Le 16 juillet 1942, à l'aube, débute la « rafle du Vél d'Hiv ». Elle voit l'arrestation par surprise de plus de treize mille Juifs parisiens de 2 à 60 ans, tous Juifs apatrides (il s'agit notamment de Juifs anciennement Allemands, Autrichiens ou Polonais). La plupart sont déportés au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Quelques dizaines en reviendront.
Ce crime contre l'humanité, dirigé contre les Juifs d'origine étrangère installés dans la région parisienne, scelle la Collaboration entre Vichy et l'occupant allemand inaugurée en octobre 1940.
Mais il entraîne aussi un début de fracture dans l'opinion française, jusque-là massivement indifférente ou attentiste. Certains citoyens basculent peu à peu dans la Résistance, de façon plus ou moins active ; d'autres, à l'inverse, se radicalisent et basculent dans l'antisémitisme et la collaboration.
La phase ultime de la « Solution finale »
Avec l'invasion de l'URSS, un an plus tôt, les Allemands ont entamé le massacre systématique des Juifs orientaux (le « génocide par balles »). La décision d’étendre l’extermination aux Juifs de Pologne est prise à l’automne et se concrétise avec le début des gazages à Chelmno en décembre 1941. En janvier 1942, lors d'une réunion secrète à Wannsee (Berlin), un groupe de dignitaires nazis jette les bases d'une extermination à l'échelle industrielle de tous les Juifs d'Europe.
L'été venu, fort de ses succès sur tous les fronts, Hitler prend le parti de déporter et exterminer les Juifs d'Europe occidentale, jusque-là relativement épargnés. Cette opération prend le nom de code : « Vent printanier », à la consonance poétique abjecte et cynique.
En France, jalouse de ses droits, l'administration de Vichy, tardivement informée, voudrait garder la main sur l'opération et en fixer elle-même les limites. Il est vrai qu'elle n'a pas attendu les ordres de l'occupant pour prendre des mesures contre les juifs...
Vichy dans l'engrenage
Le 3 octobre 1940, le gouvernement de Vichy promulgue une loi portant sur le statut des Juifs qui exclut ceux-ci de la fonction publique, des fonctions électives, des professions libérales et des médias et officialise la notion de «race juive». Cette loi, accueillie dans l'indifférence, est renforcée le 2 juin 1941 par un nouveau texte. Le 4 octobre, un décret-loi autorise l’internement en zone sud des Juifs étrangers dans des camps. Les Allemands demandent son extension en mai 1941 à la zone occupée.
Le 7 octobre 1940 est abrogé le décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui octroyait la nationalité française aux juifs d'Algérie. Ces derniers sont ramenés au statut de l'indigénat.
Le 29 mars 1941 est constitué le Commissariat général aux questions juives dont l'objet est l'« aryanisation » du commerce, de l'industrie et des biens juifs. Il est dirigé par Xavier Vallat puis, à partir de mai 1942, par Louis Darquier de Pellepoix.
En zone occupée, dès le mois de septembre 1940, les Allemands entreprennent le recensement des juifs français et étrangers.
Un décret du général von Stülpnagel, Oberbefehlshaber in Frankreich (« commandant suprême en France »), placardé sur les murs et publié dans les journaux, leur ordonne de se faire connaître en se présentant dans les mairies et commissariats de police. Là, on leur vend des étoiles jaunes (9 francs pièce), qu’ils doivent coudre sur leurs vêtements, et l'on tamponne sur leurs papiers d’identité le mot « Juif ».
Début juin 1942, les autorités d’occupation ordonnent le port de l’étoile jaune par tous les Juifs de plus de 6 ans. Cette mesure est refusée par Vichy et ne sera jamais appliquée en zone sud jusqu’à la Libération. Par contre, à partir de la mi-décembre 1942, les Juifs de l’ex-zone « libre » devront également faire tamponner leur pièces d’identité d’un cachet rouge « Juif ».
En zone occupée, à Paris, le 14 mai 1941, puis du 20 au 23 août à Paris, enfin le 12 décembre 1941, les Allemands procèdent à de premières rafles, avec le concours des agents de police. Se fondant sur le recensement de septembre 1940, ils visent les hommes juifs étrangers et français (à l'exclusion des femmes, des enfants et des vieillards).
