Du 3 au 6 juin 1942, les flottes japonaise et américaine s'affrontent près de l'île de Midway, au coeur du Pacifique. Pour la première fois dans une bataille navale, l'aviation fait figure de vedette.
Coup fatal pour les Japonais qui perdent les quatre porte-avions engagés dans la bataille. C'est leur deuxième échec dans leur « guerre de Quinze Ans » (1931-1945) après leur défaite face aux Soviétiques dans la bataille de chars de la rivière Khalkhin Gol, en septembre 1939.
Remis de leur choc de Pearl Harbor, six mois plus tôt, les Américains, qui bénéficient d'une écrasante supériorité militaire et industrielle, vont peu à peu regagner le terrain perdu...
Après leur attaque surprise de Pearl Harbor, les Japonais avaient effectué une progression foudroyante dans le Pacifique et l'Insulinde. S'emparant des Philippines, des îles Salomon, de l'Indonésie et même de Singapour, fleuron de l'Empire britannique, ils en étaient arrivés à menacer Calcutta (Inde) et à bombarder Port-Darwin (Australie). Ces succès, spectaculaires, n'en étaient pas moins illusoires. L'Empire du Soleil levant ne faisait pas le poids face aux États-Unis, au moins dix fois plus riches, plus industrialisés et abondamment pourvus en matières premières et en pétrole.
Les gouvernants japonais, à commencer par le Premier ministre Tojo, en étaient conscients. Ils avaient seulement l'espoir d'amener Washington à une paix de compromis grâce à leurs victoires foudroyantes. Mais ce n'était pas dans l'intention des Américains qui s'étaient mis en ordre de bataille et préparés à la contre-offensive.
Le 15 avril 1942, le général Douglas MacArthur prend le commandement en chef des opérations du Pacifique.
Trois jours plus tard, le 18 avril 1942, le colonel Doolittle effectue un raid audacieux sur Tokyo avec seize bombardiers qui ont par un fait exceptionnel décollé depuis un porte-avions l'USS Hornet, sous la protection du porte-avions USS Enterprise et de ses propres chasseurs !
Ce fait d'armes secoue l'opinion publique japonaise car c'est la première fois de son histoire que l'Empire du Soleil levant est attaqué sur son propre sol. L'insularité ne le protège plus...
L'amiral Isoroku Yamamoto, qui commande la Marine impériale japonaise, va dès lors concentrer ses offensives sur les porte-avions ennemis et mettre en avant ses propres porte-avions et leurs redoutables chasseurs Zero. Il a étudié à Harvard et vécu aux États-Unis dans les années 1920. Lucide sur la puissance américaine, c'est à contre-cœur qu'il a monté (et réussi) l'attaque de Pearl Harbor.
La prise de la base de Midway, à 1150 milles marins au nord-ouest d'Honolulu, à l'extrémité de l'archipel des Hawaï, lui apparaît indispensable pour maîtriser le Pacifique central et repousser la flotte américaine à l'Est du 180e méridien (ligne de changement de date).
La situation devient d'autant plus préoccupante pour les Japonais qu'ils échouent dans leur attaque contre Port-Moresby, capitale de la Nouvelle-Guinée, lors de la bataille de la mer de Corail, les 7 et 8 mai 1942. Ils se satisfont toutefois de la destruction d'un porte-avions américain, le Lexington.
Cette bataille navale est la première de l'Histoire qui fasse exclusivement appel aux avions de l'aéronavale. Elle stoppe la progression des Japonais dans le Pacifique Sud et lève la menace sur l'Australie.
Mais les Américains captent des messages ultra-secrets, rédigés dans le code « Pourpre » que les Japonais croyaient inviolable. Ces messages leur dévoilent les visées de l'amiral Yamamoto sur Midway.
C'est ainsi que l'amiral Chester Nimitz place sa flotte aux aguets au nord-est de l'atoll, sous le commandement de l'amiral Fletcher, spécialiste de l'aéronavale.
Cette force se compose de trois porte-avions : le Hornet et l'Enterprise, revenus du raid sur Tokyo, ainsi que le Yorktown, de retour de la bataille de la mer de Corail après réparations.
Entre temps, trois escadres japonaises convergent vers Midway : une force d'attaque composée de quatre porte-avions avec escorte sous le commandement de l'amiral Nagumo, celui-là même qui a effectué l'attaque contre Pearl Harbor. Les porte-avions ont aussi participé à cette première attaque de la guerre du Pacifique. Il s'agit de l'Akagi, du Kaga, du Soryu et du Hiryu.
