Le 23 août 1939, le monde apprend avec stupéfaction la signature au Kremlin, à Moscou, d'un pacte germano-soviétique de « non-agression » entre les représentants de Hitler et Staline. Chacun comprend dès lors que le Führer se prépare à attaquer la France et ses autres voisins, dont la Pologne...
Rapprochement des dictatures
Les premières initiatives belliqueuses de Hitler s'accompagnent comme il va de soi d'un brutal regain de tension en Europe : réoccupation de la Rhénanie (mars 1936), annexion de l'Autriche (Anschluss, mars 1938), occupation de la Tchécoslovaquie (octobre 1938).
La France, menacée au premier chef, tente dès 1935 un rapprochement avec l'Italie de Mussolini puis avec l'URSS de Staline. Mais ces tentatives font long feu et Mussolini, ostracisé par les démocraties occidentales en raison de son invasion de l'Éthiopie, s'allie même à Hitler.
Staline, dès lors isolé, soupçonne les Occidentaux de vouloir détourner vers l'Est les appétits de conquête de Hitler. Il croit voir dans le lâchage de la Tchécoslovaquie à la conférence de Munich, en septembre 1938, la confirmation de ses craintes.
Tandis que l'Allemagne annexe les Sudètes, région frontalière germanophone de la Tchécoslovaquie, la Pologne en profite pour annexer de son côté la province tchécoslovaque de Teschen, de langue polonaise. Ainsi se fait-elle la complice de Hitler. Français et Anglais sont consternés. Staline, pour sa part, craint que la Pologne et l'Allemagne, les deux grands ennemis traditionnels de la Russie, n'en viennent à s'allier contre lui.
Cinq mois après la conférence de Munich, début mars 1939, Hitler change de pied. Il commence à émettre des revendications sur la Pologne et réclame en particulier Dantzig, « ville libre » selon les termes du traité de Versailles de 1919. Le « couloir de Dantzig » assure à la Pologne un accès à la mer mais présente pour les Allemands l'inconvénient de séparer la Prusse orientale du reste de leur pays.
Le 15 mars 1939, la Wehrmacht entre à Prague et transforme ce qui reste de la Tchécoslovaquie en une colonie allemande. Le 23 mars 1939, accessoirement, elle occupe le district de Memel, en Lituanie. Ce petit territoire germanophone est derechef rattaché à la Prusse orientale.
Pour circonvenir la menace allemande, Staline négocie d'abord un rapprochement avec les Français et les Britanniques. Un projet d'accord est bouclé le 22 juillet 1939 mais le dictateur refuse de le signer car les Occidentaux n'autorisent pas ses troupes à entrer en Pologne et en Roumanie en cas d'agression allemande. Le Premier ministre britannique Neville Chamberlain, anticommuniste viscéral, répugne à vrai dire à traiter avec Staline.
De dépit, Staline change son fusil d'épaule et, le soir du 19 août, annonce à son Politburo (bureau politique) son intention de signer un pacte de « non-agression » avec son turbulent voisin (en théorie rien à voir avec une alliance qui implique un engagement militaire commun).
À Berlin, certains dignitaires, comme le feld-maréchal Hermann Goering, tentent de maintenir le dialogue avec Londres après l'occupation de Prague par la Wehrmacht, le 15 mars 1939.
Mais Joachim von Ribbentrop, un nazi arrogant et hostile aux Anglais, devenu ministre des Affaires étrangères le 4 février 1938, sabote leurs efforts. Il convainc Hitler que les Occidentaux sont trop timorés pour jamais oser répondre aux provocations allemande et l'entraîne dans un rapprochement avec Staline, en vue du dépeçage de l'Europe centrale.
Le 2 août 1939, désireux de tuer dans l'oeuf le rapprochement entre les Occidentaux et les Soviétiques, il dit à propos de ces derniers : « Il n'y a aucun problème de la Baltique à la mer Noire que nous ne saurions résoudre entre nous » (note). Lui-même se propose d'aller à Moscou négocier un partage de la Pologne et des pays baltes.
