Le mercredi 22 octobre 1941, à Châteaubriant, en Bretagne, les Allemands fusillent 27 détenus (dont Guy Môquet) en riposte à l'assassinat du commandant allemand de Nantes, le Feldkommandant Karl Hotz.
Celui-ci a été abattu deux jours plus tôt, le 20 octobre, en plein centre de Nantes, par un militant communiste, Gilbert Brustlein, qui a aussi participé les jours précédents au déraillement d'un train de permissionnaires allemands. Le 21 octobre, à Bordeaux, c'était au tour d'un conseiller militaire allemand, Hans Reimers, d'être abattu par un autre résistant communiste, Pierre Rebière.
Les auteurs de ces attentats ont agi sur ordre du parti communiste clandestin, entré en résistance après l'invasion de l'URSS par la Wehrmacht le 22 juin 1941. Sans succès, les Allemands offrent 15 millions de francs à toute personne qui leur fournirait des renseignements sur eux.
À l'hôtel Majestic de Paris, le général Otto von Stülpnagel, chef de l'administration militaire d'occupation, décide aussitôt de faire exécuter 50 otages pour l'attentat de Nantes et autant pour celui de Bordeaux en application de l'ordonnance du 28 septembre, dite « code des otages ».
Le général, qui a déjà fait exécuter 15 otages le mois précédent, choisit 27 noms sur une liste de 61 détenus du camp d'internement de Choisel-Châteaubriant. La liste lui a été fournie par les services du secrétaire d'État à l'Intérieur Pierre Pucheu, collaborateur du maréchal Pétain à Vichy. Pierre Pucheu lui-même aurait fait un pré-tri en sélectionnant les internés communistes jugés par lui « particulièrement dangereux » !
Notons que Pierre Pucheu sera condamné à mort et fusillé à Alger le 26 octobre 1944 par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, en raison de sa collaboration avec l'ennemi. Notons aussi que le maréchal Pétain, révulsé par l'affaire, propose d'aller lui-même se livrer en échange des otages mais il en est promptement dissuadé par son entourage. Il se contente de recommander aux Français de dénoncer les meurtriers et interdit aux préfets de participer dorénavant à l'établissement des listes d'otages.
Le 22 octobre, en début d'après-midi, les gardes allemands assistés d'un lieutenant français procèdent à l'appel des otages dans les baraques du camp de Choisel-Châteaubriant.
Les futures victimes ont 30 minutes pour écrire une dernière lettre à leurs proches. Après quoi, chantant la Marseillaise avec leurs camarades de détention, ils montent dans les camions qui vont les transporter à la carrière de la Sablière, à deux kilomètres du camp.
Ils refusent de se faire bander les yeux. Face aux 90 SS du peloton d'exécution, 9 poteaux. Trois salves. Les victimes meurent en chantant jusqu'au bout la Marseillaise. Parmi elles, des militants connus comme Jean-Pierre Timbaud et Charles Michels, d'autres qui le sont moins, comme Huynh Khuong An (29 ans), professeur de français d'origine vietnamienne, et Guy Môquet (17 ans).
Le père de Guy Môquet, député communiste, a été interné en octobre 1939 en Algérie en raison de son soutien au pacte Hitler-Staline.
Son fils, élève au lycée Carnot, à Paris, s'engage activement dans les Jeunesses communistes. Pendant l'Occupation, durant l'été 1940, il distribue des tracts qui dénoncent le régime parlementaire d'avant-guerre : « Des magnats d'industrie (Schneider, de Wendel, Michelin, Mercier [...]), tous, qu'ils soient juifs, catholiques, protestants ou francs-maçons, par esprit de lucre, par haine de la classe ouvrière, ont trahi notre pays et l'ont contraint à subir l'occupation étrangère ».
Il est arrêté le 13 octobre 1940 lors d'une distribution de tracts à la Gare de l'Est par trois policiers français dans le cadre du décret-loi Daladier du 26 septembre 1939 interdisant la propagande communiste contre l'effort de guerre (juste après l'ouverture des hostilités contre l'Allemagne).
Dans les années qui vont suivre, le Parti communiste exploitera la mort de l'innocent Guy Môquet et de ses camarades pour faire oublier son retard à s'engager dans le combat contre l'occupant. Cette récupération laisse dans l'oubli nombre de jeunes Français de toutes obédiences qui sont tombés les armes à la main dès les premiers mois de l'Occupation. La mémoire est due à toutes les victimes.
Pour faire le compte, Otto von Stülpnagel ordonne de fusiller également le même jour 16 otages nantais sur le champ de tir du Bêle, près de Nantes, et 5 otages au mont Valérien, près de Paris.
Parmi eux, d'authentiques résistants : André Le Moal (17 ans) et d'autres gaullistes de vingt ans ou moins (Jean-Pierre Glou, Frédéric Creusé, Jean Grolleau, Jean Platiau, Maurice Allano...) dont les noms ont été oubliés. En tout sont fusillés 31 communistes et 17 non-communistes, y compris les martyrs de Châteaubriant.
