19 avril 1941

Le retour des intendants d'Ancien Régime

Par la loi du 19 avril 1941, Philippe Pétain, chef de l’État français, institue dix-sept préfets régionaux avec mission de relayer l'action du gouvernement et de surveiller les administrations départementales.

L’article 1er de la loi indique que « des pouvoirs spéciaux de police et des pouvoirs spéciaux en matière économique » leur sont conférés. Ces nouveaux magistrats se voient reconnaître des attributions réglementaires « relatives à la production, à la répartition et à la distribution des produits alimentaires et denrées ainsi qu’à la fixation de leur prix » (art. 2).

Les sièges des préfectures régionales sont fixés par décret en « zone libre » à Lyon, Marseille, Montpellier, Clermont-Ferrand, Toulouse et Limoges ; en « zone occupée », à Angers, Dijon, Orléans, Rennes, Rouen, Poitiers, Bordeaux ; en « zone interdite », à Nancy, Laon, Châlons-sur-Marne et à Lille, préfecture rattachée à l’administration militaire de Bruxelles. Il s'agit ni plus ni moins de redonner vie aux intendants et aux provinces d'Ancien Régime.

André Larané

Nostalgie de l'Ancien Régime

Le 12 octobre 1940, le gouvernement de Vichy a déjà supprimé les conseils généraux qui administraient les départements en partenariat avec le représentant du gouvernement, le préfet. Il ne s'agit pas que des conseillers élus viennent entraver l'action de ce dernier !

La nomination des quinze préfets régionaux accentue la centralisation du pouvoir en plaçant les préfets départementaux sous surveillance renforcée et en leur enlevant une partie de leurs pouvoirs.

Pour le Maréchal (85 ans), les dix-sept préfets régionaux préfigurent aussi la restauration des provinces de l'Ancien Régime et de leurs intendants, agents tout-puissants du roi. De fait, leur ressort territorial coïncide généralement assez bien avec les principales provinces d'antan. C'est qu'au début de la Révolution, les députés avaient forgé les départements en découpant simplement les provinces. Il a suffi au gouvernement de Vichy de rassembler les mêmes départements pour reconstituer ces dernières.

Pour l'heure, les nouvelles entités sont désignées par leur chef-lieu (région de Rennes...) ; après la Libération, on les baptisera sans gêne du nom de ces provinces (Bretagne...).

Indignation à géométrie variable

Beaucoup de Bretons se scandalisent aujourd'hui non de la loi vichyste du 19 avril 1941 mais d'un décret rectificatif du 30 juin suivant. Ce décret a en effet enlevé au préfet de la région de Rennes, aujourd'hui la Bretagne, le département de Loire-Inférieure (aujourd'hui Loire-Atlantique) et son chef-lieu Nantes, qui fut jusqu'au XVIe siècle la capitale du duché de Bretagne. La Loire-Inférieure est depuis lors rattachée à la région d'Angers, aujourd'hui les Pays de la Loire.
Ainsi instrumentalise-t-on Pétain pour contester l'amputation de la Bretagne mais on l'oublie pieusement quand il s'agit d'évoquer la recréation de la Bretagne et des autres provinces d'Ancien Régime !

Restauration de la République

À la Libération, le général de Gaulle, pragmatique, conserve les préfets régionaux mais les rebaptise d'une expression à consonance plus révolutionnaire : Commissaires de la République. La loi du 21 mars 1948 les remplace par des Inspecteurs généraux de l'administration en mission extraordinaire, plus simplement appelés Igames ! Il ne s'agit encore que de faciliter les rouages administratifs.

Mais dès le début de la IVe République se fait jour le besoin d'aménager le territoire. En 1947, Jean-François Gravier dénonce l'hypertrophie parisienne dans un livre à succès : Paris et le désert français. Le président du Conseil Edgar Faure décide d'y remédier en 1955 en lançant des programmes d'action régionale avec des objectifs à cinq ans.

Le Commissariat au Plan en prend la responsabilité. Evidemment, les départements sont trop petits pour ce genre d'actions. Il y faut des entités plus grandes. Un arrêté du 28 novembre 1956 définit donc 19 puis 22 « régions de programme ». Un jeune énarque, Serge Antoine, est chargé d'en dessiner les contours en prenant en compte les solidarités régionales. Et c'est ainsi que reviennent à la surface les subdivisions de Vichy, à quelques différences près comme l'ajout de la Franche-Comté, de la Haute- et de la Basse-Normandie, plus tard de la Corse et des cinq régions d'outre-mer (y compris Mayotte).

