26 mai - 4 juin 1940

Dix jours inespérés pour l'évacuation de Dunkerque

Le 24 mai 1940 à midi, soit tout juste deux semaines après son offensive éclair sur la Belgique, Hitler donne à ses blindés l'ordre de suspendre leur foudroyante progression.

Les Britanniques mettent à profit ce providentiel sursis pour rembarquer à la hâte leur corps expéditionnaire bloqué dans la nasse de Dunkerque. Évacués à la hâte du 26 mai au 4 juin 1940, 338 000 soldats alliés dont 193 000 Britanniques et 125 000 Français vont ainsi échapper à la captivité et pouvoir participer aux contre-offensives futures...

Embarquement de soldats anglais sur les plages de Dunkerque

Dans Le Figaro (3 juin 1940) comme dans le reste de la presse française, on ne cache (presque) rien de l'évacuation de Dunkerque... (source : BNF, Retronews).

Le cadeau involontaire de Hitler aux alliés

Après leur percée dans le massif des Ardennes, qui a pris de court les états-majors français et anglais, les Panzers du général von Kleist ont pu atteindre Sedan puis obliquer vers l'ouest, la vallée de la Somme et la Manche. Tout cela en une semaine. Leur objectif ? Prendre à revers, par un « coup de faucille », les troupes alliées engagées en Belgique.

Les tankistes allemands progressent plus vite qu'ils l'ont jamais imaginé face à un ennemi tétanisé. En tête du peloton, Heinz Guderian, commandant du 19e corps d'armée motorisé, se réjouit déjà d'une victoire totale, sans précédent dans toute l'Histoire par sa rapidité et son ampleur. Mais ses supérieurs et Hitler lui-même n'osent trop y croire. Ils craignent une brusque contre-offensive des alliés, comme en septembre 1914 sur la Marne.

Le 16 mai, le général Gerd von Runstedt, qui commande les armées du « coup de faucille », donne l'ordre aux Panzers d'arrêter leur progression pour laisser à l'infanterie le temps de les rejoindre. L'impétueux Guderian obtient toutefois le droit de poursuivre sa course. Même Hitler ne pourrait l'en empêcher !

Dans les jours suivants, des contre-attaques alliées, dont l'une à Montcornet (Aisne) par la 4e division blindée du colonel Charles de Gaulle et l'autre à Arras par les 4e et 7e Royal Tank Regiment du Corps Expéditionnaire Britannique (CEB), semblent donner raison aux officiers supérieurs allemands.

La 7e division blindée de Rommel en France (mai 1940)Chose inattendue, la 7e division de Panzers commandée par Erwin Rommel est frappée de terreur devant les Britanniques ! Elle ne résiste que grâce à l'engagement en première ligne de son commandant, au péril de sa vie. Finalement, ces contre-attaques échouent piteusement par manque d'ampleur et surtout par manque de soutien aérien et logistique, personne, dans les hautes sphères alliées, n'ayant voulu croire à leur succès. 

Il n'empêche que les officiers supérieurs allemands y voient une raison supplémentaire de prudence, malgré le succès concomitant de Guderian, qui entre avec ses chars à Abbeville le 20 mai et peut dès lors se baigner dans la Manche. Pour justifier une pause, ils mettent aussi en avant les pertes importantes de matériels, avec 600 chars détruits ou en panne (un sixième du total). Ils appréhendent enfin les difficultés dans les régions marécageuses du littoral picard.

En conséquence, le 23 mai au soir, le général Hans Günther von Kluge, qui commande la 4e armée, ordonne à ses treize divisions blindées (dont celle de Rommel) de faire halte sur la « ligne du Canal ». Ces unités, qui remontaient de la Somme vers le nord, s'arrêtent donc sur le canal de l'Aa, au niveau de Gravelines, au sud de Dunkerque.

Bien sûr, au sein de l'état-major allemand et au Felsennest, dans l'Eifel, d'où Hitler surveille les opérations, on a entrevu l'éventualité d'une fuite de l'ennemi par la mer. Mais le feldmaréchal Hermann Göring, qui commande la Luftwaffe, a tenu à rassurer tout le monde. Ses bombardiers et ses chasseurs sauraient empêcher toute tentative d'évacuation par la mer, foi de Göring !

L'ordre d'arrêt (Halt-Befehl en allemand) est donc confirmé le lendemain 24 mai, à midi, par le Führer en personne. Il va offrir aux troupes alliées en train de se replier de Belgique, un providentiel sursis.

Les soldats alliés sur la plage de Dunkerque, 26 mai 1940

Pas d'autre issue que l'évacuation

Du côté allié, c'est le tohu-bohu. Winston Churchill, de passage à Paris, prend conscience de l'étendue du désastre et, pire encore, de l'effondrement moral des responsables français. Son homologue français Paul Reynaud tente de résister mais est épuisé. Il renvoie le généralissime Gamelin mais c'est pour le remplacer par plus défaitiste que lui, le général Weygand.