La seconde escadre est une force d'invasion de 5 000 hommes de troupe, transports et escorte et la troisième, à 300 milles nautiques en arrière, est un corps de bataille composé de cuirassés dont le fameux Yamato sur lequel se trouve l'amiral Yamamoto lui-même.
La reconnaissance aérienne américaine, à partir de Midway, ne repère la flotte ennemie que très tardivement dans la soirée du 3 juin et encore n'est-ce que la force d'invasion sans les porte-avions.
À l'aube du 4 juin, les Japonais lancent des vagues de bombardiers et de chasseurs sur la base de Midway.
La chasse américaine basée à terre, totalement surclassée, est décimée et la contre-attaque par les bombardiers et torpilleurs de la base est un échec total. Elle se solde par de lourdes pertes.
Mais les résultats de ces premiers bombardements ayant été jugés insuffisants, une deuxième vague est décidée. Les Japonais arment donc leurs avions en vue d'une nouvelle attaque terrestre.
Cependant, la flotte américaine de Nimitz et Fletcher a repéré les positions de l'ennemi et sait maintenant où le frapper. Une escadrille d'avions-torpilleurs attaque les navires japonais mais les canons antiaériens et les chasseurs nippons abattent les assaillants jusqu'au dernier sans endurer aucun coup au but.
Malgré le succès de la riposte, l'amiral Nagumo hésite à poursuivre l'offensive, ayant eu vent de la présence de porte-avions ennemis à portée de vol. D'un côté, ses avions sont prêts pour une attaque terrestre, de l'autre, la flotte adverse est dans les parages, prête à contre-attaquer. Que faire ? Nagumo hésite toujours entre une attaque terrestre et une bataille navale.
Entretemps, un deuxième assaut d'avions-torpilleurs s'avère tout aussi désastreux pour les Américains. Tous sont abattus sans aucun coup au but.
L'amiral choisit dès lors l'option navale. On réarme à la va-vite les chasseurs en version navale, en laissant traîner les bombes terrestres dans les hangars des entre-ponts, et l'on rassemble les avions sur les ponts, prêts au lancement. C'est alors que la chance, qui jusqu'alors a boudé les Américains, change de camp.
Des escadrilles de chasseurs-bombardiers américains, qui se sont glissés entre les nuages jusqu'au-dessus de la flotte japonaise, plongent en piqué sur celle-ci avant que les chasseurs nippons aient eu le temps de prendre de l'altitude. La surprise est totale et quand les Japonais reprennent leurs esprits, les avions ennemis sont déjà repartis.
Trois porte-avions sont en feu, ravagés par les explosions des bombes oubliées dans les entre-ponts. Deux coulent rapidement et un troisième sombre le lendemain à l'aube. Il en reste un dernier, le Hiryu, intact. Yamamoto décide de l'engager sans tarder. L'amiral croit que les Américains n'alignent que deux porte-avions, le Hornet et l'Enterprise. Il ne sait pas que leYorktown, endommagé pendant la bataille de la mer de Corail, est aussi présent.
Les avions de reconnaissance nippons cherchent longtemps l'escadre ennemie et ne la trouvent que dans l'après-midi du 5 juin. Une attaque est aussitôt lancée au cours de laquelle le Yorktown est sérieusement touché.
Mais la réplique ne tarde pas, les bombardiers en piqué américains surprennent le Hiryu dans les mêmes conditions que les porte-avions de la veille. Le navire sombre durant la nuit.
Yamamoto n'ayant plus d'avions ni de porte-avions se voit forcé d'annuler l'opération Midway.
Le 6 juin, les avions américains poursuivent le reste de la flotte en retraite, qui n'a plus de protection aérienne, mais ils obtiennent peu de résultats: seulement un croiseur désemparé (se dit d'un navire qui ne peut plus se déplacer par ses propres moyens).
La pièce n'est pas entièrement jouée. Le Yorktown a été gravement endommagé et on l'a évacué car on le croit perdu. Mais il flotte encore. Il s'apprête à rentrer au port sur ses propres machines, assisté par un destroyer, quand un sous-marin japonais qui passait par-là envoie les deux navires par le fond.
Au total, outre leurs quatre porte-avions et un croiseur lourd, les Japonais ont perdu à Midway 332 avions. Leurs pertes humaines s'élèvent à 3 500 hommes, y compris beaucoup de pilotes chevronnés. Les Américains déplorent quant à eux la perte d'un porte-avions, le Yorktown, d'un destroyer, de 147 avions et de 300 hommes.