Leurs noms sont pour la plupart calqués sur les provinces et les généralités de l'Ancien Régime, lesquelles sont elles-mêmes des circonscriptions artificielles nées des conquêtes et des unions matrimoniales, souvent sans grande unité géographique, économique et humaine (à l'exception de six d'entre elles : Picardie, Franche-Comté, Bretagne, Corse, Lorraine, Alsace).

Les nouvelles régions de programme sont de simples établissements publics sans aucun enjeu politique. Elles laissent l'opinion publique parfaitement indifférente. 

Un décret du 14 mars 1964 instaure ou plutôt rétablit des préfets de région. La plupart des administrations centrales prennent l'habitude de déconcentrer leurs services au niveau des régions, à quelques exceptions notables (académies, ressorts judiciaires, régions militaires, agences de l'Eau...).

Timide décentralisation

Tout change brutalement quand le général de Gaulle, président de la République, annonce un référendum destiné à transformer les régions en collectivités territoriales avec une réelle existence politique. Il va perdre ce référendum le 27 avril 1969 et démissionner dans la foulée. Mais il aura lancé le débat sur la régionalisation. 

Celle-ci devient une réalité sous la présidence de François Mitterrand avec la loi Deferre du 2 mars 1982 qui transforme les régions en collectivités territoriales à l'égal des départements et des communes, avec une assemblée élue, un président exécutif élu par cette même assemblée et le droit de lever l'impôt.

Les nouvelles Régions se voient doter au fil des ans d'attributions restreintes et exclusives : les transports ferroviaires régionaux, les lycées et universités, la formation professionnelle...

Cela ne les empêche pas d'intervenir aussi dans les domaines les plus variés, souvent en concurrence avec les services de l'État et les autres collectivités territoriales (communes et départements) : actions culturelles et économiques, financement des associations, environnement etc (note).

Leur budget représente au total moins d'un dixième du budget alloué à l'ensemble des collectivités locales. Rien à voir avec le très haut niveau d'autonomie des Länder allemands ou encore des cantons suisses.

« Big is better » !

Le président François Hollande, élu en 2012, s'est attelé à la réforme des structures territoriales réclamée par la classe politique. Mais il n'a pas osé toucher à sa faiblesse congénitale : plus de 30 000 communes trop petites pour être bien administrées (plusieurs milliers comptent moins d'habitants qu'une cage d'escalier parisienne).
Par la loi du 16 janvier 2015, le président s'en est donc tenu à une « réforme » aussi spectaculaire qu'inutile : ramener de 22 à 13 le nombre de régions métropolitaines, au nom du précepte « Big is better » qui a remplacé chez nos élite « Small is beautiful » !
Trop grandes pour une administration de proximité, trop hétérogènes pour une stratégie économique cohérente, ces nouvelles régions pourraient bien s'anémier et rendre toute leur place aux départements et à l'État...

Publié ou mis à jour le : 2021-06-12 14:06:35
Pipounet (12-12-2015 18:56:59)

La taille de la collectivité (que ce soit région, département ... ) me paraît un critère fort peu pertinent. On sait très bien faire de l'ineptie administrative, quelle que soit l'échelle ... Ce qui compte plus c'est la clarté dans les budgets et les responsabilités.

jfl86 (07-12-2015 18:17:03)

On ne peut pas parler de "régions" ecclésiastiques mais de PROVINCE dirigée par un Archevêque, elles sont effectivement au nombre de 15 pour la France métropolitaine: Besançon, Bordeaux,Clermont,Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Montpellier, Paris, Poitiers, Reims, Rennes, Rouen, Toulouse, Tours.
L'Alsace-Lorraine étant sous le régime concordataire avec l'Etat a deux diocèses qui dépendent du Saint-Siège...

Desavoy (07-12-2015 10:17:41)

Annick Quelles sont-elles ces régions "ecclésiastiques " ?

annick (28-06-2014 16:29:18)

A propos des régions je suis étonnée que l'on n' évoque jamais le découpage des régions ecclésiastiques,
qui ne sont que 15 je crois, et qui tiennent compte des distances, des cultures locales, des communications, bref qui sont presque parfaites.
Elles fonctionnent ainsi depuis deux siècles...avec quelques modifications tous les 100 ans!
faut-il en déduire que tout ce qui fonctionne bien est suspect ?

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