Le Premier ministre britannique reste néanmoins soucieux de maintenir les liens avec son allié français. Plus francophile que son entourage, il repousse dans un premier temps la perspective d'une évacuation. Celle-ci est évoquée le 19 mai avec discrétion par le commandant du corps expéditionnaire, le général John Vereker, vicomte Gort. Mais elle est aussitôt rejetée par Churchill ainsi que par le chef d'état-major William Ironside.

Après une semaine de tergiversations, l'idée prend néanmoins corps. Le 25 mai, grâce à la capture fortuite d'une voiture allemande, les alliés découvrent que l'ennemi se prépare à forcer le passage vers Dunkerque par Ypres, à l'Est.

Le dimanche 26 mai 1940, à Douvres, le vice-amiral Bertram Ramsay reçoit l'ordre de déclencher l'opération « Dynamo », nom de code du rapatriement du corps expéditionnaire et des alliés... Hélas, Churchill néglige d'en informer le haut commandement français, ce qui va entraîner du retard dans l'acheminement des soldats français vers les plages et beaucoup de reproches à l'égard de la « perfide Albion » (note). Les Français l'accuseront d'avoir préféré retirer ses troupes plutôt que les engager dans la contre-offensive du généralissime Weygand. Cette contre-offensive de la dernière chance devra finalement être annulée.

Pour les alliés, il n'y a plus de temps à perdre...

Le général Gort obtient séance tenante que l'on mobilise deux divisions pour fermer la brèche. Il s'agit de se donner un maximum de temps pour évacuer le maximum de troupes. Ce sont essentiellement les soldats français de l'armée du Nord, sous le commandement du vice-amiral Jean-Marie Abrial, qui vont s'y appliquer. Ils sont 30 000 et doivent ralentir l'avancée de 160 000 soldats allemands soutenus par les chars dans une poche en peau de chagrin qui s'étire sur 15 km de côtes et 6km à l'intérieur des terres. 

Ces Français vont résister maison après maison, rue après rue, laissant 16 000 morts sur le terrain, à comparer aux 2 000 morts anglais. Ce sacrifice héroïque sera comparé par un officier britannique à celui de Léonidas et des Spartiates aux Thermopyles. Il va assurer pendant quelques jours un littoral à peu près dégagé sur une cinquantaine de kilomètres, de Gravelines à La Panne, en Belgique, en passant par Dunkerque et permettre l'évacuation non pas de 45 000 hommes comme on l'espérait mais de près de dix fois plus !

Le 27 mai, le roi des Belges Léopold III capitule au quartier général de la 6e armée allemande, devant le général von Reichenau et son chef d'état-major Friedrich Paulus, celui-là même qui capitulera moins de trois ans plus tard à Stalingrad...

Les soldats britanniques commencent de s'agglutiner sur les jetées, dans les dunes et sur les plages autour de Dunkerque. Dans le même temps, deux cents navires de la Royal Navy approchent des jetées et des plages pour les embarquer.

Ils sont heureusement renforcés par six cents navires de plaisanciers et de pêcheurs venus de toute la côte sud de l'Angleterre et regroupés à Ramsgate, suite à un appel lancé à la BBC dans la nuit du 26 au 27 mai. Ce renfort inattendu va donner à l'évacuation une ampleur cinq à dix fois supérieure aux prévisions les plus optimistes des états-majors... 

Les navires de plaisance au secours de l'opération Dynamo (mai-juin 1940)

En attendant, comme prévu, la Luftwaffe entre en action et pilonne la ville de Dunkerque, la détruisant à moitié, pour tenter d'entraver l'évacuation. Mais l'action des bombardiers, qui doivent décoller d'Allemagne, est efficacement entravée par les escadrilles de Spitfire de la RAF (Royal Air Force) qui ont l'avantage, eux, de décoller du Kent tout proche. 

C'est à l'intérieur des terres que les chasseurs anglais vont chercher le contact avec la Luftwaffe. Leurs succès sont invisibles aux yeux des soldats anglais qui maugréent contre leur absence chaque fois qu'un Stuka allemand descend en piqué sur eux et les mitraille au bruit strident de sa sirène.

Soldats morts sur la plage de Dunkerque (mai-juin 1940)Pendant toute la durée des évacuations, nuits et jours, les plages et les jetées, sans cesse pilonnées, connaissent une atmosphère d'apocalypse malgré le calme de la mer et la douceur de l'air : panique au son des « trompettes de Jéricho » des Stuka, terreur devant les naufrages des navires chargés d'hommes et touchés par des bombes ou des torpilles, soldats malades de déshydratation, faim et gangrène...