Convocation individuelle, encerclement de quartier avec contrôle d'identité sur la voie publique ou encore arrestation à domicile, c'est au final plus de 8 700 personnes qui sont internées dans les camps d'administration française de Beaune-la-Rolande, Pithiviers (Loiret) et Drancy (région parisienne) et dans celui d'administration allemande de Compiègne (Oise).
Le ministre de l'Intérieur de Vichy n'apprécie pas toutefois que lors de la deuxième rafle figurent aussi des Français, notamment 200 intellectuels.
Compromission
Le 11 juin 1942, Himmler et son adjoint Eichman ayant projeté l'opération « Vent printanier », les Allemands se donnent pour objectif de déporter 15 000 juifs des Pays-Bas, 10 000 de Belgique et 100 000 de France, soit environ le tiers de tous les juifs du pays, français et étrangers confondus.
Théo Dannecker, qui représente en France Adolf Eichmann, décide dans un premier temps de déporter 40 000 Juifs de la zone nord, les Juifs de la zone sud devant faire l'objet de négociations avec le gouvernement de Vichy.
Les 2 et 3 juillet 1942, René Bousquet, le tout nouveau secrétaire général de la police de Vichy, négocie la mise en oeuvre de la déportation avec Karl Oberg, chef suprême de la SS et de la police allemande en France. Comme tous les dirigeants et fonctionnaires français, il se garde de demander aux Allemands des précisions sur la destination finale des déportés et croit (ou feint de croire) à la fable officielle de la création d'un État juif en Europe orientale...
Sur la demande insistante de René Bousquet et de Pierre Laval, vice-président du Conseil, Karl Oberg et son adjoint Helmut Knochen conviennent que les rafles ne concerneront que les Juifs apatrides. En contrepartie, Vichy accepte de superviser les forces de police de la zone occupée et promet de livrer 10 000 Juifs apatrides de la zone libre.
Entériné et scellé dès le lendemain 4 juillet par Laval et Pétain en conseil des ministres, l'accord précise que seront arrêtés dans la zone occupée les juifs apatrides (Allemands, Autrichiens, Polonais, Tchécoslovaques, Russes) des deux sexes, âgés de 16 à 45 ans, à condition qu'ils ne vivent pas en mariage mixte. Les mères allaitant et les femmes enceintes seront laissées libres. La surveillance des convois sera assurée par la gendarmerie française. Les fichiers juifs établis en 1940 seront envoyés à la direction de la police municipale quatre jours avant le début de l'opération.
À l'origine prévue du 13 au 15 juillet, la rafle sera repoussée au 16 par égard pour la fête nationale !
Horreur et héroïsme
Le 13 juillet 1942, le directeur de la police municipale de Paris Émile Hennequin signe une circulaire qui prévoit l'arrestation de 27 361 juifs d'origine étrangère, surtout dans les 11e, 18e et 19e arrondissements parisiens.
Le texte précise que les « autorités occupantes ont décidé l'arrestation et le rassemblement d'un certain nombre de juifs étrangers ». Il indique aussi que « les enfants de moins de 16 ans seront amenés en même temps que leurs parents », quelle que soit leur nationalité, et pris en charge sur place par l’Assistance publique.
Grâce à des fuites policières, certaines personnes ont la présence d'esprit de quitter leur domicile et de se cacher.
Au matin du 16 juillet 1942, près de 7 000 fonctionnaires d'autorité sont à pied d'oeuvre, aucun n'ayant refusé la mission. La plupart des policiers et gendarmes vont intervenir avec brutalité, dans le souci de prévenir toute résistance. Ils ont l'ordre de tirer sur les personnes qui tenteraient de s'enfuir. Le cas échéant, ils complètent les listes d'arrestations afin de respecter les quotas qui leur ont été imposés. Comme le rythme des arrestations paraît cependant trop lent aux autorités, les policiers arrêtent aussi des Juifs sur la voie publique... On recense une centaine de suicides.
Les actes de solidarité heureusement ne manquent pas : des policiers ont laissé fuir leurs victimes, des concierges, des voisins, des anonymes ont accueilli et caché les Juifs... Ces jours-là, beaucoup de Parisiens ouvrent les yeux sur la nature profonde du régime et de l'Occupation. Mais globalement, la rafle se déroule dans l’indifférence de la plus grande partie de la population.