En marge de la bataille principale, qui se solde par une défaite irrémédiable pour l'aéronavale japonaise, une quatrième escadre japonaise réussit quant à elle sa mission. Elle attaque et prend les îles d'Attu et de Kiska, dans l'archipel des Aléoutiennes, dans les eaux glacées du Pacifique Nord.
L'opération lui est facile car ces îles ne sont pas défendues, n'ayant pas le moindre intérêt stratégique. Il y a seulement sur Attu une dizaine de militaires non armés qui s'occupent de la station météorologique. Cet archipel de pêcheurs de crabes est loin de tout (plusieurs jours de mer) et inutilisable sur le plan militaire la moitié de l'année à cause du mauvais temps.
L'attaque a été conçue comme une diversion pour disperser les forces américaines, mais celles-ci ne sont pas tombées dans le panneau.
Avec la bataille de Midway, la guerre du Pacifique amorce un tournant radical. Le Japon, qui subit là sa première défaite, perd définitivement l'initiative... seulement six mois après son entrée en guerre. Quatre mois plus tard, c'est au tour de son alliée, l'Allemagne hitlérienne, de subir à El-Alamein sa première défaite.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
bgire (02-06-2024 14:49:36)
Il est dommage qu'en 2024 cet article perpétue encore la version qu'on sait à présent erronée dont l'origine remonte au compte rendu de Mitsuo Fuchida au début des années cinquante.
On sait depuis l'ouvrage Shattered Sword (2005) des historiens américains Parshall et Tully, qui se sont basés non pas sur les écrits de Fuchida mais sur les journaux de bord des porte-avions japonais (évacués avant leur sabordage) et les journaux des officiers sur place, que les avions japonais n'étaient pas sur les ponts des porte-avions, prêts à décoller lors de l'attaque fatale des américains, mais encore à 40-45mn d'y être hissés.
Deux raisons à cela :
- Les incessantes attaques ratées des avions américains obligeaient les japonais à laisser les ponts des porte-avions dégagés pour accueillir, réarmer et ravitailler les patrouilles de défense des navires (chasseurs Zero) qui devaient contrer celles-ci en permanence. Le sacrifice des américains n'a pas été inutile sur ce plan.
- Sur les avions japonais les étriers de fixation des bombes et des torpilles n'étaient pas compatibles : il fallait les changer en plus des munitions, ce qui prenait environ 10 à 15mn par avion. Le timing rapporté par les journaux de bord montre qu'il aurait fallu 40 à 45mn de plus pour commencer à hisser les avions sur le pont et encore autant pour lancer le raid. On est très loin des 5mn de la légende.
Ironie de l'Histoire, ce sont les japonais qui, à leur insu, ont guidé l'escadrille victorieuse américaine vers leur flotte de porte-avions. Tout commence quelques heures plus tôt : le sous-marin américain Nautilus (SS-168) trouve l'escadre japonaise et attaque à la torpille le cuirassé Kirishima, puis le porte-avions Kaga. Les torpilles américaines, défectueuses, ne fonctionnent pas mais le Nautilus se fait grenader à chaque fois. Les japonais détachent enfin le destroyer Arashi pour "finir le travail", sans succès.
l'Arashi met ensuite le cap à pleine vitesse, tout droit pour ralier la flotte nippone. c'est alors qu'il est repéré par les bombardiers en piqué Dauntless du commandant Mc Clusky qui désespérait de trouver les japonais et a l'intuition de le suivre. On connait la suite.
Le Nautilus aura tiré 5 torpilles sans aucun succès et encaissé 42 charges de profondeur... pour être indirectement à l'origine de la victoire américaine. Son commandant recevra pour cela la Navy Cross.
Georges van Osselaer (06-12-2009 19:53:29)
Je cite : "Comme celui-ci était identique à l'ENTERPRISE, le sous-marin qui a en finale coulé le YORKTOWN a cru couler l'ENTERPRISE. Les japonais croyaient donc en être à un porte avion de chaque côté."
Ce 'détail' n'entre pas jeu dans la bataille elle-même puisque les faits ce sont déroulés après les évènements, les Japonais déjà en retraite.
Eric Fischer (18-10-2006 21:37:01)
Turning point de la guerre du Pacifique, la bataille de Midway est d'abord une somme d'erreurs et d'hésitations du commandement japonais; à cela s'ajoute une noire malchance: la panne de l'hydravion de reconnaissance du croiseur Tone, chargé précisément du secteur où se trouvent les porte-avions américains.