À cela s'ajoutent les rixes pour une place dans la file d'attente et les échanges de coups et d'injures entre Anglais et Français. Les officiers anglais, sur le terrain, croient de leur devoir de faire passer leurs compatriotes en priorité. Ils enfreignent sans le savoir les consignes de Churchill lui-même qui a souhaité une évacuation à parité.

Finalement, là où l'on espérait sauver 30 000 à 45 000 combattants, on en récupèrera plus de trois cent mille... dont une bonne partie de Français. Mais l'on devra abandonner tout le matériel et l'armement sur les plages.

Le destroyer Vanquisher à côté de l'épave d'un chalutier à Dunkerque (mai-juiin 1940)

Plus déterminé que jamais

Le 4 juin 1940, tandis que prend fin l'évacuation du corps expéditionnaire. Devant les Communes, Winston Churchill se félicite du succès de l'opération « Dynamo » mais rappelle qu'« on ne gagne pas des guerres avec des évacuations ».

Comme le risque d'une invasion apparaît plus grand que jamais, il se veut déterminé : « Nous combattrons sur les plages, nous combattrons sur les terrains d'atterrissage, nous combattrons dans les champs et dans les rues, nous combattrons dans les montagnes ; nous ne nous rendrons jamais. » Mais s'étant assis, il murmure à l'oreille de son voisin de banc : « Et nous nous battrons avec des tessons de bouteille, parce que c’est fichtrement tout ce que nous avons ! »

La guerre ne fait que commencer

Arrivée des premiers soldats anglais à Douvres le 31 mai 1940Au terme de l'évacuation, dans la nuit du 4 au 5 juin, 80 000 hommes, principalement des Français, sont abandonnés autour de Dunkerque dans la confusion. C'est le moment où les chars allemands reprennent leur progression sur la Somme et l'Aisne. Cent mille soldats britanniques encore présents au sud de la Somme leur résistent au coude à coude avec les divisions françaises. Pour le panache et pour l'honneur.

En Angleterre, les rescapés sont accueillis avec soulagement par la population, parfois avec des applaudissements. Mais beaucoup sont aussi frappés par l'atmosphère d'insouciance qui règne encore dans le pays, où l'on continue comme si de rien n'était de jouer au cricket. Pour les Français, l'Angleterre n'est qu'une station de leur chemin de croix. La plupart sont renvoyés vers la France et débarquent à Cherbourg pour reprendre le combat.

L'évacuation de Dunkerque ne met pas fin pour autant à l'engagement anglais sur le continent. Soucieux d'inciter la France à poursuivre le combat, Churchill impose la création d'un nouveau corps expéditionnaire de 150 000 hommes sous le commandement du général Sir Alan Brooke qui n'en demandait pas tant.

Sans illusion, il ne va pas perdre de temps pour évacuer ce deuxième corps expéditionnaire le moment venu, lorsque le 17 juin 1940, le maréchal Pétain annoncera à la radio son intention de demander un armistice.

Week-end à ZuydcooteIl se hâtera alors de faire évacuer les soldats et aviateurs encore présents en France, essentiellement à partir de Saint-Nazaire, à l'embouchure de la Loire.

Note tragique : six mille hommes environ embarqueront sur le paquebot Lancastria de la Cunard. Pris pour cible par la Luftwaffe, il coulera à la sortie du port, causant la mort d'environ 3 500 personnes. C'est le plus grand désastre de l'histoire navale anglaise. En dépit de cela, la deuxième évacuation aura permis d'évacuer 191 000 soldats alliés.  

Adapté d'un roman de Robert Merle (Prix Goncourt, 1949), le film Week-end à Zuydcoote (Henri Verneuil, 1964), avec Jean-Paul Belmondo, évoque avec une bonne vraisemblance cet épisode ainsi que les lâchetés, les pillages et autres méfaits qui accompagnèrent l'exode des civils et la débâcle des militaires. À voir et revoir.

Le port de Dunkerque à l'issue de l'opération Dynamo (mai-juin 1940)

Publié ou mis à jour le : 2024-05-23 11:29:35
Dulouard (25-05-2022 14:40:23)

Bonjour,, mon père y était, dans la Marine affecté à la "garde côtière". Second maître il était chef d'équipe chargé du déminage des mines marines échouées sur les plages. Si cela vous te... Lire la suite

Julifa (09-02-2020 17:52:18)

Mon père terminait son service militaire à faire du béton sur la ligne Maginot, il a été maintenu sous les drapeaux dans le régiment de "Forteresse" pour cette drôle de guerre où ils ont atten... Lire la suite

Marcel (22-07-2017 21:22:21)

Beau commentaire. Du "vécu" Merci.

Horatio (21-07-2017 20:53:58)

Mon père a fait son service militaire en 1936. De démobilisation en re-mobilisation, re-démobilisation, etc, il a fait la "campagne des 18 jours" en 1940. Il était caporal, faisant fonction de ser... Lire la suite

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