- Les personnes seules et les couples sans enfant sont embarqués dans des autobus et convoyés vers le camp de Drancy, au nord de Paris.
- Les familles avec enfants sont quant à elles dirigées vers le Vélodrome d'Hiver, rue Nélaton, dans le XVe arrondissement de Paris.
Plus de 8 000 personnes dont une majorité d'enfants vont s'y entasser pendant plusieurs jours, parfois jusqu'au 22 juillet, dans des conditions sordides : pas de couchage, ni nourriture, ni eau potable, avec un éclairage violent jour et nuit, au milieu des cris et des appels de haut-parleurs. Seuls trois médecins et une dizaine d'infirmières de la Croix-Rouge sont autorisés à intervenir.
Les familles du Vél d'Hiv sont transférées de la gare d'Austerlitz vers les camps d'internement de Pithiviers et Beaune-la-Rolande, dans le Loiret. Au mois d'août suivant, les mères sont enlevées à leurs enfants par les gendarmes et convoyées vers les camps d'extermination de Pologne. Les enfants seront à leur tour envoyés deux semaines plus tard à Auschwitz-Birkenau qui, depuis le début juillet, s’est transformé de camp de travail forcé en camp d'extermination à l'échelle industrielle. Aucun n'en reviendra. Les internés de Drancy prennent également le chemin d'Auschwitz-Birkenau. Quelques dizaines tout au plus reviendront de l'enfer.
Au total, 13 152 hommes, femmes et enfants sont appréhendés par la police française les 16 et 17 juillet 1942. C'est beaucoup... et néanmoins deux fois moins que le quota fixé par les Allemands et la préfecture de police !
Au total, durant toute l'Occupation, de 1940 à 1944, les persécutions antisémites feront en France 76 000 victimes dont 24 500 Juifs de nationalité française, y compris dans la zone administrée par Vichy, où une grande rafle est déclenchée le mois suivant, le 26 août 1942. À ces victimes mortes en déportation s'ajoutent, selon l'historien Serge Klarsfeld, 3 000 Juifs morts dans les camps d'internement ou exécutés comme otages ou résistants, pour une communauté de 330 000 membres dont 190 000 étrangers.
Épilogue
Pendant cinquante ans, les gouvernants français ont considéré que la rafle du Vél d'Hiv était imputable à l'occupant nazi et à ses servants. La République française s'étant exilée à Londres en la personne du général de Gaulle, elle n'avait rien à voir avec ce crime. Les Français eux-mêmes ne pouvaient être collectivement rendus coupables du crime.
Ce point de vue officiel a été altéré par le film de Marcel Ophüls, Le Chagrin et la Pitié (1971) et surtout par le livre de l'historien américain Robert Paxton : La France de Vichy (1973). Cela pour aboutir le 16 juillet 1995 à un discours du président Jacques Chirac, à l'occasion de la commémoration de la rafle. Dans ce discours vibrant et émouvant, le président a reconnu « que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français ».
Mais il a aussi ajouté : « La France, patrie des Lumières et des Droits de l'Homme, terre d'accueil et d'asile, la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux ». Cette phrase paraît avoir dépassé sa pensée et celle de la rédactrice du discours, Christine Albanel, en suggérant que la France s'est collectivement rendue coupable. Pour l'ancien garde des sceaux Robert Badinter, c'est du gouvernement de Vichy qu'il eut fallu parler et de lui seul, la grande masse des Français et des agents de l'autorité publique ayant protégé les Juifs autant qu'il leur était possible, ainsi que l'a montré l'historien Jacques Semelin.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Michel (14-08-2018 11:28:56)
Décidément la France a des difficultés avec son passé. Il a fallu que l'évocation des compromissions de l'Etat et de l'administration française avec l'occupant soit évoquée par un canadien (Pa... Lire la suite
Epicure (16-07-2018 14:53:38)
Facile aux générations innocentes d'accabler ceux qui n'ont rien fait: en France, en Allemagne, les années 50/60/70/80/ furent celles de la compromission tous azimuts! On commence à Poirsuivre les... Lire la suite
PIERRE (16-07-2018 13:25:00)
Les appréciations laudatives à propos de certain lugubre président, complice et ami du sinistre Bousquet, ne peut que nous mettre mal à l'aise face à une si pitoyable méconnaissance de faits mon... Lire la suite