Un pacte plein de sous-entendus
Le 21 août 1939, la Wilhelmstrasse, siège des Affaires étrangères à Berlin, propose officiellement à l'URSS un pacte de non-agression sous le prétexte de mettre un terme aux provocations... de la Pologne !
Staline accueille l'idée sans déplaisir. Il y voit des avantages territoriaux immédiats pour l'Union soviétique, mais aussi un répit avant une éventuelle confrontation avec l'Allemagne, répit indispensable pour reconstruire l'Armée rouge, démantelée par les purges. Il ne lui déplaît pas aussi de détourner Hitler vers l'Occident capitaliste et de les laisser s'écharper.
Le pacte est bouclé trois jours plus tard par von Ribbentrop et son homologue soviétique, Vyatcheslav Molotov, qui avait remplacé le 3 mai précédent Maxim Litvinov, un juif, à la tête du Commissariat aux Affaires étrangères.
Il est conclu pour une durée de dix ans.
Les termes méritent d'en être rappelés : « Les hautes parties contractantes s'engagent à s'abstenir de tout acte de violence, de toute agression, de toute attaque l'une contre l'autre, soit individuellement, soit conjointement avec d'autres puissances ».
• Le pacte inclut une aide économique de l'URSS à l'Allemagne avec d'importantes livraisons de blé, pétrole et matières premières. De fait, en échange de transferts de technologie de l’Allemagne vers l’Union soviétique, d’énormes quantités de matières premières, dont 1,6 million de tonnes de céréales et 900 000 tonnes de pétrole, vont cheminer de l’URSS vers l’Allemagne nazie, pour alimenter l'effort de guerre de celle-ci contre les démocraties occidentalers. Ces livraisons se poursuivront jusqu'à la rupture du pacte deux ans plus tard.
• Une clause secrète prévoit le partage de la Pologne en zones d'influence allemande et soviétique, la limite passant par les fleuves Narew, Vistule et San. Il s'ensuit que le 17 septembre 1939, deux semaines après l'invasion de la Pologne par la Wehrmacht, l'Armée rouge entrera à son tour en Pologne et les deux armées feront triomphalement leur jonction le 22 septembre 1939 à Brest-Litovsk.
• Une autre clause secrète prévoit la livraison à l'Allemagne nazie de militants communistes allemands réfugiés en URSS (elle sera exécutée comme les autres).
L'opinion allemande, mal avisée, croit y voir l'assurance de la paix. Les dirigeants français et britanniques, plus réalistes, comprennent que la guerre est devenue inéluctable. Le jour même ou le lendemain, les diplomates de l'ambassade britannique à Berlin brûlent leurs papiers et se disposent à quitter l'Allemagne de même que tous leurs concitoyens. Londres et Paris renouvellent leur promesse d'assistance à la Pologne.
Les alliés de l'Allemagne, Mussolini, Franco et les Japonais, sont tout autant consternés de n'avoir pas été mis dans la confidence et d'être ainsi entraînés dans une aventure imprévisible.
Dépeçage de l'Europe centrale
Hitler est dès lors débarrassé de la crainte d'être pris en tenaille comme en 1914, quand l'Allemagne avait dû se battre à la fois à l'Ouest et à l'Est.
Il adresse un ultimatum à la Pologne et, quelques jours plus tard, le 1er septembre, l'envahit en prenant le risque d'un conflit avec la France et le Royaume-Uni. Effectivement, cette fois, ces derniers pays ne peuvent faire autrement que de déclarer la guerre à l'Allemagne.
De son côté, l'URSS entre en Pologne le 17 septembre 1939. Ayant eu raison de la courageuse résistance des troupes polonaises, Soviétiques et Allemands font leur jonction sur la ligne de démarcation du Bug, transformé en nouvelle frontière germano-soviétique par le traité du 28 septembre.
Plus du tiers de l'ancienne Pologne est annexée à l'URSS, le reste à l'Allemagne. L'URSS profite de l'affaire pour attaquer aussi la Finlande, annexer les pays baltes et envahir la Roumanie !
