23 octobre 1943

début de l'Affaire Cicéron

Entre les mois d'octobre 1943 et le printemps 1944, le valet de l'ambassadeur britannique à Ankara, le Turc Elyesa Bazna, fait passer aux diplomates allemands des photographies de dizaines de documents top-secrets. C'est le début de l'une des plus incroyables affaires d'espionnage de l'époque contemporaine...

En 1952, le cinéaste Joseph Mankiewicz en tirera un film, L'Affaire Cicéron, d'après le nom de code de l'espion, non sans prendre des libertés avec la réalité.

Yves Chenal

Pourquoi la Turquie ?

Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, la Turquie neutre est au centre de toutes les attentions. Chacun tente de la faire basculer dans son camp. Le Premier ministre britannique y tient beaucoup, au contraire de ses généraux qui rechignent à protéger le pays contre les forces de l'Axe, au détriment de l'engagement sur des théâtres d'opérations prioritaires. L'Allemagne a pour sa part besoin du chrome, indispensable à son industrie d'armement, dont la Turquie est son seul fournisseur.

On imagine les trésors de ruse et la quantité de manœuvres secrètes nécessaires aux diplomates turcs pour maintenir des bonnes relations avec les deux camps.

Fin 1943, les Alliés affrontent les Allemands en Italie, mais aussi dans les îles du Dodécanèse, à proximité de la Turquie. L'offensive britannique, qui vise à obtenir l'entrée en guerre de la Turquie et le contrôle des Détroits (le Bosphore et les Dardanelles), est rapidement matée par une contre-attaque allemande.

Churchill veut insister, mais les Américains, soutenus par Staline, refusent de se laisser détourner de leur objectif principal, le débarquement en France (opération Overlord). Il est essentiel de cacher à Hitler l'évolution de ces négociations afin de le laisser dans le flou quant aux intentions des alliés.

Le valet photographe

C'est alors qu'intervient Bazna, qui a compris qu'il pouvait facilement accéder aux coffres-forts dans lequel l'ambassadeur entrepose ses documents secrets.

Le 23 octobre 1943, il propose ses tirages à l'ambassade d'Allemagne, où le personnel est fort embarrassé : l'ambassadeur est l'ancien chancelier von Papen, dont les relations avec le ministre des Affaires Étrangères, l'incompétent Joachim von Ribbentropp, sont aussi détestables que possible. Von Papen n'a pris ce poste qu'à la condition expresse de ne pas dépendre du ministre ! Cela dit, il accepte de payer les documents secrets proposés par Bazna et son attaché Ludwig Moyzisch est chargé de traiter avec l'espion, qu'il surnomme «Cicéron».

Moyzisch mesure rapidement l'importance des documents, qui incluent une récapitulation des discussions entre ministres des Affaires Étrangères à Moscou, mais il a du mal à en convaincre ses supérieurs du fait de la lutte que se livrent en Allemagne les Affaires Étrangères et le Sicherheitsdienst dirigé par Kaltenbrunner, successeur de Heydrich, qui, les uns et les autres, doutent de l'authenticité des documents.

Il n'est pire sourd...

Il faut dire que la mollesse dont témoignent les services secrets britanniques, pourtant alertés sur l'existence d'une fuite, est telle qu'on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une opération d'intoxication. Ce n'est pas la rapide enquête, mal ficelée par le contre-espionnage britannique, qui met fin à l'affaire, mais la rocambolesque défection d'une secrétaire de l'ambassade d'Allemagne, susceptible de détenir des informations sur «Cicéron».

Bazna, suspecté, démissionne de l'ambassade en avril 1944. Même après que certains des renseignements auront été confirmés dans les faits, les Allemands demeureront dubitatifs : la guerre entre les services est impitoyable et, surtout, Hitler refuse d'entendre ce qui ne lui plaît pas, comme l'importance de l'effort de guerre des Alliés. Il est convaincu qu'ils n'oseront jamais attaquer le Mur de l'Atlantique. En définitive, cette opération d'espionnage n'aura que des conséquences limitées sur la conduite de la guerre.

Médiocre épilogue

Après la guerre, Bazna se lance dans les affaires jusqu'au jour où on découvre que les billets anglais qu'il utilise sont des faux, contrefaits par les nazis. Ruiné, il ose demander réparation à l'Allemagne Fédérale pour cette tromperie, n'obtient rien, et se remet provisoirement à flot en publiant ses Mémoires en 1961, dans lesquels il n'hésite pas à travestir la vérité, ni à se contredire lors des conférences qu'il donne en Europe, bien loin du héros hollywoodien incarné par James Mason.

L'historien François Kersaudy a consacré un livre aux mystères et aux invraisemblances de ce mauvais polar, L'Affaire Cicéron, 1943 (Tempus Perrin, 2009).

Publié ou mis à jour le : 2021-06-19 17:26:16

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