22 février 1943

Décapitation de la « Rose blanche »

Le 22 février 1943, trois étudiants allemands d'une vingtaine d'années sont guillotinés dans la prison de Stadelheim, près de Munich. Leur crime est d'avoir dénoncé le nazisme au nom de leur foi chrétienne et catholique dans le cadre d'un mouvement clandestin, « La Rose blanche » (Die Weiße Rose en allemand).

Pierre Le Blavec de Crac'h

Hans et Sophie Scholl et leur ami Christoph Probst le 23 juillet 1942

Les prémices de la résistance

Résidant à Ulm et âgé de 14 ans en 1933, le lycéen Hans Scholl n'est pas au début insensible aux discours de Hitler.

Robert et Magdalene Scholl avec leurs enfants (Hans, le troisième, et Sophie, cinquième, dans le sens de la lecture)Comme tous les jeunes Allemands de son âge, il s'engage avec sa sœur Sophie (12 ans) dans les Jeunesses Hitlériennes mais prend assez vite ses distances.

Aidé par ses parents et encouragé par l'éditeur Carl Muth du mensuel catholique Hochland, il rompt avec le national-socialisme et se consacre à ses études de médecine.

Il lit les penseurs chrétiens (Saint Augustin, Pascal) et l'écriture sainte. Mais il est arrêté et emprisonné en 1938 pour sa participation à un groupe de militants catholiques.

Hans Scholl (1918-1943)Quatre ans plus tard, sa décision est prise. Il décide d'entrer en résistance par l'écrit après avoir lu des sermons de l'évêque de Münster Mgr von Galen dénonçant  la politique du gouvernement à l'égard des handicapés.

Un noyau dur se constitue autour de Hans et Sophie Scholl (protestants) et de trois étudiants en médecine que lie une solide amitié : Alexander Schmorell (25 ans, orthodoxe et fils d'un médecin de Munich) ; Christoph Probst (23 ans marié et père de trois jeunes enfants), et Willi Graf (24 ans, catholique). Ils sont bientôt rejoints par Traute Lafrenz, une amie de Hans.

En juin 1942, alors que Hitler est au sommet de sa puissance, le petit groupe décide d'appeler les étudiants de Munich à la résistance contre le régime nazi, qualifié de « dictature du mal ». Sophie se garde d'informer de ses actions son fiancé, un soldat engagé sur le front de l'Est.

La rose s'épanouit

En moins de quinze jours, les jeunes gens rédigent et diffusent 4 tracts, signés « La Rose blanche » (Die Weiße Rose). Imprimés dans l'atelier de Munich mis à leur disposition par l'écrivain catholique Théodore Haecker, ils sont diffusés de la main à la main, déposés chez des restaurateurs de la ville ou adressés par la poste à des intellectuels non-engagés, des écrivains, des professeurs d'université, des directeurs d'établissements scolaires, des libraires ou des médecins soigneusement choisis.

Les tracts font référence à d'éminents penseurs (Schiller, Goethe, Novalis, Lao Tseu, Aristote) et citent parfois la Bible. Les lecteurs sont invités à participer à une « chaîne de résistance de la pensée » en les reproduisant et en les envoyant à leur tour au plus grand nombre possible de gens.

Hubert Fürtwangler, Hans Scholl, Willi Graf et Alexander Schmorell, en partance pour le front, à la gare de l'Est de Munich ; Sophie Scholl les a rejoints

Là-dessus, Willi Graf est enrôlé dans l'armée en juillet 1942 et découvre nombre d'atrocités. Quant à Hans Scholl et Alexander Schmorell, incorporés comme maréchal des logis dans la Wehrmacht en tant qu'étudiants en médecine, ils passent trois mois sur le front russe et constatent avec effroi l'horreur des traitements infligés aux juifs, aux populations locales et aux prisonniers soviétiques.

À partir de novembre 1942, les résistants de La Rose Blanche bénéficient du soutien de leur professeur Kurt Huber (49 ans, catholique convaincu) de l'université de Munich, qui devient leur mentor. Ils réimpriment et diffusent leurs premiers tracts à des milliers d'exemplaires dans les universités allemandes et autrichiennes d'Augsbourg, Francfort, Graz, Hambourg, Linz, Salzburg, Sarrebruck, Stuttgart, Vienne et même de Berlin !

Le petit groupe collecte en même temps du pain pour les détenus de camps de concentration et s'occupe de leurs familles. Il est toutefois déçu par le peu d'écho de ses initiatives au sein de la population étudiante.

Prise de risque

Le hall de l'université de Munich où furent arrêtés les jeunes résistants.Là-dessus,  en janvier 1943, alors que la Wehrmacht est prise au piège de Stalingrad, le groupe rédige un cinquième tract franchement engagé. Il ne s'intitule plus « Tract de la Rose blanche » mais « Tract du mouvement de résistance en Allemagne ».

Il est distribué à cinq mille exemplaires dans les rues, sur les voitures en stationnement et les bancs de la gare centrale de Munich, mais aussi en-dehors de l'agglomération !

On peut y lire ces mots d'une tragique lucidité : « Appel à tous les Allemands
La guerre approche de sa fin certaine. (...)

Allemands ! Voulez-vous subir et imposer à vos enfants le même sort qui échut aux Juifs ? Voulez-vous être jugés à la même aune que ceux qui vous ont trompés ? Serons-nous pour toujours le peuple que le monde hait et exclut ? Non ! Alors rejetez cette barbarie national-socialiste... » (traduction : Sophie Lorrain). 

