Désemparé face à l'antisémitisme nazi, le président américain Franklin D. Roosevelt propose une conférence internationale en vue de secourir les Juifs dont ne veulent plus les Allemands. Celle-ci se réunit à huis clos du 6 au 14 juillet 1938 à l'Hôtel Royal d'Évian, au bord du lac Léman.

Refus sous tous prétextes
32 pays se font représenter à Évian (l'Allemagne n'est pas invitée, l'URSS et la Tchécoslovaquie ne s'y font pas représenter). C'est pour affirmer leur refus d'ouvrir leurs ports aux Juifs allemands, qualifiés par euphémisme de « réfugiés » (jamais au cours de la conférence, il n'est fait ouvertement référence aux Juifs).
Les refus se fondent sur des préjugés ou des hypothèses bien plus que sur des faits, comme l'avoue ingénument le délégué australien : « Dans les circonstances présentes, l'Australie ne peut faire plus... Nous n'avons pas de problème racial notable et nous ne voulons pas en importer un ». La Suisse estime avoir déjà fait le plein de réfugiés autrichiens et rétablit des visas avec son voisin. Elle va même demander à l'Allemagne de tamponner la lettre J sur les passeports de ses ressortissants juifs afin de pouvoir plus facilement les identifier et les repousser à sa frontière !
Un seul pays fait exception : la République dominicaine, dans les Antilles, dont le dictateur Trujillo souhaite « blanchir » la population avec l'importation de quelques milliers de Juifs allemands ; cette offre équivoque est repoussée.
La presse allemande, triomphante, titre au lendemain de la conférence : « Juifs à vendre ; même à bas prix, personne n’en veut ! ». Hitler, dans les jours qui suivent, ne se prive pas de dauber sur cet échec : « C'était honteux de voir les démocraties dégouliner de pitié pour le Peuple juif et rester de marbre quand il s'agit vraiment d'aider les Juifs ! »
Après la Nuit de Cristal de novembre 1938, l'émigration juive s'intensifie néanmoins. Beaucoup d'émigrants gagnent la Palestine sous des formes illégales, en défiant le gouvernement britannique qui tente de les repousser pour ne pas se mettre à dos les Arabes et le Grand Mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, chef religieux musulman férocement hostile aux juifs qui ne craint pas de rencontrer Hitler et de recruter pour lui des combattants musulmans.
Quelques milliers de Juifs saisissent aussi l'opportunité offerte par le port chinois de Shanghai, qui les dispense d'un visa d'entrée... Mais les échecs sont cruels. En mai 1939, le Saint-Louis, refoulé de Cuba et de Floride, doit revenir à Hambourg avec un millier de réfugiés juifs.
Bibliographie
La conférence d'Évian a fait l'objet d'un essai très documenté de Raphaël Delpard : La conférence de la Honte (Michalon, 2015, 250 pages). L'auteur décrit la montée de l'antisémitisme nazi, d'autant plus inattendue qu'elle survient dans le pays d'Europe où les juifs étaient jusque-là les mieux intégrés.
A posteriori, nous pouvons légitimement nous affliger de l'échec de la conférence d'Évian, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les participants eussent-ils montré plus de clairvoyance qu'ils auraient pu accueillir et donc sauver une grande partie des 200.000 Juifs persécutés en Allemagne et en Autriche en 1938.
Ce geste eut-il pour autant évité la Shoah et ses six millions de victimes ? C'est très improbable...
En premier lieu, Hitler y aurait vu un signe de faiblesse de la part des Occidentaux et un encouragement à intensifier les persécutions. Et surtout, en second lieu, après le déclenchement de la guerre et l'invasion de la Pologne puis de l'URSS, il serait devenu de fait impossible pour les Occidentaux d'accueillir les millions de Juifs polonais, grecs, soviétiques, hongrois... tombés sous les griffes des nazis !
Une action généreuse à l'issue de la conférence n'aurait donc pas changé le cours de l'Histoire.
Tirons une leçon de ce constat : la charité et la compassion sont des vertus individuelles appréciables mais sans utilité opérationnelle à l'échelle des nations ; elles ne remplacent pas l'action politique ni la force militaire. Cette leçon conserve toute sa pertinence en ce début du XXIe siècle, face aux vagues migratoires et aux grands défis géopolitiques qui secouent le Moyen-Orient et l'Afrique : le traitement compassionnel de ces drames peut s'avérer contre-productif s'il ne s'accompagne pas d'une élimination de leurs causes, au besoin par des interventions militaires.
Vos réactions à cet article
Liger (16-09-2019 13:07:34)
Bon article, comme d'habitude. Mais je tiens à saluer particulièrement votre conclusion (« Humanitarisme contre politique ») car, en peu de mots, mais justement choisis, vous rappelez clairement de... Lire la suite
elisabeth (25-07-2018 21:15:39)
Faut-il rappeler que c'est aussi à Evian que furent signés les accords censés mettre fin à la guerre d'Algérie? Avec quels résultats!
Epicure (10-07-2018 09:56:13)
Excellente analyse qui démontre que les solurtions existent bien, mais ne sont pas du tout là où les Gogos le croient. Il ne faut pas d'Argent aux REtats pourris mais des dons en nature: Un Port 500 k... Lire la suite