En répression de l'attentat de Bordeaux, le commandant militaire allemand ordonne par ailleurs d'exécuter 51 détenus bordelais. Ces derniers sont fusillés les 23 et 24 octobre au camp de Souges, près de la métropole aquitaine.
L'Histoire retient du jeune otage Guy Môquet la poignante lettre ci-dessous, écrite en prison avant son exécution. C'est une lettre intime, de piété filiale, sans contenu politique, comme en ont écrit de nombreux jeunes Français fusillés pour avoir résisté les armes à la main à l'occupation allemande.
Ma petite maman chérie,
mon tout petit frère adoré,
mon petit papa aimé,
Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. Je n'ai pas eu le temps d'embrasser Jean. J'ai embrassé mes deux frères Roger et Rino. Quant au véritable, je ne peux le faire hélas ! J'espère que toutes mes affaires te seront renvoyées elles pourront servir à Serge, qui je l'escompte sera fier de les porter un jour. A toi petit papa, si je t'ai fait ainsi qu'à ma petite maman, bien des peines, je te salue une dernière fois. Sache que j'ai fait de mon mieux pour suivre la voie que tu m'as tracée.
Un dernier adieu à tous mes amis, à mon frère que j'aime beaucoup. Qu'il étudie bien pour être plus tard un homme.
17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous. Je vais mourir avec Tintin, Michels. Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine.
Je ne peux en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi maman, Serge, papa, en vous embrassant de tout mon cœur d'enfant. Courage !
Votre Guy qui vous aime.
Guy
Dernières pensées : vous tous qui restez, soyez dignes de nous, les 27 qui allons mourir !
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Maurice (24-10-2021 16:38:21)
Quelques réflexions et précisions.
Le (sous) lieutenant, s’appelait Touya. Ce n’était pas qu’un officier faisant son devoir, c’était un garde chiourme zélé.
Parmi les nombreux témoignages sur le comportement de cet officier : les propos tenus à Odette Nilès
« Le lieutenant Touya nous a accueillies avec son chien et sa badine : "Je vous materai comme j'ai maté les Espagnols à Argelès » (Témoignage d’Odette Nilès internée à Châteaubriant - extrait article du Point 4-11-2010). Touya sera placé en résidence surveillée à la libération, plus-tard nommé Capitaine et décoré de la Légion d’Honneur ...
André Larané a visiblement une dent contre la résistance communiste et ne rate pas une occasion de mordre et une nouvelle fois dans l’encadré : « Guy Môquet récupéré par la propagande communiste ». Il y aurait beaucoup à dire sur les raccourcis utilisés et les angles d’analyses.
Le pêché originel, c’est le pacte germano-soviétique et les communistes qui ont attendu sa rupture pour bouger. Vrai et faux. Vrai pour la lutte armée, mais faux pour la lutte contre le régime fasciste qui se met en place. Faut-il rappeler que depuis la fin 1939, cela a commencé avec les 80 parlementaires de toutes tendances politiques refusant de donner les pleins pouvoirs à Pétain et déchus, puis après, la chasse aux opposants politiques et aux syndicalistes (n’oublions pas les syndicalistes CGT (J.P Timbaud … et bien d’autres). Fin 1939, le PCF est interdit, la plupart de ses cadres emprisonnés, ses militants pourchassés, arrêtés, condamnés (c’est dans ces derniers qu’ont été choisis les otages).
Prosper Môquet est arrêté et condamné en octobre 1939 avec 44 députés du groupe parlementaire « ouvrier et paysan français » (créé suite à la dissolution du groupe communiste en septembre) pour avoir refusé de condamner le pacte germano-soviétique et non soutenu comme écrit.
Quel parti politique est entré en tant que tel dans la lutte armée avant 1941 ?
Oui, la direction du PCF a commis des erreurs d’appréciation et de jugement avant, pendant et après (Telle l’affaire Guingouin par ex. Guingouin qui combattant, sitôt remis de blessure et libéré, appellera à lutter contre l’occupant en août 1939 de même qu’un autre limousin Edmond Michelet, fervent catholique). Elle seule ? Que dire d’un grand résistant, Henri Fresnay ,qui restera un temps un pied chez de Gaulle et l’autre chez Pétain, qui fera libérer ses militants en intervenant auprès de Pucheu, qui avait établit la liste des otages ? (cf France de la tragédie à l’espoir - herodote) ?
Époque tragique, trouble, traversée par la France, époque de bravoures, d’erreurs et aussi de trahisons. Ils serait peut-être temps 80 ans après de cesser les interminables débats.
En ce mois d’octobre, la Loire-Atlantique commémore les 80 ans des 50 otages. Des manifestations sont organisées sur les lieux d’exécutions comme tous les ans, au Mont-Valérien, au Champ de tir du Bêle à Nantes, des spectacles culturels rappellent l’Histoire aux adultes et aux enfants.