Plus fort encore, en février 1943, Hans Scholl et Alexander Schmorell écrivent la nuit des slogans sur les murs du quartier universitaire : « Liberté ! Hitler massacreur des masses ! A bas Hitler !... »

Une statue de Sophie Scholl, ornée de roses blanches, est aujourd'hui installée dans l'entrée de l'Université de Munich.Imprimé à plus de 2 000 exemplaires, distribué et envoyé par la poste, le sixième et dernier tract commente la défaite de Stalingrad, condamne les méthodes nazies et invite la jeunesse du pays à se mobiliser.

Comme quelques centaines de ces tracts n'ont pu être expédiés, Hans Scholl décide de les diffuser dans l'Université de médecine.

Malheureusement, le matin du 18 février 1943, Hans et sa soeur Sophie sont aperçus par le concierge de l'université en train de jeter un dernier paquet de tracts du haut du deuxième étage donnant sur le hall. Ils sont aussitôt arrêtés avec leurs amis, livrés à la Gestapo (la police politique) et emprisonnés à Stadelheim.

Un procès expéditif

Le 22 février 1943, après une rapide instruction, le Tribunal du peuple (Volksgerichtshof) chargé des « crimes politiques » se réunit pour un procès expéditif de trois heures.

Il est présidé par Roland Freisler, venu exprès de Berlin. Cet ancien communiste est l'un des chefs nazis les plus brutaux qui soient. Sophie Scholl, qui a eu une jambe brisée au cours de son « interrogatoire » par la Gestapo et comparaît sur des béquilles, lui fait face avec un courage inébranlable.

Freisler prononce lui-même la condamnation à mort pour trahison de Hans Scholl, de sa soeur et de leur ami Christoph Probst - baptisé quelques heures avant son exécution par un prêtre de la prison.

Sophie et Hans sont exécutés par les fonctionnaires de la prison de Stadelheim le jour-même après avoir revu une dernière fois leurs parents, Robert et Magdalene Scholl. Hans Scholl s'écrie « Vive la Liberté ! » avant de mourir sur la guillotine (cet instrument a été importé de France en Bavière au XIXe siècle, à la suite des guerres napoléoniennes). Depuis, les trois jeunes martyrs reposent les uns à côté des autres dans le cimetière voisin de la forêt de Perlach.

Christoph Probst, père de trois enfants, a été exécuté avec Sophie et Hans Scholl.Quelques mois plus tard, un second procès frappe quatorze accusés pris dans la même vague d'arrestations : le professeur Kurt Huber, Alexander Schmorell et son camarade Willi Graf sont condamnés à mort.

À l'automne 1943, le réseau de Hambourg est lui aussi démantelé par la Gestapo.

Dix autres membres de la Rose Blanche - amis des Scholl, jeunes étudiants des universités d'Ulm et de Sarrebruck, ou sympathisants actifs comme Eugen Grimminger qui les avait aidés financièrement - sont envoyés en camp de concentration où ils paieront aussi de leur vie leur participation aux activités du mouvement.

Malgré son caractère confidentiel, la Rose Blanche bénéficie d'une notoriété nationale et même mondiale. Le 27 juin 1943, parlant de « la naissance d'une foi nouvelle, celle de l'honneur et de la liberté », l'écrivain allemand en exil Thomas Mann lui rend hommage sur les ondes de la BBC tandis que durant l'été 1943, l'aviation anglaise jette sur le pays un million d'exemplaires du dernier tract rédigé par le professeur Huber.

L'ami de coeur de Sophie, qui était sur le front de l'Est, obtient une permission sitôt qu'il apprend son arrestation mais il arrive à Munich deux heures après son exécution. Il va entrer dès lors dans la résistance au péril de sa vie...

La Rose Blanche a vécu à peine un an mais la mémoire d'une lutte héroïque - contre la résignation et pour la défense de la liberté d'opinion lorsqu'elle est menacée -, elle, ne s'éteindra jamais.

Un film émouvant et vrai

Sophie Scholl, le dernier jourLe cinéaste allemand Marc Rothemund a réalisé en 2005 un film émouvant et rigoureux, Sophie Scholl, les derniers jours (en allemand Sophie Scholl, die letzten Tage). Il relate l'arrestation du groupe de jeunes gens, l'instruction de leur procès et leur exécution. Son film suit fidèlement la réalité historique telle que relatée dans le livre de souvenirs publié en 1953 par la soeur de Hans et Sophie Scholl : Die weisse Rose (mal traduit, l'ouvrage a répandu dans le public français quelques erreurs factuelles, notamment en traduisant le mot allemand Fallbeil par hache au lieu de guillotine).

Publié ou mis à jour le : 2024-11-25 17:41:25

Voir les 29 commentaires sur cet article

becimol (22-02-2023 14:42:49)

Y a-t-il à Munich une rue Sophie Scholl ou de la Rose Blanche?

Yves Petit (27-02-2022 13:49:02)

J'ai tellement aimé le courage et le patriotisme de Sophie et Hans Scholl que j'ai fait coulé (en allemand) sur une plaque de fonte fixée sur ma pierre tombale les dernières paroles de Sophie Scho... Lire la suite

Michèle (24-02-2019 09:23:02)

En France, ces héros allemands sont restés ignorés. Nous n'avons honoré que nos martyrs nationaux. Merci à Hérodote de me les faire découvrir à 88 ans !

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