30 avril 1943

Des vies épargnées par « Viande hachée » (Mincemeat)

Janvier 1943. La Seconde Guerre mondiale est à un tournant. Défaits à El-Alamein et Stalingrad, les Allemands reculent sur tous les fronts et se disposent à lâcher l'Afrique du Nord. Réunis à Casablanca, dans l'hôtel Anfa, les Anglo-Saxons envisagent de poursuivre leur avantage par un débarquement en Sicile, à partir de la Tunisie, en juillet 1943. C'est encore une idée de Churchill ! Mais sa réussite serait compromise si les Allemands en avaient vent et venaient à renforcer les pauvres troupes italiennes qui défendent l'île.

Les services secrets britanniques vont les convaincre que le débarquement, bien réel, visera en fait la Sardaigne et la Grèce. Ils vont pour cela larguer au large de l'Espagne, le 30 avril 1943, le cadavre d'un supposé officier britannique porteur de lettres confidentielles faisant état de ce projet. Les espions allemands ne se feront pas faute d'intercepter les lettres et d'en transférer la copie à Hitler. Celui-ci prélèvera deux divisions sur le front russe pour les transférer... en Grèce, à la grande satisfaction de Staline comme des Anglo-Saxons, lesquels pourront occuper la Sicile en un mois.

Cette opération de contre-espionnage, longtemps cachée, a porté le nom délicat de Mincemeat  (« Viande hachée »). Pour la petite histoire, quand il fut acquis que les Allemands avaient pris connaissance du contenu des fausses lettres, Roosevelt et Churchill reçurent du contre-espionnage britannique, le fameux MI5 (Military Intelligence section 5),  le message : « Mincemeat [had been] swallowed whole » (« Viande hachée [a été] bien avalée »).

La ruse au cinéma

L'opération Mincemeat n'a été dévoilée que plusieurs années après la guerre. Elle a alors inspiré les romanciers et les cinéastes. Un premier film lui a été consacré en 1956 sous le titre : L'Homme qui n'a jamais existé (The Man Who Never Was, Ronald Neame), d'après le témoignage éponyme du maître d'oeuvre de l'opération, le capitaine de corvette (lieutenant commander) Ewen Montagu.
Le deuxième film, La Ruse (Operation Mincemeat, John Madden), sorti en 2021, est quant à lui inspiré d'un roman. Tout en restant fidèle dans les grandes lignes à la réalité historique, il entre dans la vie intime des héros et en premier lieu d'Ewen Montagu, interprété par le magnifique Colin Firth. Le résultat est agréable à voir, avec un tempo d'une sensibilité plus britannique qu'hollywoodienne. Notons l'apparition d'un jeune agent du nom de Ian Fleming. Le père de James Bond a de fait travaillé pour les services secrets mais il n'est pas avéré qu'il ait participé à l'opération Mincemeat. Regrettons enfin, mais c'est un détail, qu'il soit si difficile de trouver des acteurs convaincants dans le rôle de Churchill. 

De l'utilité des romans d'espionnage

La Seconde Guerre mondiale... et Churchill sont la preuve qu'il n'y a pas de succès militaire sans une grande imagination romanesque (et une bonne culture générale). Le Premier ministre britannique, doté d'un cerveau en fusion, s'est dès le début du conflit pris de passion pour les services secrets et les opérations secrètes. Il suivit de très près les efforts des petits génies de Betchley Park pour casser le code Enigma utilisé par les Allemands, tout comme l'opération d'intoxication Fortitude qui allait convaincre les Allemands que l'ultime débarquement aurait lieu dans le Pas-de-Calais et non en Normandie. 

Churchill renforça très tôt aussi le contre-espionnage MI5, dont James Bond allait plus tard faire la réputation. Au sein du MI5 fut constitué un comité spécial destiné à retourner les espions allemands, le comité XX  (Twenty Committee). Les Britanniques jugèrent en effet plus pertinent de faire travailler ces agents pour leur compte plutôt que simplement les exécuter ! Cette mission conduisit le comité XX à organiser aussi des opérations d'intoxication comme l'opération Mincemeat.

L'histoire débute... en 1939, quand le directeur du service de renseignements de la Marine britannique John Henry Godfrey transmet à ses service un « mémo de la truite » qui recense 51 techniques pour tromper l'ennemi. L'une d'elles est empruntée à un auteur de romans policiers, Basil Thomson. Elle consiste à abandonner près des côtes ennemies un cadavre d'aviateur porteur de fausses informations. C'est cette idée que va reprendre le capitaine Ewen Montagu pour tromper l'ennemi sur le débarquement de Sicile en 1943.

Sa mise en oeuvre est préparée avec le plus grand soin. On sélectionne à la morgue le cadavre d'un homme jeune qui s'est empoisonné et dont on pourrait croire qu'il s'est noyé. Tandis qu'on le met au frigidaire, on lui prépare une fausse identité appropriée, celle du capitaine William Martin, et on lui invente toute une histoire personnelle pour le rendre crédible : photo et lettre d'amour de sa promise, lettre de son banquier, billet de théâtre, etc.

Le jour venu, un sous-marin largue le cadavre près des côtes espagnoles. Il est recueilli par des pêcheurs qui le livrent aux autorités. L'Espagne, étant officiellement neutre, se fait un devoir de le remettre aux représentants de l'ambassade britannique afin qu'il soit inhumé comme il convient.

En attendant, comme le Comité XX l'escomptait, les espions allemands présents sur place ont eu vite fait de photographier tout ce que portait le cadavre, y compris ses lettres, et de transmettre le tout à Berlin. Un Irlandais entré au service des nazis va être mandaté pour vérifier à Londres les renseignements concernant William Martin. Bien qu'informés, les services secrets britanniques vont le laisser oeuvrer pour ne pas mettre la puce à l'oreille des Allemands...

Au final, grâce à « William Martin », les Anglo-Saxons vont pouvoir débarquer en Sicile et s'emparer de l'île en six semaines, avec relativement peu de pertes (un peu plus de cinq mille morts). Nul doute que le bilan aurait été plus élevé si Hitler, répondant aux supplications de son allié Mussolini, avait renforcé les défenses de l'île comme celui-ci le lui demandait. Mais les Allemands vont très vite se reprendre. Il faudra encore neuf mois aux Anglo-Saxons, renforcés par l'armée d'Afrique de la France Libre, pour briser la ligne Gustave, entre Naples et Rome.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-05-04 14:44:38

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