Il y avait 5000 personnes à la commémoration des 80 ans de l’exécution des 27 otages de Châteaubriant le dimanche 17 octobre dernier. 27 des 50, les autres martyrs (48) ne sont pas oubliés. Ceux de Châteaubriant étaient communistes, sauf 2, « seulement » syndicalistes. C’est un fait. Oui le PCF n’oublie pas ses militants. S’il ne l’avait pas fait, c’est l’histoire de tous les otages qui serait oubliée. « Guy Môquet récupéré par la propagande » ? Voilà un article bien maladroit et mal venu. Guy Môquet a été comme d’autres arrêté par la police de Vichy et livré à la barbarie nazie. C’est un symbole oui et je comprends que les communistes maintiennent la flamme du souvenir et pas seulement pour « leurs » morts, et ce n’est pas leur faute si d’autres sont oublieux. Pour faire oublier son retard à l’allumage ? Allons donc, beaucoup pourraient être alors accusés de la même chose. AS, MUR, MLN, FTP … Tous combattaient et risquaient leurs vies pour libérer le pays.
5000 personnes, 80 ans après, loin d’être tous communistes. J’y étais et je ne suis pas adhérent du PCF.
Enfin, à-propos du pacte germano-soviétique, il serait intéressant de se pencher sur l’attitude des responsables anglais et français, de leur lâcheté et de leur responsabilité dans la signature de ce pacte ? « Vous vouliez la paix, vous vouliez sauver l'honneur: vous aurez la guerre et le déshonneur ...» Winston Churchill
Ce désaccord avec André Larané n’entache le respect que j’ai pour lui et je remercie herodote pour tous les articles et contributions notamment sur la seconde guerre mondiale.
Jean Paul MAÏS (03-01-2021 12:25:14)
"Le PCF (le Parti des Fusillés) exploitera la mort de l'innocent Guy MOQUET et de ses camarades pour faire oublier son retard … bla, bla, bla"
En retard peut-être, mais moins que d' autres ! Relisez l' histoire de Georges GUINGOUIN !
Erik (22-10-2016 21:47:11)
C'est triste à écrire, mais si les guerres étaient inutiles, ça se saurait...
santucci mp (22-10-2007 14:17:33)
Comme toujours les meilleures intentions provoquent des effets pervers. Doit-on se priver de rappeler les valeurs essentielles contenues dans la lettre de Guy Moquet au prétexte que d'autres ont écrit le même type de lettres et ne sont pas cités ? Quand cesserons-nous enfin de voir les verres à moitié vides et de tout ramener à l'appartenance politique ? Pauvre France !!!
Don Jacques (22-10-2007 01:54:14)
Plutôt que cette lettre, il aurait mieux valu proposer de lire le texte de Rudyard Kipling, Lettre à mon fils qui se termine par cette phrase: "…et ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire, TU SERAS UN HOMME MON FILS." Cette lettre est en effet d'une portée bien plus générale et grande que celle de Guy Moquet, si touchante que l'on puisse estimer cette dernière.
Michel (21-10-2007 23:33:14)
L'instrumentalisation, nouveau mot à la mode qu'on lit ou entend sans cesse. Cette lettre est poignante et je trouve qu'il est très bien qu'elle soit lue à notre jeunesse. A notre époque, lui montrer qu'il y a autre chose dans la vie que l'argent et l'apparence ne peut lui être que bénéfique.Ce n'est peut-être pas dans cette optique qu'il a été demandé aux enseignants de la lire.
Jeanine (21-10-2007 22:33:59)
J'avais 18 ans en 1940. J'ai vécu la guerre. On devrait lire la lettre, si émouvante, mais de façon anonyme, comme on honore le "soldat inconnu".Pas de raison de favoriser un martyr plus que les autres. Ce qui compte,c'est montrer l'imbécillité , la cruauté et...l'inutilité des guerres. Jeanine
F. Cornibert (20-10-2007 17:41:13)
Lundi 22 octobre, je participerai à la lecture de la lettre de Guy MOQUET, mais d'autres lettres seront lues à cette occasion.
Un débat suivra car il est indispensable de sensibiliser notre jeunesse à certaines valeurs qui sont celles de la patrie et du sacrifice.
Alsacien, né avant la guerre, je connais ces valeurs à travers les sacrifices de membres de ma famille durant les conflits de 14/18 et 49/45.
Michel (23-09-2007 23:37:41)
Je ne comprends pas bien les trois dernières réactions. C'était un tout jeune homme qui distribuait des tracts contre le gouvernement de Vichy. Sa lettre est très émouvante. Il est inadmissible qu'elle ait été lue à la veille d'un match de rugby, où est l'esprit sportif ? on peut s'en inquiéter d'autant plus que l'entraîneur qui a fait lire cette lettre doit entrer au gouvernement.
jpp (16-09-2007 18:22:13)
M. Sarkozy plagie le général qui avait, à la fin de la guerre, appelé les communistes dans son gouvernement...
oui de la politique politicienne qui ne "marche" que le temps de l'llusion gaullienne ou sarkozienne...!