Winston Churchill, témoin et acteur de premier plan, écrit dans ses Mémoires à propos du pacte : « seul un régime de despotisme totalitaire, comme celui qui existait dans chacun des deux pays, était capable de supporter la réprobation qu'inspirait un acte aussi anormal ».
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Christian (23-08-2023 06:01:50)
On peut noter que l'URSS a conservé jusqu'en 1991 les territoires qu'elle avait indûment annexés à la faveur du pacte germano-soviétique, à savoir les régions orientales de la Pologne (aujourd'hui partagées entre l'Ukraine et la Biélorussie), les pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) et la Bessarabie (actuelle Moldavie).
Michel J. (22-08-2023 08:21:33)
Il me semble bien avoir lu que la délégation anglo-française, chargée officiellement au moment de l’imminence du pacte de prendre contact avec l’URSS sans toutefois avoir le pouvoir de signer un accord, a pris le bateau pour aller en URSS alors que l’avion pris par Ribbentrop a été plus rapide…
Par ailleurs c’est seulement 4 jours après la "percée surprise" dans les Ardennes que Paul Reynaud téléphone à Churchill : « nous sommes battus »
4 jours….
CH (21-08-2023 08:08:09)
Il est rare de voir un article sur le pacte germano-soviétique traité ainsi. Généralement il est dit que Staline fait alliance avec Hitler. Il reste dans cet article quelques oublis tel le refus de la Pologne d'autoriser l'URSS à traverser son pays pour attaquer l'Allemagne en cas d'accord avec l'Angleterre et la France, tel que le refus de l'Angleterre et la France, à la demande de l'URSS de signer un traité pour combattre l'Allemagne nazie. Mais bravo, à part Annie LACROIX-RIZ je crois ne pas avoir lu un papier aussi objectif sur l'URSS depuis bien longtemps, d'autant que ce n'est pas dans l'air du temps....
olivier danon (10-05-2023 21:18:35)
Staline sait parfaitement que Hitler a prévu un jour ou l'autre de l'attaquer. Il n'est pas dupe.
Les raisons essentielles pour lesquelles il signe ce pacte sont à mon avis les deux suivantes:
1 Il sait qu'il n'est pas prêt à combattre ; les purges ont dynamité son état major (l'armée russe montrera d'ailleurs ses faiblesses en Finlande au début de la guerre). Il veut donc gagner du temps.
2 Il pense que l'attaque d'Hitler sur le front francais va durer longtemps comme en 1914 avec un front immobile difficile à bouger pendant plusieurs mois ou années n'autorisant pas Hitler à ouvrir de suite un deuxième front, ce qui lui laissera le temps de réorganiser son état major et son armée.
Ce que Staline n'a pas prévu c'est que l'armée francaise va s'effondrer en 6 semaines sous la manœuvre du plan Von Manstein qui vient "piéger" les francais en Belgique et enrouler l'armée francaise après la percée de Sedan.
Heureusement pour Staline, l' Angleterre a résisté pendant un an, seule, grâce à la détermination de Churchill, malgré les tentatives de Hitler de lui proposer une sortie de la guerre car Hitler voulait éviter le double front .
f plet (25-08-2019 11:01:10)
il ne faut pas oublier que la politique de non-intervention en Espagne a permis à Hitler et Mussolini de gagner des points au plan international
Ne pas oublier non plus que les accords de Munich avaient été signés par la France et l'Angleterre avec l'Allemagne et l'Italie le 30 septembre 1938; soit près d'un an avant le pacte.Alors oui Staline était bien aux abois, et d'autant plus que dans sa folie sanguinaire, il avait fait massacrer les chefs militaires de l'Armée Rouge....
Dominique Savio (23-08-2013 13:43:40)
Difficile , la réflexion sur ce pacte .C'est vrai qu'il indigne si on en prend connaissance "hors contexte"; mais c'est vrai aussi que les Occidentaux, entre la fascisme et leur peur de l'extension du bolchévisme ,ont amené Staline "aux abois" comme le dit l'article, à signer ce pacte pour garantir momentanément, car je pense qu'il ne se faisait aucune illusion sur la politique nazie, la non-agression sur son territoire. Gagner du temps .