divers passe inaperçu au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Ce n'en est pas moins le dernier épisode d'un long conflit entre services secrets alliés et militaires allemands, la « bataille de l'eau lourde ».
Dès avant la guerre, dans les années 1930, les scientifiques ont mis au point le principe de la fission nucléaire, à l'origine de la bombe atomique. Mais pour être efficace, la fission doit toutefois être ralentie soit par du graphite, soit par de l'« eau lourde », ainsi appelée parce qu'il s'agit de molécules d'eau dans lesquelles les atomes d'hydrogène sont remplacés par un isotope, le deutérium, à la densité plus élevée.
Parties de chasse
Les Allemands travaillent comme les Américains sur la fission nucléaire et ils ont besoin d'eau lourde comme « ralentisseur ». Or, celle-ci est seulement produite en Norvège, à 120 kilomètres d'Oslo. Dès lors, les services secrets alliés vont lancer pas moins de cinq opérations différentes afin d'empêcher les Allemands de s'en emparer.
En février 1940, pendant la « drôle de guerre », Hitler se dispose à envahir la Norvège et le Danemark. Raoul Dautry, ministre français de l'armement, voit le danger et charge le 2e bureau (les services de renseignements français) de récupérer sans attendre le seul stock mondial d'eau lourde encore disponible, soit 185 kilogrammes.
C'est bientôt chose faite. Mais l'usine continue de produire et elle est désormais sous l'entière maîtrise des Allemands.
Il importe de détruire l'usine ! Les services secrets britanniques du SOE (Special Operation Executive) vont s'en charger.
La première phase débute le 19 octobre 1942 avec un parachutage à quinze jours de ski de l'usine.
C'est un désastre ! Tous les participants sont tués ou exécutés par les Allemands. Les Britanniques n'en décident pas moins de lancer une nouvelle opération !
Le mardi 16 février 1943, six Norvégiens sont parachutés dans la région.
Ils accèdent à l'usine en suivant une voie de chemin de fer non gardée, sans rencontrer aucune résistance.
Ils posent les charges sur les chambres à électrolyse utilisées pour la fabrication de l'eau lourde, les chargent et se sauvent.
L'équipe parvient à s'échapper sans être arrêtée. L'opération se solde cette fois par un succès complet !
La production d'eau lourde est arrêtée... mais seulement pour quelques mois car elle reprend dès avril 1943. Une nouvelle attaque est donc programmée, cette fois par les Américains. Un raid aérien a lieu en novembre 1943. Les forteresses volantes larguent plusieurs centaines de bombes sur l'usine mais, comme trop souvent hélas, elle manquent leur cible et font 21 victimes civiles !
En prévision de nouvelles attaques, les Allemands décident d'abandonner l'usine et de déplacer les stocks d'eau lourde en Allemagne. Le chargement doit être transporté par ferry sur le lac Tinn.
Les Alliés tentent une ultime opération de sabotage et c'est ainsi qu'ils font sombrer le ferry avec son chargement... et de nombreuses victimes.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Estelle P. (31-03-2019 17:15:58)
Bonjour,
pourquoi l'opération du 11 septembre 1942 n'est-elle pas mentionnée? Ce jour là, un commando britannique, déposé par le sous-marin FNFL La Junon (commandement Jean-Marie Querville) n'a-t-il pas détruit une usine d'eau lourde?
Estelle P. (27-03-2019 17:13:18)
Bonjour,
pourquoi l'opération du 11 septembre 1942 n'est-elle pas mentionnée? Ce jour là, un commando britannique, déposé par le sous-marin FNFL La Junon (commandement Jean-Marie Querville) n'a-t-il pas détruit une usine d'eau lourde?
Hugo (20-02-2019 10:29:16)
Bonjour, Monsieur Demari,
A part Jean Dréville (toujours très émouvant mais qui a falsifié tous les noms russes et français dans "Normandie-Niemen").....
£a vision norvégienne de l'affaire s'intitule "Kampen om Tungtvannet" (Combat pour l'Eau-lourde). Ce film n'est plus autorisé. sur YouTube, il faut désormais voir avec l'I.N.A. qui revendique la propriété de certains éléments!!!!!!!!!!!
Jean GALLET (20-02-2018 18:09:27)
J'avais vu le film "la bataille de l'eau lourde", et à vrai dire, je n'avais pas tout compris à l'époque, mais j'étais un peu jeune. Merci donc pour cet article: j'ai tout compris! J'apprécie particulièrement le parallèle entre la finesse de l'exécution du sabotage par une petite dizaine de Norvégiens (opération parfaitement réussie) et les moyens colossaux employés par les américains (143 bombardiers!) avec à la clef un échec total et de nombreuses pertes humaines civiles. L'histoire du rouleau compresseur US se perpétue malheureusement de nos jours avec toujours autant d'inefficacité et de victimes. Clin d'œil à notre actualité, je comprend au vu des exploits à ski des norvégiens dans cet épisode, pourquoi la Norvège est numéro un en nombre de médailles aux Jeux Olympiques de Pyeongchang.
Bruneau Demari (21-02-2015 11:05:58)
Bonjour,
Comment s'appelle ce film dont vous parlez à la fin ? Et peut-on encore le trouver ? Merci
xavier (24-02-2014 09:03:15)
Quelques petites précisions : on parle plutôt de modérateur et pas de retardateur. L'eau lourde agit sur les neutrons émis pour les ralentir par collisions et les rendre ainsi plus efficaces pour la fission des noyaux d'uranium 235 (un des isotopes de l'uranium naturel à 0,72 %). Elle absorbe peu de neutrons à la différence de l'eau ordinaire, aussi modératrice.
Sans vouloir dire de bêtise, l'eau lourde devait être utilisée dans un réacteur nucléaire fonctionnant avec de l'U naturel où l'économie des neutrons est primordiale pour auto-entretenir la réaction de fission neutronique. Un sous produit de ce réacteur est le plutonium Pu.
Une bombe nucléaire n'utilise pas de modérateur mais des noyaux presque uniquement fissiles, U 235 ou Pu. Condition nécessaire pour avoir une réaction de fission divergente (pour une bombe !) avec des neutrons « rapides » (+ masse critique de fissiles).
Extraire U235 de U naturel nécessite des usines d'enrichissement (diffusion ou centrifugeuses) jouant sur la différence de masse des isotopes. Si au point pour les isotopes de l'hydrogène dans l'eau pour extraire l'eau lourde, encore hors de portée pour U naturel vue la faible différence de masse. Donc seule voie – avant 1944 – la bombe au Pu en récupérant le Pu d'un réacteur à eau lourde par extraction chimique – plus facile que extraction isotopique. Une des opérations à l'usine de retraitement de la Hague.
Je crois que les Allemands, sous la direction de W Heisenberg, étaient très en retard voire n'y croyaient pas. Même avec l'eau lourde ils n'auraient pas eu de bombe avant bien longtemps. Quand ils ont appris le bombardement d'Hiroshima, lors de leur internement, ils furent très surpris.
Ce sont les Français sous la direction de Frédric Joliot Curie qui découvrirent début 1939 la possibilité de réaction de fission neutronique en chaîne, avec possibilité de bombe. Ce résultat de recherche scientifique fut publié (mais pas la conclusion sur la bombe) pour avoir la primeur car d'autres équipes dans le monde dont Allemagne l'auraient aussi réalisé. Par contre dépôt d'un brevet en France en mai 1939 explicite sur la bombe. D'où l'intérêt politique.
Passer de la théorie à la réalisation a nécessité pas moins que le projet Manhattan.
LEMOINNE (20-04-2012 16:33:17)
Concernant la premiére opération de l'eau lourde , je vous informe que M. Raoul Dautry avait demandé à mon grand-père paternel, le général Paul LEMOINNE, ingénieur général de premiére classe de l'armement de mettre à l'abri toutes les recherches et études sur l'eau lourde et la fission en Angleterre. C'est pourquoi mon grand-père est monté à bord du Milan pour rejoindre l'Angleterre, se trouvant ainsi le même soir à table avec le général De Gaulle SUR CE BATIMENT (cité dans ses mémoires).
bien cordialement
M.LEMOINNE